2.3.3.2 L’entrée au lycée et dans le supérieur : enjeu qualitatif

L’enjeu stratégique est tout autre pour la période post-obligatoire, au-delà de 16 ans, car elle suscite des intérêts économiques et stratégiques à court termes.

‘«  Selon la thèse de Karmel (1999), le système de prise en charge public est justifié lorsque l’évènement n’est pas prédictible et peut entraîner un trouble et déséquilibre social irréversible ou grave à la personne. C’est le cas de l’accident, la maladie, chômage, évènements familiaux imprévus »170. ’

L’un des enjeux majeurs de l’autofinancement et l’une des justifications de la politique de privatisation se trouve dans ce concept. Il concerne le retour d’investissement espéré suite à l’autofinancement de l’enseignement supérieur et l’évaluation du risque de cet investissement. Il nous faut dès lors interroger les conditions dans lesquelles se déroulent la prestation de service entre l’étudiant ou le client et l’établissement ou le prestataire de service. En tant qu’investisseur et face aux imperfections du marché du travail, l’étudiant ou sa famille est en situation de demander à l’offre de formation si elle est en mesure de lui garantir la réalisation de ses objectifs.

Comment l’étudiant se positionne-t-il en tant qu’acteur pour pouvoir engager un important investissement :

Les analyses macroéconomiques comparatives réalisées dans les pays de l’OCDE à propos des familles en autofinancement depuis 1980 confirment que les bénéficiaires des dépenses publiques dans ce secteur appartiennent plutôt à des familles relativement aisées et qu’ils peuvent espérer des revenus élevés171. Selon ce rapport, le développement de l'enseignement supérieur n'aurait pas sensiblement amélioré l'égalité des chances à cause de l’influence de la scolarité obligatoire. Cette période n'aurait pas su affaiblir, comme elle l'aurait dû, le lien entre la réussite scolaire et le milieu familial. En fait, l’OCDE constate que l’école n’a pas pu jouer le rôle de régulateur social. Sont donc préconisées des interventions en amont, au moment où se développent les capacités cognitives et non cognitives des enfants, de manière à égaliser leurs chances, de bénéficier d'un enseignement post-obligatoire.

Une étude américaine démontre que172, à capacité scolaire donnée, les jeunes Américains les plus pauvres sont presque toujours en mesure de trouver des solutions pour financer leurs études. Pour y arriver, ils tentent notamment : de bénéficier de bourses, réduire la consommation courante pour dégager des ressources, travailler pendant les études et choisir des établissements moins chers, souvent de moins bonne tenue. Ainsi, même dans des conditions difficiles, un étudiant américain qui a le projet de vouloir poursuivre ses études, fait tout pour s’en donner les moyens. L’expérience démontre que c’est aussi le cas dans des pays en développement notamment en Asie de l’Est. Ceci démontre que le repérage et le soutien en amont durant la période obligatoire est peut être un point capital.

Selon Adam Smith, en termes d’autofinancement les choix des particuliers seraient essentiellement justifiés par l’avantage du rendement individuel173. Cet investissement privé produit le capital humain, qui produirait lui-même un avantage qui profite au capital social. C’est donc une conception très libérale qui démontrait qu’il y a un automatisme entre le choix individuel et l’intérêt collectif, ce qui permettrait de légitimer en partie les politiques d’autofinancement par les particuliers.

Il se crée dès lors les conditions d’une externalité puisque l’éducation de l’individu entraîne une augmentation du bien être d’autres individus174. Même si l’offre de formation n’a pas les moyens suffisants de garantir un retour d’investissement parfait, les familles n’ont pas d’autres choix que de croire aux capacités des systèmes proposés par leur Etat. Entre les familles et l’État s’opère un partenariat « tacite » au niveau de l’enseignement supérieur, équilibre des moyens et des ressources, de l’individuel au collectif, qui profite peut-être, au tout à chacun.

Les pays en développement interviennent dans les systèmes d’enseignement supérieurs à travers leurs établissements publics et la tutelle qu’ils exercent sur l’ensemble des établissements privés. Á titre de comparaison, en moyenne dans l'ensemble des pays de l'OCDE175 aujourd'hui, un jeune adulte sur deux entreprendra des études de niveau universitaire ou équivalent au cours de sa vie, tableau 2.1 :

[Tableau 2.1 Espérance de vie scolaire, méthode approximative]
[Tableau 2.1 Espérance de vie scolaire, méthode approximative]

Les situations concernant les effectifs entre le 2ème cycle du secondaire et l’entrée dans l’enseignement supérieur sont très contrastées en fonction de chaque pays. Les chiffres doivent être interprétés avec prudence puisque l’espérance du nombre d’années passées dans l’enseignement ne traduit pas la qualité d’un système à pouvoir aider le jeune à réaliser son projet de vie. Ils indiquent tout au moins des capacités d’infrastructures et d’accueil des pays et la relation avec les capacités économiques des pays176.

Ils indiquent aussi, à capacité économiques égales, les priorités politiques des pays. L’UNESCO a démontré à ce titre, que l’investissement des pays, comme le Chili, la Malaisie ou la Thaïlande, était payant. Leur budget pour l’éducation a augmenté de plus de 30% et ce malgré les crises économiques qu’ils ont traversées dans les années 1990. Leurs résultats s’avèrent positifs, suivant une évaluation qualitative et quantitative (nombre d’étudiants diplômés aux standards internationaux)177.

Notes
170.

Biff, Isaac, Should higher education students pay tuition fees?Paris : CNRS, European Journal of Education, 2002, Vol.37, pp. 433-455. page 448.

171.

OCDE, La massification et développement des universités dans les pays Industrialisés, op. cit.

172.

Réalisée aux États-Unis par Cameron et Heckman cités par MarcGurgand, Economie de l’éducation, 2005, op. cit. page 50.

173.

MarcGurgand, Economie de l’éducation, 2005, op. cit.

174.

François Orivel, Les économistes et l'éducation, op. cit.

175.

Portail internet : OCDE en chiffre 2007.

176.

UNESCO/OCDE, Recueil de données mondial sur l'éducation, op. cit.

177.

Ibid.