2.2.1.1 Mesurer le capital humain

Pour tous les pays, la difficulté est de choisir les stratégies de soutien qui permettent d’enrichir de manière pertinente le capital humain et par la suite, de pouvoir évaluer les résultats. En effet, une politique se justifie très généralement par l’identification d’un « problème de société » auquel les pouvoirs publics se sentent tenus de faire face. Il faut justifier de la politique de l’État. Pour rappel, une politique sera dite pertinente si ses objectifs explicites sont adaptés à la nature du problème qu’elle est censée résoudre ou prendre en charge96. Pour parer à cette difficulté, les organisations internationales (ONU, Banque Mondiale, OCDE, etc.) tentent de mettre en place des processus d’évaluation et des indicateurs pour mesurer le « stock de capital humain ». Mais contrairement au capital physique (les usines, les biens matériels, les terrains, les valeurs, etc.), le capital humain est par nature immatériel. Comment faire dès lors pour développer des outils appropriés ?

C’est la science de l’économie de l’éducation qui apporta des réponses techniques grâce, par exemple, au calcul du rapport coût/efficacité des systèmes éducatifs. Cette activité a pris la forme d’une science appelée « l'économie de l'éducation »97. Elle permet d’instaurer l’évaluation quantitative d’éléments qui favorisent l’environnement des apprentissages tels que le taux d’alphabétisation, l’analyse de rapport entre l’effectif des étudiants et les classes ou le nombre d’enseignants ou, surtout, les budgets.

L’économie de l’éducation a notamment été développée par Schultz et Becker98, dans les années 1960, au moment où les États commençaient à s’interroger sur l’efficacité du plus gros poste budgétaire des pays développés99. Les effectifs grossissaient, le nombre d’années d’études aussi, ainsi que le nombre d’enseignants. Ce phénomène est intervenu en plein choc pétrolier100 et la fin des Trente glorieuses101.

A l'origine, les coûts de l'éducation étaient essentiellement calculés par les économistes pour estimer sa rentabilité. Il a donc fallu réaliser des calculs de coût et de rentabilité similaires à tout calcul sur investissement, partant de l’hypothèse que les êtres humains peuvent investir sur eux-mêmes, pour améliorer leurs performances au cours de leur vie active. Cet investissement entraîne des coûts, principalement de formation, qui seront amortis par le surplus d’efficacité qui résulte de l’appropriation de nouveaux savoir-faire et, entre autres, de leur surplus salarial. Pour un Etat, c’est partir de l’hypothèse que l'éducation peut être une activité « rentable », suivant le rapport entre le coût du système éducatif et la production des personnes formées 102 .

Les économistes tels que Schultz, Denison ou Mincer ont décrit l’éducation comme un investissement procurant des gains de productivité et donc des revenus plus importants103. Il a été aussi démontré que l’éducation contribue directement à la croissance du revenu national en améliorant les qualifications et les capacités productives de la force de travail104.

Certaines analyses économiques permettent d’éclairer des problématiques plus opérationnelles105. C’est ainsi que, grâce à l’étude de l’écart d’externalité 106 , nous avons une meilleure compréhension du mécanisme de privatisation de l’enseignement supérieur. Ce travail facilite l’identification du processus de motivation des étudiants et des familles pour choisir un programme.L'éducation constitue ainsi le principal vecteur d’acquisition de capital humain. De nombreux travaux empiriques visant à mesurer le niveau de rentabilité ont ainsi été entrepris pour tenter d’améliorer la gestion et le fonctionnement des systèmes éducatifs. Ils ont tous plus ou moins directement contribué à une meilleure maîtrise des coûts de l’éducation et par voie de conséquence, ont eu un impact sur son environnement pédagogique, en collaboration ou en complémentarité avec toutes les autres sciences humaines et sciences de l’éducation que nous ne pouvons naturellement pas toutes mentionner dans cette recherche.

Notes
96.

Conseil Scientifique de l’Evaluation, « Petit guide de l’évaluation des politiques publiques », op. cit.

97.

François Orivel, Les économistes et l'éducation, Dijon  Iredu/CNRS, IREDU-Institut de Recherche sur l'Education, Université de Bourgogne, mars 2005, 10 p.

98.

Tous deux ont obtenu le prix Nobel d’économie et issus de l’université de Chicago.

99.

François Orivel, Les économistes et l'éducation, op. cit.

100.

En 1973, pendant la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l'OPEP, alors réunis au Koweït, annoncent un embargo sur les livraisons de pétrole contre les États « qui soutiennent Israël ».

101.

Période de forte croissance économique entre 1945 et 1973 qu’a connue une grande majorité des pays développés.

102.

Nous verrons par la suite que cette hypothèse est soumise à condition car des plafonds de développement ne permettent pas d’imaginer des courbes exponentielles d’évolution relative du capital humain en rapport aux investissements engagés.

103.

Pierre Gravot, T hèse macro sociologique : économie de l'éducation. Paris : Economica, 1993, page230.

104.

Selon François Orivel, Les économistes et l'éducation, op. cit. qui indique queLucas (1988) en a fait la démonstration.

105.

Ibid.

106.

Le bénéfice de l’éducation pour la société dans son ensemble n’est pas toujours identique au bénéfice que l’individu en retire pour lui-même. Ibid., page 21.