Partie I : Fondements méthodologiques, concepts scientifiques et enjeux du marché de l’éducation dans le contexte vietnamien

Chapitre 1 : Contexte et fondements méthodologiques

Pour mener à bien notre recherche il importe donc de trouver une démarche méthodologique qui puisse à la fois intégrer la dimension macro et micro économique de notre problématique et qui permette de tenir compte des enjeux liés à l’environnement du marché de l’éducation au Viêt-nam. Nous prenons comme cadre de recherche le marché des formations de haut niveau universitaire en supposant qu’il fonctionne de manière identique à ceux engendrés par d’autres prestations de service en prêtant toutefois attention à ses fortes particularités. Ainsi si l’on se réfère au secteur du tourisme, nous savons pertinemment qu’on ne vend pas de la même manière des prestations cinq étoiles et des séjours pour les routards : le public cible n’est pas le même, les stratégies de conception et de vente ne le sont pas plus par voie de conséquence. De la même manière, dans le marché de l’éducation, un MMI délocalisé constitue une prestation de service totalement différente comparativement, par exemple, à une formation continue de courte durée. Les différences de public, de coût, d’expertise mobilisée, de procédures d’évaluation, etc., imposent des modalités différentes de délocalisation.

On suppose ainsi que la mise en concurrence peut générer des comportements différents pour l’offre étrangère, dans le secteur des MMI aussi bien que, par exemple, dans celui de l’industrie des services. Ainsi, un hôtel d’une étoile dans un lieu attractif peut se permettre, en l’absence de concurrence, de proposer des prestations basiques à un prix élevé.

Tout d’abord, il convient de se demander si les MMI constituent un marché. La notion de marché est en effet liée à un concept lucratif qui peut interroger la validité de notre fondement méthodologique. Ainsi, « […] les segments doivent être homogènes et distincts entre eux, chaque segment doit pouvoir être exploité en termes de chiffre d’affaires et de marge, les segments doivent pouvoir être accessibles à une communication » 41. On constate que la famille des MMI offre trois des conditions premières et sine qua non sans lesquelles un segment de marché ne pourrait pas exister : une certaine homogénéité - un système concurrentiel et l’accessibilité à l’information – un aspect lucratif. La dernière est, dans notre cas, plus contestable puisqu’elle est relative à l’aspect lucratif qui fait l’essence même d’un marché. Or, à l’image de la situation mondiale, le segment des MMI au Viêt-nam se divise nettement entre les tenants d’une logique commerciale et ceux d’une logique coopérative et culturelle. Cette dernière, par définition, sous-tend une absence de marge et donc de profit aux actionnaires. Nous constaterons cependant que :

  • les programmes de coopération multilatéraux traditionnels, totalement financés par des fonds publics ou sociaux, impactent de moins en moins en volume d’activité sur le jeu concurrentiel. Ils sont à présent largement minoritaires ;
  • tous les établissements, publics comme privés, sont actuellement plus ou moins, dans une dynamique de gestion qui les contraignent à tenir compte des impondérables économiques et qui impactent sur leur stratégie ;
  • une grande part des modalités de délocalisation s’impose a priori de manière relativement identique à tous les acteurs contraints de répondre sur ce segment à des attentes d’excellence de la part du public.

La notion de mise en place stratégique alliant à la fois les finalités scientifiques, universelles mais aussi les réalités économiques ainsi que les activités de développement internationales, s’impose, à l’exemple de toute entreprise internationale, comme un préalable à débattre au sein de tous les conseils d’administration. Dans ces conditions, si nous supposons être dans un marché, les MMI représentent dès lors un segment de marché potentiel en tant que prestation de service spécifique, capable de répondre à la demande d’un public ciblé. Mais finalement, c’est le comportement des établissements à l’égard de cette prestation qui devrait finalement nous démontrer si ce marché et ce segment existent, suivant la manière avec laquelle les concurrents appréhendent le marché, fixent leurs tarifs, communiquent avec le public et produisent globalement la prestation.

Nous supposons ainsi que chaque établissement détermine ses conditions de délocalisation en fonction notamment de sa stratégie et des modalités correspondantes :

  1. la stratégie affichée peut être ainsi commerciale, culturelle, de marque, d’influence, etc. Nous remarquerons qu’elle est en partie liée à la nationalité des établissements et notamment de leur origine anglo-saxonne ou pas. Nous observerons aussi des variables concernant l’origine des projets, le type de contractualisation avec les partenaires locaux, la forme de délocalisation, les tarifs et les outils de promotion.
  2. des modalités de mise en œuvre stratégiques, qui mettent en valeur la mise en place, l’organisation ou la gestion des activités. Nous verrons notamment quel est le degré d’autonomie de l’offre étrangère envers les sous-traitants ou partenaires locaux, notamment relatif à toute l’ingénierie pédagogique et les capacités d’adaptation de l’activité aux spécificités locales.

Pour mettre en valeur ces différentes stratégies nous nous appuierons, entre autre sur la chaîne de valeur d’une formation délocalisée, réalisée à partir de l’approche proposée par M.Porter, figure 1.1 :

[Figure 1.1 – Chaîne de valeur théorique d’un master délocalisé]
[Figure 1.1 – Chaîne de valeur théorique d’un master délocalisé]

Nous souhaitons donc prioritairement une mise en perspective dans un environnement concurrentiel pour faire l’articulation entre le concept de marché de l’éducation et celui lié au transfert du savoir. Les outils de gestion et plus précisément d’analyse stratégique, serviront au traitement des risques encourus par la marchandisation des formations à la gestion. En effet, il amène à mesurer la pertinence des choix stratégiques et la manière de les assumer, de les conduire42.

Nous faisons ainsi l’hypothèse méthodologique que certains des facteurs qui conditionnent le fonctionnement du marché mondial des services sont similaires à ceux qui conditionnent l’environnement, le jeu des acteurs et le jeu concurrentiel lié à l’internationalisation des masters de gestion.

Notes
41.

Réf : CERPEG, Centre de ressources pour l'enseignement professionnel en économie-gestion.

http://www.ac-versailles.fr/CERPEG/ressdiscipl/economie/entrep/marche.htm#C1 Académie de Versailles, le 1/11/2008.

42.

L’intérêt de développer de tels outils d’analyse, pour construire une stratégie qui soit en cohérence avec les finalités de l’organisation, a été notamment évoqué par Taylor ou Maslow puis par M. Weber (1995) ou Mintzberg (1999).