5 - Les tests projectifs

Le contact bihebdomadaire établi avec Daniel pendant trois ans, en situation d’observation participante et d’observation non participante, a fourni différentes informations très intéressantes à propos du sujet.

Toutefois, et de façon complémentaire, nous avons décidé d’utiliser deux tests d’évaluation psychologique, notamment le « Test du dessin de la famille » de L. Corman (1978) et le « Familly Apperception Test » de W. Sotile et al. (1999), dans sa version française.

En ce qui concerne le “Test du dessin de la famille” (L. Corman, 1978), Daniel a immédiatement accepté de le faire, en dessinant d’abord une famille imaginaire.

Il a commencé par dessiner le père et la mère (main dans la main) et le fils (qui s’appelle Jean), placé au milieu ; il s’est montré très attentif quant à certains détails, mais il a fait preuve de peu de créativité et de distinction entre les personnages, surtout au niveau des rôles dans l’intérieur de la famille.

Lors des questions, il s’est montré moins à l’aise et a commencé par décrire la famille comme étant « joyeuse », le père comme étant « joyeux, sympathique, attentionné et drôle », la mère comme « jolie, sympathique, joyeuse et drôle » et l’enfant comme « intelligent, sympathique, drôle et bon élève ».

Le père serait l’élément le plus sympathique puisqu’il “aide son fils à faire les devoirs et lui donne des cadeaux » ; il serait également le plus autoritaire. Quant à la mère, celle-ci serait la plus malheureuse étant donné que « l’enfant préfère le père, ce qui cause du chagrin à la mère ».

Quant au dessin de sa propre famille, Daniel a également réalisé le test sans aucune difficulté : il a dessiné d’abord le père, ensuite la mère et l’enfant, faisant preuve de beaucoup d’attention quant aux détails mais peu de créativité quant à l’élaboration des trois personnages.

Quant aux questions qui lui ont été posées, il s’est montré mal à l’aise et a dit qu’il s’agissait d’une famille « heureuse » qui est en train de faire un pique-nique et que « les parents ne se promènent pas main dans la main… (silence) », mais que « la mère caresse les cheveux de l’enfant ! ».

Il a décrit le père comme étant une personne « joyeuse, drôle, intelligente, riche et sympathique», la mère comme étant « sympathique, joyeuse, drôle, riche et belle » et il s’est décrit comme étant « joyeux, bon élève et sympathique ».

La mère s’est avérée d’être l’élément le plus sympathique car elle « aide à faire les devoirs, et elle joue à cache-cache et à l’attrape », ainsi que l’élément le plus triste, car une fois de plus, « le fils préfère le père et la mère se sent triste à cause de ça », ce qui fait que lui aussi se sente triste, ce qui le pousse à « jouer à cache-cache avec sa mère pour qu’elle ne soit plus triste ».

En ce qui concerne les deux familles, le contexte est joyeux et drôle et les rapports entre les membres de la famille sont, selon lui, sains, sans conflit apparent, bien qu’il y ait quelques différences significatives entre la famille imaginaire et la famille réelle.

Ainsi, dans les deux cas, le fils est placé au milieu, entre le père et la mère, comme s’il divisait le couple. En ce qui concerne la famille imaginaire, les parents se promènent main dans la main, alors qu’en ce qui concerne la famille réelle la mère présente un comportement affectueux envers son fils, lui caressant les cheveux.

Ce détail est bien curieux et fort intéressant puisqu’il semble représenter l’intrusion de l’enfant au sein du couple, ainsi que la prévalence d’une relation amoureuse entre la mère et son fils par rapport à une relation amoureuse entre un mari et sa femme (le père et la mère).

Ces données latentes démontrent qu’en ce qui concerne la représentation picturale de sa famille, le couple est divisé par Daniel, qui est l’élément attiré et attracteur par rapport à sa mère ; ce comportement est typique lorsqu’il s’agit d’un enfant du sexe masculin pendant la phase œdipienne, mais est peu ordinaire et même peu salutaire lors de la préadolescence, puisqu’à ce stade de développement il devrait considérer sa mère comme l’objet d’un amour impossible et, par conséquent, il devrait s’identifier à son père et débuter un processus d’indépendance par rapport à ses parents, en veillant à former sa propre personnalité.

Le deuxième test projectif utilisé n’est autre que le « Family Apperception Test » (W. Sotile et al., 1999). Pendant la réalisation de celui-ci, Daniel s’est montré mal à l’aise.

Il s’est arrêté à maintes reprises, pendant qu’il parlait, entrecoupant son énoncé par de nombreux silences (certains assez longs) et ses expressions du visage révélaient de l’incompréhension et une certaine gêne face à certaines images, ce qui l’a poussé à dire, à la fin, que les histoires suggérées par les images « lui faisaient penser aux feuilletons télévisés».

L’analyse du protocole de Daniel révèle l’existence d’un faible Indice de Dysfonctionnement Général (18), mais aussi la prévalence relativement élevée des conflits conjugaux (3) qui sont, en général, mal résolus.

Nous signalons également le nombre de réponses relatives à un système ouvert de famille (planche nº 3), ce qui semble indiquer que Daniel a un certain besoin de sortir de sa famille pour aller vers le monde extérieur, ainsi que le fait que la tonalité émotionnelle la plus fréquente soit la tristesse (planche nº 5).

Quant à l’analyse subjective des réponses fournies, nous avons pu constater que, soit au début (planche nº 1), soit à la fin (planche nº 21) du test, des situations de conflit conjugal ont été identifiées, lesquelles ont abouti par la séparation des parents.

Ainsi, en ce qui concerne le premier récit, Daniel a déclaré : « (silence) Les enfants sont un peu tristes… Leurs parents sont en train de se disputer (silence). Je ne sais pas pourquoi (silence). L’histoire se termine par la séparation des parents. »

Quant au dernier récit, Daniel a déclaré : « La mère dit qu’elle ne veut plus rien savoir du père et les enfants ont peur, ensuite, … (silence) ils se sont divorcés, la fille est restée avec la mère et le fils avec son père ».

Quant à la dernière planche, il est curieux de constater que c’est la mère qui ne veut plus avoir aucun rapport avec le père et que, malgré le divorce, les enfants resteraient avec les parents du même sexe, ce qui indiquerait, d’une certaine façon, une fantaisie ambigüe : d’une part, il y a le désir et l’attraction par rapport à la mère, soulignés par l’éloignement du père, et, d’un autre côté, il y a un besoin de s’identifier au père, allant, de la sorte, à l’encontre des normes sociales.