2.2.3.2 L’enjeu sociopolitique

En tant qu’institution d’Etat ou de tutelle académique, le système éducatif joue un rôle privilégié de régulation ou de contrôle social qu’il exerce sur tout le secteur public, mais aussi sur le secteur privé en tant que tutelle. L’éducation en général et l’école en tant qu’instrument de transmission des savoirs peuvent donc jouer un rôle stratégique particulier de contrôle au niveau social et politique. Dans certains pays, ce rôle dépasse parfois la question des connaissances puisqu’on placera des cours de religion ou de politique au cœur même des programmes d’enseignement supérieur. Il est intéressant d’observer comment le capital humain peut être valorisé dans un contexte international. L’objectif d’enrichissement humain de l’appareil éducatif n’apparaît pas toujours aussi prioritaire, en fonction de l’analyse ou l’interprétation que l’on porte, sur la manière dont les gouvernements peuvent manipuler, plus ou moins ouvertement, les systèmes éducatifs à des fins politiques. L’éducation serait ainsi un outil de contrôle social135. Elle peut aussi représentée, à travers l’appareil scolaire, avant tout un instrument au service des classes dirigeantes et utile au maintien des structures sociales, par exemple par le truchement des sélections. De cette manière, le système éducatif servirait à reproduire la domination de la « classe dominante »sur les autres classes.

D’autres vont plus loin en définissant la relation éducative comme « fait éducatif », en tant que principe de vouloir transformer l’apprenant ou le « sujet collectif de l’éducation », en un modèle « idéal d'être à faire advenir »136. Pour atteindre cet objectif, les États mettraient en œuvre des moyens tels que les systèmes éducatifs, les programmes et les sélections. Le résultat serait l'éduqué. Le fait éducatif est un triptyque social composé des objectifs de l’État, des moyens et de l’être social.

Mais il y a des enjeux sociopolitiques qui se manifestent souvent à travers les crises dans les pays en développement. C’est le cas de nombreux pays ou régions en Afrique centrale, au Darfour, Kenya, Soudan ou en Asie, Afghanistan, Chine (Tibet), Myanmar (Birmanie). Leur forte instabilité politique empêche l’instauration des réformes de l’éducation. Dans de nombreux pays, les enseignants sont, au même titre que tous les intellectuels, les cibles privilégiées car ils symbolisent justement la transmission des valeurs sociales, comme ce fut le cas tragiquement au Cambodge137.

L’enjeu sociopolitique se traduit par des modes opératoires de l’État. C’est ce que nous pouvons observer dans l’exemple de la nationalisation de l’université de Macao, suite à la rétrocession du territoire du Portugal à la Chine138. L’État chinois est fortement intervenu pour piloter le système d’enseignement supérieur, contrairement aux pratiques antérieures. Il est observé que l’intervention peut être utile à la collectivité si deux conditions sont respectées, la première étant que les pouvoirs publics doivent être responsables devant la population et donc doivent rendre des comptes. La seconde est que le grand public doit être éduqué et capable de défendre avec rigueur l’autonomie de l’université et la liberté de l’enseignement face à l’implication de l’État. Cet exemple traduit manifestement l’impact des différences des systèmes de gouvernances de deux États, Portugais et Chinois, sur le même système universitaire. En définitive, l’intervention de l’État a facilité l’accès à un plus grand nombre d’étudiants, a limité la mobilité et donc la fuite des cerveaux et a permis d’ouvrir plus de programmes. Cette intervention a aussi entraîné des effets indésirables tels que des modifications de programmes existants avec une forte influence du pouvoir politique et sans égard pour la qualité de l’enseignement ou sur les perspectives d’emploi.

Notes
135.

Michel Crozier, Etat modeste, Etat moderne. Paris : Fayard, 1987.

136.

Reine Goldstein, Analyser le fait éducatif, une démarche, un outil. Chronique Sociale, Lyon : 1998, page 66.

137.

Il y a trente ans, le 17 avril 1975, les Khmers rouges prenaient le pouvoir au Cambodge avant d’installer un régime de terreur qui tua environ 1/3 de la population soit 1,7 million de personnes, principalement les intellectuels, les militaires, les minorités…

138.

Yee Herbert S. et Mei Kou, 2001, « L'intervention du gouvernement dans l'enseignement supérieur à Macao », in revue Gestion de l'enseignement supérieur, Paris : CNRS, INIST, 2001, vol.13, no 1, pp. 83-101.