IV - Carence paternelle et conséquences psychologiques

4.1 – Absence paternelle et carence paternelle

Bien que cela ne soit pas l’aspect central de cette recherche, vu que nous souhaitons analyser les avantages des rapports père/enfant quant au développement psychosocial, nous consacrerons ce chapitre théorique à la carence paternelle et à ses conséquences.

Certains auteurs s’interrogent quant à la validité des études qui se penchent sur les effets négatifs de la carence de la figure paternelle, étant donné qu’une analyse singulière de la variable carence paternelle  est, du point de vue méthodologique, complexe. Toutefois, il semble évident que l’analyse et l’interprétation de ces études contribuent à une meilleure compréhension du rôle du père en ce qui concerne le développement personnel de l’enfant.

Définir ce qui c’est la carence paternelle, c’est sans aucun doute quelque chose d’assez complexe. En effet, cette carence renferme de nombreux types de rapports père/enfant qui sont, à la fois, et bien évidemment, différents les uns des autres.

M. Porot (1973), en ce qui concerne l’absence paternelle, distingue deux réalités différentes : (1) l’absence réelle, qui peut être durable (que ce soit à cause du décès du père, de son emprisonnement ou bien d’une maladie grave), ou intermittente (dans ce cas, l’absence se doit à des obligations professionnelles), et (2) l’absence virtuelle. Dans ce cas précis, le père habite avec l’enfant mais, en raison de nombreux facteurs (par exemple, le père, surchargé de travail, rentre chez lui fatigué, énervé et impatient), il ne fait aucun effort pour interagir avec l’enfant ou, comme solution, accepte tous les caprices de l’enfant, évitant quelconque tracas, pour passer du temps avec l’enfant. De toute manière, le père renonce, dans les deux cas, à son véritable rôle de père.

E. Sullerot (1992) considère que  « le manque du père ne se borne pas à l’absence du père présent. Un père qui ne répond pas aux besoins d’attachement de son fils, il est également un père manquant » (idem, p. 226). Cela signifie donc que le temps que le père passe avec son enfant ne permet en aucun cas d’évaluer les effets bénéfiques de la fonction paternelle. Ce qui est réellement important, c’est l’amour, la fermeté et la justice que le père apporte à son enfant et dont il fait preuve lors de la réalisation d’activités quotidiennes, telles que l’initiation à un sport, à la lecture ou la découverte de la nature.

G. Courneau (1989) affirme qu’il y a cinq types de comportement qui caractérisent une paternité inadéquate  et qui représentent une immense frustration imposée à l’enfant. Ces comportements néfastes de la part du père sont :

  1. l’absence prolongée du père, indépendamment de la cause de cette absence (qu’il s’agit d’un abandon réel ou bien de l’hospitalisation prolongée du père) ;
  2. l’absence de réponses de la part du père quant au besoin d’affection et d’attachement de l’enfant (des attitudes de négligence et de rejet du père quant aux besoins de l’enfant) ;
  3. les menaces d’abandon proférées par le père et utilisées pour punir ou discipliner l’enfant (il peut s’agir de différentes menaces : abandonner la famille, cesser d’aimer l’enfant, se suicider, tuer l’enfant ou tuer la mère) ;
  4. la culpabilisation de l’enfant (celle-ci est visible lorsque le père affirme que l’enfant est responsable de la maladie ou du décès de l’un des parents) et, finalement ;
  5. l’utilisation de l’enfant comme soutien  du père (surtout dans des cas d’alcoolisme, où l’enfant est obligé d’assumer le rôle d’un adulte, bien avant l’âge).

M. Shinn (1978) considère que l’absence du père peut être provoquée par (1) des raisons sociales (le service militaire), (2) un traumatisme (le décès du père), (3) une stigmatisation sociale (l’illégitimité ou l’abandon) ou qu’elle peut suggérer (4) un conflit parental (le divorce). La signification psychologique de cette absence dépend, en partie, de la qualité des rapports familiaux avant le départ du père et les séquelles psychologiques pour l’enfant dépendent aussi de la cause de cette absence.

Selon F. Hurstel (1997), l’expression  carence paternelle  peut être utilisée pour identifier un homme qui aurait complètement échoué dans son rôle paternel ou pour identifier un homme qui ne lègue rien à ses enfants (aucun bien spirituel ni aucun bien matériel).

Le manque de contact et/ou l’ignorance du père fait que l’enfant ait un énorme vide dans son âme, comme s’il s’agissait d’une « faim paternelle » (father hunger) (B. Erickson, 1998, p. 19). Celle-ci peut advenir de la mort du père, du divorce des parents, d’une adoption, de la dépendance de substances de la part du père, d’abus et d’une  paternité traditionnelle  (les parents établissent des relations rigides et peu affectives, en termes émotionnels, avec les enfants). Cette faim paternelle peut provoquer, plus tard, des situations d’alcoolisme, la toxicomanie, une dépression, une promiscuité sexuelle, des comportements violents et une obsession par rapport à l’activité professionnelle.

Selon M. Lamb (1997), l’absence paternelle peut être néfaste, non pas parce que le modèle sexuel est absent, mais parce que de nombreux aspects (économiques, sociaux et émotionnels) des rôles du père ne sont pas accomplies au sein de la famille.

H. Abramovitch (1997) fait l’apologie du  good enough father  (père suffisamment bon) qui « est proche mais pas trop, qui est fort mais qui ne domine pas, qui est affectionné mais qui n’est pas séducteur, qui est une source de réconfort mais aussi d’exigence en termes de discipline, qui suscite un soutien mais qui permet également l’autonomie de l’enfant » (idem, p. 31).

Cette perspective va dans le même sens que celle du père suffisamment présent qui affirme son identité et qui contribue positivement au développement de l’enfant, (Zaouche-Gaudron, 1997).

Dans le cadre du Mémoire de MR2 présenté en 2003, et dont le thème a été   Carence paternelle et perturbations psychologiques , nous avons abordé, en particulier, la carence paternelle  et nous avons indiqué que résumer le rôle du père à une fonction symbolique n’était guère acceptable. En effet, un père qui est absent de la vie quotidienne de l’enfant, qui ne maintient aucun contact avec celui-ci, qui les abandonne, est aussi un  père carencé.

La notion de carence paternelle ne doit donc pas se fonder uniquement sur la variable absence physique du père (car celle-ci peut être associée à un père qui est absent, mais aussi à un père qui est présent, mais qui n’assume pas ses responsabilités et ses devoirs quant à l’éducation de l’enfant). Cette notion s’appuie également sur la variable qualité du père.

Quelle que soit la carence paternelle, celle-ci peut en effet avoir des conséquences négatives pour l’enfant dans de nombreux domaines, à savoir : une carence d’autorité, la délinquance, les troubles du comportement, l’identification sexuelle, l’auto-estime, le développement intellectuel et le rendement scolaire.

Il faut souligner que les conséquences du manque paternelle sont singulières car elles dépendent de nombreux facteurs, notamment le contexte familial, les caractéristiques de la personnalité des membres de la famille, le contexte socio-économique, le moment où a lieu cette carence, le sexe et l’âge de l’enfant). Tout cela nous met devant des questions sur la présence/absence du père dans le développement de l’enfant et l’influence positive ou négative qu’il peut assumer. Ainsi, en tant que psychologue, c’est très difficile de saisir que les enfants qui subissent l’absence d’un père au long de son développement, ce sont retenues comme des sujets problématiques.