2.2.3 - L’attachement  père/enfant

L’attachement  peut être défini comme un lien fort et durable qui se caractérise par la tendance à rechercher et à maintenir une proximité avec une figure spécifique, en particulier dans des situations de  stress, (J. Bowlby, 1969, 1982 ; M. Ainsworth, 1973).

Il ne s’agit pas d’un comportement mais d’un  lien émotionnel  qui unit deux personnes spécifiques d’une manière permanente et durable. (V. Colin, 1999)

 L’attachement  est un concept extrêmement important dans le domaine de la Psychologie du Développement et, en particulier, en ce qui concerne l’étude des relations précoces entre les parents et les nouveau-nés, car cela montre de quelle façon les interactions précoces entre le bébé et ses figures de référence (en général le père) influencent le développement humain.

Le psychanalyste anglais J. Bowlby a étudié, pendant les années 50 et 60, les effets de la séparation temporaire entre un enfant âgé jusqu’à 5 ans et celui qui prend soin de lui (caregiver selon la version originale) dans des contextes familiaux inconnus. Ces études ont été le point de départ de la Theory of attachment, qui défend la tendance « d'un enfant à attacher particulièrement à une figure » (J. Bowlby, 1969a, p. 309) - notion de monotropie - habituellement la mère, et qui origine chez l’enfant une sensation de protection et sécurité. La phase critique de ce processus surgirait entre l’âge de 6 à 9 mois, période pendant laquelle le lien entre mère et bébé se renforce et consolide. Ce lien se manifeste chez l’enfant par des comportements tels que les pleurs, les sourires, les appels, l’approximation ou la protestation, lorsqu’il est avec des personnes qu’il ne connaît pas. La séparation ou la perte de la mère lors de la première enfance entrainerait des conséquences durables et significatives en termes de développement personnel.

M. Ainsworth et ses collaborateurs (1967, 1973) ont utilisé des observations naturalistes à propos du rapport de l’enfant avec sa mère (Uganda et Baltimore) et ont constaté, par la suite, que les enfants qui avaient certaines expériences organisaient leur comportement d’attachement de manière différente.

Dans un contexte d’observation en laboratoire, M. Ainsworh et Witting (1969) ont créé un procédé intitulé situation étrange  afin de pouvoir observer des différences individuelles quant au comportement d’attachement des enfants. La  situation étrange  consiste à confronter des enfants, âgés de 11 et de 18 mois, à une situation d’anxiété modérée, et à les placer dans un endroit qu’ils ne connaissent pas, en les séparant pendant deux courtes périodes (de 3 et de 6 minutes) de la figure concernée par l’attachement. De cette façon, le comportement de 106 enfants américains a été observé, ce qui a permit d’identifier trois types différents de comportement d’attachement : la sécurité,  l’évitement  et  la résistance. En ce qui concerne le comportement de sécurité, et à la suite du moment de stress, l’enfant s’approche de la figure d’attachement sans rancœur ou sans colère, et continue à jouer après un certain temps. Quant à l’évitement, et après un bref éloignement, l’enfant agit sans donner beaucoup d’importance à la figure d’attachement, ne réagissant guère à sa salutation et à ses stimulations. Finalement, quant au comportement de résistance, et lorsqu’il retrouve la figure d’attachement, l’enfant affiche des comportements d’anxiété et des sentiments confus vis-à-vis de la figure d’attachement, tels que des comportements agressifs. L’enfant peut aussi pleurer et demander qu’on le porte.

Quelques années plus tard, Main et Solomon (1986, 1990) ont identifié un quatrième type de comportement d’attachement, appelé  désorganisé/désorienté. Celui-ci se caractériserait par l’adoption de comportements étranges, de la part de l’enfant, tels qu’un mélange de comportements agressifs et de comportements d’attachement, des signes d’anxiété, de dépression, un comportement d’évitement et/ou d’agressivité.

R. Spitz (1968) souligne aussi l’importance et l’unicité des liens qui s’établissent entre la mère et son enfant, étant donné que tous les bébés ont fait parti, à un certain moment (pendant la grossesse), du corps de leur maman. Grâce à l’observation d’enfants hospitalisés, ce psychanalyste a pu remarquer que lorsqu’on empêche un enfant d’entretenir des relations objectales avec la figure maternelle pendant la première année, cela peut susciter des perturbations émotionnelles graves, notamment, des troubles émotionnels, des difficultés à acquérir des habitudes d’hygiène et à développer le langage, et, y compris, entrainer la mort !

