3.3 – La Théorie Systémique Familiale

La perspective systémique de la famille provient de la « Théorie Générale des Systèmes », référencée en 1968 par le biologiste L. Bertalanffy, qui l’a présentée comme une science générale de la totalité, applicable à de nombreuses sciences empiriques. Cette théorie est fondée sur le concept de système qui constitue « un complexe d’éléments en interaction » (V. Bertalanffy, 1968, p. 37) et peut être fermé (s’il agit de manière isolée en ce qui concerne le contexte) ou ouvert (s’il interagit et dépendent du contexte, comme par exemples les organismes vivants).Les systèmes ouverts (par exemple un être humain ou une machine) présentent en ensemble de caractéristiques spécifiques, à savoir :

Les effets de cette « Théorie Générale des Systèmes » ont fini par se ramifier dans les domaines sociaux et dans la Psychologie, en contribuant aussi à une révolution paradigmatique selon laquelle les dysfonctions, les perturbations mentales et les maladies seraient le résultat d’interactions dysfonctionnelles vécues au sein des familles, suscitant l’émergence de la « Théorie de la Thérapie Familiale » (Rapaport, 1960 ; G. Allport, 1961 ; K. Menninger, 1963).

Selon la Thérapie Familiale, l’homme n’est point un être isolé, mais « un membre des groupes sociaux, qui agit et réagit » (S. Minuchin, 1979, p. 18) et, par conséquent, l’individu influence le contexte et est influencé par celui-ci à partir de constantes interactions.

Au sein de la famille, l’individu fait parti d’un système social auquel il doit s’adapter, et ses actions sont régies par les caractéristiques du système, ce qui signifie que les changements au sein de la structure familiale suscitent des changements sur le plan comportemental et en ce qui concerne le processus psychique de ses éléments.

La famille est donc perçue comme un système, un tout, une globalité qui ne peut être comprise que selon une perspective holistique. Celle-ci représente beaucoup plus qu’une simple adition de ses éléments. Bien que la famille soit un tout composé d’unités séparées plus petites, elle fait également partie d’autres systèmes plus vastes au sein desquels elle s’intègre (l’environnement ou la société) et avec lesquels elle interagit. Ce qui veut dire que le système familiale influence et est influencé par le système le plus vaste auquel appartient la famille, (A. Relvas, 1996).

Chaque famille présente deux caractéristiques essentielles: l’unicité, considérant que chaque famille est unique et singulière, et la complexité, étant donné que chaque famille présente un réseau complexe de relations et d’émotions (J. Gameiro, 1999).

Cette théorie a suscité de nouvelles perspectives en ce qui concerne les sciences qui s’adonnent à l’étude de la  famille et, en particulier dans le domaine de la  Psychologie du Développement. En effet, elle a permit d’aller au-delà des études bidirectionnelles entre deux éléments (en général la mère et l’enfant), poussant certains auteurs, comme Bronfenbrenner (1979) et Gabarino (1990), à mettre en œuvre une perspective systémique quant à l’étude du contexte familial. Selon la perspective systémique, les membres de la famille participent aux relations dyadiques qui fonctionnent de manière interdépendante, ce qui signifie que les rapports père/enfant sont influencés, de manière indirecte, par les rapports de la mère envers l’enfant, ainsi que par la relation de la mère avec le père, selon une dynamique constante.

Ainsi, la famille interagit avec quatre système différents : (1) le  microsystème, composé par les parents et par les enfants, qui est incorporé dans des systèmes par rapport auxquels elle interagit, (2) le  mesosystème, qui correspond à l’ensemble des relations qui existent entre les microsystèmes auxquels appartiennent l’individu, (3) l’  exosystème, qui corresponde aux instances avec lesquelles l’individu en développement n’agit pas, mais qui agissent sur lui, et, finalement, (4) le macrosystème, qui correspond au compromis socio-idéologique dans lequel les sous-systèmes se développent (J. Le-Camus, 1999).

Au sein du système familial, coexistent quatre autres sous-systèmes qui déterminent la structure de la famille, à savoir : (1) le sous-système individuel, composé par l’individu et dont les rôles et les fonctions vont au-delà de la famille, (2) le sous-système parental, composé, surtout, par les parents et dont la fonction est de protéger et d’éduquer les enfants, (3) le sous-système conjugal, soit le mari et son épouse, et (4) le sous-système fraternel, composé par les frères et sœurs et dont les fonctions spécifiques ont trait à l’entrainement des relations avec leurs semblables. Outre les caractéristiques mentionnées ci-dessus, la famille est un système qui évolue, avec une différentiation structurelle qui ce doit aux changements au sein de l’organisation relationnelle survenus au sein des différents sous-systèmes. L’évolution, d’une part, et la différentiation structurelle, d’autre part, attribue une nature développementale à la famille. Cette perspective de développement continue de la famille se manifeste au niveau du  cycle vital, qui représente une séquence prévisible de transformations quant à l’organisation familiale, en fonction de l’accomplissement de tâches bien définies, (A. Relvas, 1996.

Le cycle vital présente des caractéristiques et des phases distinctes selon la perspective. Conformément à l’approche de A. Relvas (1996), ce cycle se divise en cinq étapes : (1) la formation du couple, (2) la famille avec des enfants en bas-âge, (3) la famille ayant des enfants à l’école, (4) la famille avec des enfants adolescents et (5) la famille avec des enfants adultes (nid vide).

