8.3. Vers une identité propre de chaque aire protégée kenyane: les marques commerciales des parcs

Les géographes portent un intérêt croissant pour les identités et les noms des lieux touristiques pour analyser les paysages. Ces identités comprennent les épithètes indicatives de la topographie (plage, mer…), de la fonction (bains, thermes…), du toponyme local, ou des noms de personnages477. Rieucau (2006) présente différemment l’ « empreinte nominale » du tourisme à l’échelle du pays (choronymes), des lieux touristiques (toponymes et slogans), des tissus urbains des stations (odonymes) et enfin des régions (régionymes). Alors, que signifie marquer l’espace ? Quels rôles majeurs des marqueurs spatiaux ? Quels exemples explicites dans la quête du renouvellement du produit touristique au Kenya ? Ces territoires à l’ouest du pays, comment peuvent-elles affirmer davantage leur notoriété sur la scène nationale ?

Selon Lageiste (2006), marquer l’espace serait un « processus de communication … par l’utilisation de signes, repères, symboles qui sont autant d’attributs spatiaux tant matériels qu’immatériels. […]. Le marquage spatial semble donc être un acte plus ou moins intentionnel. Les marqueurs mis en place constituent les traces vives qui structurent les territoires, renseignent sur leurs spécificités, les distinguant, en particulier, des espaces non touristiques. Ils constituent les révélateurs spatiaux de la fonction du lieu »478. En effet, une marque doit pouvoir offrir à un territoire une valeur ajoutée en ce qui concerne l’image afin d’asseoir son exclusivité et son attractivité.

Parmi les rôles joués par les marqueurs spatiaux (Lageiste, 2006 : 12) figure la mise en évidence d’un objet géographique donné, en rendant les réalités des lieux plus perceptibles pour tous à travers des signes distinctifs. En plus, ils fournissent une information sur la spécificité du lieu et enfin, ils rendent cette information opératoire dans la mesure où ils singularisent la portion d’espace considérée.

Bien que le marquage spatial soit moins élaboré au Kenya qu’en France, certains parcs nationaux le mettent en évidence en employant des slogans commerciaux de communication. L’objectif de l’adoption de la logique industrielle des opérateurs par le KWS réside dans la volonté de répartir l’activité touristique sur l’ensemble du territoire. Une telle réforme donne à chaque parc et réserve sous la gestion de KWS une identité unique.

Figure 18 : Un éléphant avec son petit, le logo fédérateur de KWS.

L’éléphant constitue l’un des « big five » du Kenya. Le KWS met en place différentes actions pour le protéger contre les braconniers. Au niveau international, cette organisation favorise encore l’interdiction de la vente d’ivoire dans le monde.

Avec des slogans particuliers, le KWS cherche à montrer un dynamisme en essayant de créer une appréciation des parcs kenyans auprès des touristes. En quittant le thème général de « nature », de « sauvage », le KWS lance de nouveaux « produits » qui intéressaient plus le marché. Il a réalisé qu’il ne pourrait pas accomplir ses objectifs « d’être un leader mondial dans la conservation de la biodiversité » en réagissant comme auparavant.

Le KWS a vu ainsi la nécessité de créer une identité propre à chaque territoire en fonction de sa spécificité. Ce type de politique incite un territoire à s’attacher à la définition d’un positionnement clair et pertinent lui permettant de s’affirmer à travers de réels avantages concurrentiels. Il s’agit de mettre en avant une communication sur la particularité des territoires. Cet exercice, visant à rendre des aires protégées lisibles, s’est accompagné souvent par la mise en place de projets nécessaires susceptibles d’améliorer la gestion de la faune et de la flore. Saiwa a lancé sa communication le 14 mars 2007 suivi par le Mont Elgon le lendemain. Kakamega a vu son renouvellement le 27 septembre 2007.

Figure 19 : Quelques identifications des parcs dans les images comme présentés par le KWS.