Ces études et ces théories se sont révélées très importantes dans le domaine de la Psychologie du Développement et d’autres Sciences Sociales, puisqu’elles ont permit de comprendre quelle est l’importance des liens affectifs pendant les premiers mois de l’existence de l’être humain.

Cependant, en se concentrant principalement et presque exclusivement sur la figure maternelle, elles renforcent l’idée selon laquelle la mère est l’élément central de la phase précoce du développement humain. Le père serait alors une figure secondaire sans grande importance.

Heureusement, une opinion différente est apparue dans les années soixante et surtout dans les années soixante-dix, grâce à l’apparition de plusieurs études qui suggéraient que les liens affectifs ne s’établissent pas uniquement avec la figure maternelle, abordant également la figure du père.

De ce fait, en 1964 Schaffer et Emerson ont décidé d’interviewer plusieurs mères et ont vérifié que, selon elles, les bébés commençaient à démontrer des comportements de protestation quand ils étaient séparés de l’un des deux parents. Par conséquent, ces auteurs ont formulé une hypothèse : les bébés établissent un lien avec les personnes avec lesquelles ils interagissent régulièrement et il n’existe pas de supériorité, en termes d’importance, en ce qui concerne les figures qui veillent au bien-être de l’enfant (caretaking) para rapport à d’autres figures.

Par la suite, F. A. Pederson et K. Robson (1969) ont également utilisé des informations données par les mères, mais ils ont mis l’accent sur ce qui c’est passé dans des situations de réunion et non pas des situations de séparation. Ils ont donc pu vérifier qu’environ 75% des mères indiquaient que leurs bébés réagissaient de manière positive et enthousiaste lorsque le père rentrait à la maison. Cela a poussé ces auteurs à conclure que ces enfants étaient également attachés à leur père.

En 1972, Kotelchuck a entrepris des études d’observation à propos du lien père/enfant auprès de bébés âgés de 12, 15, 18 et 21 mois. Il a constaté que ces bébés réagissaient en protestant lorsque l’un des parents les laissait seuls. D’autre part, il a constaté que, lorsqu’ils étaient seuls, les bébés exploraient moins leur environnement et réagissaient de manière positive lorsque les parents étaient de retour. Il a également pu vérifier que les bébés protestaient à cause de l’absence de l’un des parents quand l’autre était présent. 55% d’entre eux semblaient être plus préoccupés par l’absence de la mère (ce qui a poussé Kotelchuck à conclure que les bébés préféraient leur mère), 25% semblaient préférer leur père et 20% n’ont manifesté aucune préférence.

Cohen et Campos (1974) ont également constaté que le stress provoqué par la séparation des bébés et de l’un des deux parents n’était pas différent qu’il s’agisse de la mère ou du père. Ce qui était différent vis-à-vis de bébés âgés de 10, 13 et 16 mois, c’était une préférence pour la mère en tant que support de sécurité dans une situation d’interaction avec une personne non connue, ainsi qu’une évidente préférence pour le père par rapport à des personnes non connues dans une situation identique.

M. Lamb (1976, 1977), à partir d’études longitudinales réalisées avec des bébés âgés de 7, 8, 12 et 13 mois provenant de familles euro-américaines, a constaté l’inexistence de préférence pour l’un des parents par rapport à l’autre lors de l’évaluation du comportement de liaison et une préférence pour les parents par rapport à d’autres adultes.

En observant des familles nord-américaines, M. Lamb (1976, 1977) a également pu vérifier ces données, mais il a indiqué que, pendant la deuxième année, les bébés du sexe masculin démontraient une préférence significative pour leur père, tandis que les bébés du sexe féminin ne présentaient aucune préférence vis-à-vis des deux parents. Lors de situations de  stress, les bébés allaient vers l’un des deux parents, c’est-à-dire, vers celui qui était présent, mais, lorsque les deux parents étaient présents, les bébés âgés de 12 et de 18 mois avaient plutôt tendance à choisir leur mère. Quant aux bébés âgés de 8 et de 21 mois, il n’y avait aucune préférence significative.

Encore selon M. Lamb (1997), les données obtenues, grâce à de nombreuses recherches portant sur l’attachement, semblent indiquer plusieurs conclusions, à savoir :

Quelle que soit la perspective, les études réalisées à propos de cette thématique indiquent clairement que le père est, en effet, un élément central en ce qui concerne les liens affectifs que le bébé établit de manière précoce, et que son importance dans ce domaine et dans d’autres domaines dépend du niveau des rapports établies avec l’enfant.