La notion de cycle vital, bien que limitée puisque son application est pratiquement restreinte aux familles traditionnelles, c’est-à-dire les familles nucléaires, a l’avantage de démontrer l’importance de la continuité quant aux relations humaines dans le cadre de la famille (A. Relvas, 1996), et est un modèle thérapeutique très utile (S. Minuchin, 1981), outre le fait de susciter une nouvelle perspective quant au développement humain, selon laquelle tous les membres de la famille ont la même importance et leurs interactions sont primordiales.

Par conséquent, et selon une approche développementale, les chercheurs et les professionnels du Centre de Lausanne, en particulier Fivaz (1989) et Corbaz et ses collaborateurs (1989) ont décidé d’étudier la triade familiale primaire et d’appliquer un modèle systémique d’  encadrement du développement  qui permette de passer de la paire mère/bébé à la triade père/mère/bébé, en soulignant ainsi la forte valeur du troisième élément  (père) quant au développement humain précoce.

L’observation des interactions entre trois éléments en termes d’actions de jeu – selon ce que Frascarolo (1997) a appelé de  Jeu triadique de Lausanne  a permis d’identifier quatre fonctions de communication : (1) la participation, (2) l’organisation, (3) l’attention focale et (4) le contact affectif. La performance de ces quatre fonctions essentielles de communication aboutit à de nombreux types d’alliance, à savoir : (1) l’alliance coopérative, (2) l’alliance modérée, (3) l’alliance coalliée et (4) l’alliance désordonnée (Fivaz et al., 1995).

En abandonnant le traditionnel duo mère/enfant et en déterminant une perspective à trois (soulignant ainsi le rôle du père réel), ces recherches ont en effet beaucoup d’importance et ont acquis une ampleur remarquable.

Aux États-Unis, à la fin des années 80, Belsky a décidé de se pencher sur la famille selon une perspective systémique, en amplifiant cette recherche au-delà du contexte familial et en assumant l’influence de nombreux sous-systèmes. L’engagement paternel vis-à-vis de l’enfant dépendrait de nombreux facteurs, tels que la personnalité, le tempérament de l’enfant, la relation conjugale et l’interface travail/famille, (Volling et Belsky, 1991).

En analysant la relation entre la conjugalité, la parentalité et le développement de l’enfant, Belsky et ses collaborateurs (1990) ont introduit la notion de  coparenting  (co-parentalité) et coparenting alliance  (alliance co-parentale). Selon cette nouvelle approche, la relation entre la satisfaction conjugale et le lien et le bien-être de l’enfant est importante. Toutefois, le degré d’accord ou de désaccord entre les conceptions éducatives des parents, d’une part, et les styles de conflits conjugaux, d’autre part, le sont également, et impliquent qu’il soit nécessaire d’étudier la mère et le père en tant que partenaires et adversaires quant à l’accomplissement de leurs rôles parentaux.

En ce qui concerne l’analyse du rôle du père quant au développement personnel, la perspective systémique apporte des contributions importantes vu qu’elle définit la famille comme un système composé par trois éléments distincts (le père, la mère et les enfants) qui interagissent souvent et qui forment un tout dynamique et interdépendant en constante évolution.

Selon cette perspective, la mère est tout aussi importante que le père pour le développement personnel des enfants, ce qui représente une évolution quant à la perspective classique qui donne la primauté à la figure maternelle par rapport à l’interaction avec l’enfant, surtout lors des premières années. Le père apparaît donc comme une partie importante et indispensable d’un tout, qui ne fonctionnera harmonieusement que s’il existe une collaboration entre tous les membres de la triade familiale. L’influence du père quant au développement de l’enfant n’est pas seulement bidirectionnelle (elle ne dépend pas que de l’interaction directe père/enfant) mais elle est également multidirectionnelle (elle se manifeste aussi de manière accentuée à partir de la relation et du soutien que le père apporte avec la mère, que ce soutien soit affectif, économique ou matériel), ce qui implique que l’influence du père se manifeste aussi avant la naissance de l’enfant.

Ainsi, plutôt que de renforcer l’influence univoque d’un être (le père) sur un autre (l’enfant), il faut souligner l’importance de cet élément au sein du système le plus décisif pour le développement humain. Ce système est la famille et tous les membres de la famille s’influencent réciproquement les uns aux autres et sont également influencés par d’autres facteurs environnants (notamment, la culture à laquelle appartient la famille, le contexte socio-économique de la famille nucléaire, le niveau professionnel des parents, les caractéristiques de la personnalité des membres de la famille et les contributions de la famille élargie) et dont l’importance ne doit pas être négligée.

De cette façon, le choix d’une perspective systémique, quant à l’étude du rôle du père en ce qui concerne le développement humain, est indispensable, ainsi que l’éloignement de toutes les perspectives qui cherchent à déterminer une hiérarchie quant à l’importance des figures parentales, comme si l’un des deux parents était plus important qu’un autre.

Le père et la mère sont tous deux des éléments essentiels dans le processus de développement personnel de leurs enfants, même si chacun contribue en accomplissant des rôles et des fonctions différentes. La perspective systémique est donc essentielle à toute analyse de la réalité familiale et de ses membres.