Depuis sa création en 1989, le KWS s’identifie encore par une image d’éléphant (fig. 18). En plus de ce symbole, certains parcs et réserves utilisent aussi leur propre identité (fig. 19). Cela a commencé le 10 août 2005 au parc national du lac Nakuru. Par exemple, Saiwa a choisi le « Sitatunga » – une antilope aquatique – comme identité visuelle. Il est désormais connu comme « secluded tranquility ». Le Mont Elgon est décrit comme « untamed wilderness, secluded splendor » tandis que le parc Nairobi est connu comme « the world’s only wildlife capital ».

Ces appellations ne changent pas le nom de ces espaces. Ils identifient seulement leur attraction principale (Ruma – Roan Antelope, Oribi...., Tsavo West – Lava, Springs, Man Eaters...., lac Nakuru – Bird Watchers Paradise....”). Ils annoncent aussi l’expérience touristique espérée dans ces espaces: Mont Longonot – “Sheer Adventure…”, Hell’s Gate – “A Walk on the Wild Side…”, Meru – “Complete Wilderness…”. Sans des noms localisant comme « Kakamega », « Malindi », « Mombasa », « Nairobi » ou « Nakuru », il serait difficile de repérer ces destinations.

Photo 23 : L’entrée de Kakamega montrant son logo : des arbres et des papillons.

Les labels confèrent à ces territoires une identité unique. Ils sont également une forme de marketing pour les zones de biodiversité

Photo : Odiara, B., 2008

Ces marques commerciales visent à faire la distinction entre des phénomènes similaires, le cas de la « mer » et la « mer ». Chacun des parcs marins a acquis une identité plus claire qu’avant : des îles magiques à Malindi, des dauphins à Kisite Mpunguti et des tortues marines à Watamu. On renforce alors l’attractivité de chaque destination fondée sur une dimension différenciatrice. Par contre, il est encore tôt pour évaluer l’impact de cet exercice sur l’expérience écotouristique.

Le KWS a consacré du temps à la recherche, à la définition et à l’établissement des différentes marques pour les aires protégées. Les marques utilisées sont simplement des noms, des signes, des symboles, des dessins avec l’objectif d’identifier et de différencier différents espaces par les touristes potentiels (photos 23). L’objectif est de positionner un lieu le plus nettement possible et de montrer les diversités existant dans ces territoires. Ils représentent des valeurs, des idées, et même des personnalités implicites. Comme l’explique le géographe Rieucau, l’objectif « réside dans l’identification claire et rapide du contenu … d’une offre commerciale »479. Par exemple, le parc national du lac Nakuru utilise le logotype du Flamant Rose. Il s’agit pour chaque territoire de créer une image particulière auprès des clients car l’espace touristique est d’abord dans l’imaginaire des clients potentiels.

Tableau 24 : Les accroches promotionnelles des parcs labellisés au Kenya.

Cela est une forme de communication par une stratégie de ligne qui consiste à décliner le territoire sous un concept moteur, sous un argument unique.

Source: le bureau de communication, KWS.

De plus, il s'agit d'attacher une marque ou un produit à une destination afin de la distinguer facilement des autres destinations pour asseoir son exclusivité et son attractivité. Avant, les noms de parcs étaient plutôt localisant sans en donner le contenu. Les noms comme « Nairobi National Park », « Kakamega National Reserve », « Lake Nakuru National Park », « Mombasa Marine National Park and Reserve », sont purement administratifs, c’est-à-dire celui de la région concernée. D’autres noms comme celui de « Saiwa Swamp National Park » utilisent le nom d’un petit village difficile à localiser. Peut être le nom de Kitale (la ville la plus proche) serait-il plus approprié. Les noms comme (Kakamega, Mombasa, Saiwa …) selon Chazaud (2004 : 241), « n’ont pas tous la même force et sont parfois insuffisants à dégager une promesse ou un programme touristique ». Il ajoute que, « communiquer sur l’ancrage territorial du produit ou du service offert n’est pas toujours la meilleure technique ».

Marquer ces espaces vise à fournir clairement le message de positionnement marketing. Il confirme la crédibilité de la destination, en motivant le client visitant par exemple le parc national de Méru, en lui assurant d’être immergé dans le ‘« wilderness » complet’. Ces marques pourraient ensuite rester longtemps dans la mémoire des clients, ce qui donne à ces lieux leur notoriété.

En marquant ces territoires par des signes commerciaux, le KWS se rend compte de l’importance de construire des images autour d’un territoire globalement liées au tourisme et attrayantes. L’accroche promotionnelle du parc national de lac Nakuru – « bird watchers’ paradise », un paradis pour les ornithologues s’annonce comme telle. Il sera aussi nécessaire, dans l’avenir, de savoir si ces marques offrent les avantages comparatifs suffisants pour des territoires différents.

Une marque forte est en soi une valeur considérable car la concurrence auprès des clients s’intensifie jour après jour. Cette politique territoriale favorise un client actuel qui selon Chazaud (2004 : 241), « est de plus en plus déconnecté d’un territoire devenu parfois illisible parce qu’il a perdu ses repères, ses racines familiales et sa légitimité, peut avoir tendance à privilégier autant un assortiment de produits déclinés sous la marque plutôt qu’une destination qui reste souvent imprécise ». Les destinations discrètes doivent alors mettre en évidence leur magnétisme de l’appétit touristique. Pour y arriver, la connaissance de ce qu’on trouve en utilisant des marques descriptives constitue la première étape vers le développement touristique.

Ces marques, telles qu'un « dauphin » pour le parc marin de Kisite Mpunguti, un « poisson zébré » pour le parc marin de Malindi et un « lion » pour le parc national de Tsavo West, sont une incorporation symbolique de toute information liée au produit, et servent à créer des attentes autour d’elle. Une marque est donc l'un des éléments les plus valables dans un thème publicitaire. Pendant longtemps, l’image de « Big Five » s’est ancrée dans les esprits des consommateurs, bien que celle-ci ne fût pas la marque officielle de KWS.

De plus, l’image diffusée d’une destination reste importante. L’utilisation de l’image d’un éléphant a peut-être fortement contribué à l’image de « Big Five ». Le KWS a choisi ainsi d’appliquer une stratégie multimarques. Autrement dit, il a choisi délibérément de lancer des marques totalement nouvelles en « concurrence apparente » avec sa propre marque déjà connue d’un éléphant. Cela s’avère une bonne voie à suivre afin de diversifier et de relancer d’autres sites touristiques kenyans ainsi la voie « vers la mise en tourisme des ‘nouveaux’ territoires touristiques ».

En tout cas, toutes les destinations touristiques favorisées mettent en avant des atouts importants pour faciliter leur lisibilité avant de s’engager dans la diversification (tableau 24). Il est ensuite possible qu’un certain nombre de marques comme celle du « Sitatunga » puissent absorber simplement une partie du marché jadis ignoré. Ces marques « microfaunistiques », « mineures » ou « microscopiques » pourraient permettre une plus grande variété des produits offerts. C’est avec ce type de conception que le KWS pourrait attirer des touristes dans des régions moins mise en tourisme. Il reste à voir l’impact de ce type d’action au sein de KWS et particulièrement dans le cas de Kakamega, de Saiwa et même du Mont Elgon.

Notes
477.

Equipe MIT, 2002, op.cit p 219.

478.

Lageiste, Les marqueurs Spatiaux des Lieux Touristiques : Conceptualisation, Typologie et Portée Symbolique, l’Harmattan, Paris, 2006, p 11-43.

479.

Rieucau, l’Empreinte Nominale du Tourisme: Régionymes, Choronymes, Toponymes, Labels Localisants, Odonymes, 2006, 65p.