2.5 Les logiques de l’offre étrangère

Dans le cadre de leur stratégie d’ouverture, les pays en développement se tournent vers la communauté internationale scientifique pour la formation de leurs élites, afin de soutenir la demande croissante des secteurs économique et social en ressources humaines qualifiées et bâtir ou consolider le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il se crée les conditions d’une demande spécifique, à l’échelle planétaire, première étape d’un processus de construction d’un marché mondial de l’éducation vers des pays qui possèdent l’expertise scientifiques et les moyens financiers, que nous nommerons « l’offre étrangère ».

Une offre produite principalement par les établissements de l’enseignement supérieur publics ou privés des pays développés. L’activité internationale ou transnationale225 se présente sous trois formes : la mobilité (on se déplace vers l’expertise), la délocalisation (c’est l’expertise qui se déplace) et la formation à distance.

C’est donc à la faveur d’une forte conjonction d’intérêts, entre la demande des pays en développement et l’extension de l’offre des pays développés, que se créent les conditions d’émergence d’un marché mondial de l’éducation.

Alors que les activités liées à la mobilité des étudiants ou des enseignants continuent à croître, les établissements modifient fondamentalement leurs stratégies d’implantation des projets à l’étranger pour s’adapter aux réalités du marché. Peu à peu, les programmes de coopération internationale, des PMA ou des ONG, qui permettent d’augmenter l’influence des pays, deviennent minoritaires au dépend des programmes négociés directement entre les établissements. Menés par des établissements privés ou publics, poursuivant une stratégie purement commerciale ou culturelle, ces accords directs sont essentiellement motivés par des logiques de marque. Des logiques qui détachent peu à peu les établissements de la puissance publique, même s’ils profitent encore de l’image de leur pays.

Le marché mondial de l’éducation ne bouleverse pas seulement les traditions de la coopération universitaire. Certains pays poursuivent des logiques de migration pour renforcer leur capital humain. La commercialisation des prestations suscite des débats de fond sur la marchandisation de l’éducation. Les prestations de service payantes, menées dans un contexte international, posent des questions sur l’équité, le contrôle, l’information et donc sur la qualité des services rendus aux étudiants. Mais finalement, en dehors de l’aspect mercantile, en quoi ce concept de marché mondial de l’éducation est-il dangereux pour la valorisation du capital humain ? Ne pourrait-il pas être au contraire une opportunité pour faciliter le développement et accélérer les investissements ? Quels en sont les risques ou les enjeux pour la qualité des formations ?

L’augmentation exponentielle du volume d’activités internationales, la baisse de l’aide internationale au développement en faveur de l’enseignement supérieur, le transfert progressif de cette aide vers les pays les moins avancés (PMA), les problèmes économiques et sociaux rencontrés par les établissements des pays développés vont considérablement modifier la carte du positionnement du jeu des acteurs sur la scène internationale. En présence d’acteurs porteurs d’intérêts particuliers et discordants par rapport à la demande des pays en développement et des étudiants.

L’offre étrangère est censée apporter une valeur ajoutée spécifique qui s’ajoute à celle d’autres acteurs de l’environnement local : les établissements publics, l’offre privée nationale, l’enseignement à distance, les entreprises, l’offre de formation informelle, etc.

La valorisation de l’offre étrangère peut être acquise par des faits historiques ou par des coopérations et de l’aide au développement existants entre les pays ou entre les établissements226. La valorisation peut provenir du nom de l’établissement à condition qu’il soit considéré comme une marque227. Elle peut être aussi associée au fait de provenir d’un pays développé et peuvent être valorisée suivant trois niveaux d’objectifs228 :

Des pays en développement comme la Malaisie ou la Thaïlande offrent des bourses importantes à leurs ressortissants pour aller étudier à l’étranger et permettent l’entrée massive sur leur territoire de programmes et d’établissements étrangers. Á leur retour, les étudiants formés sont censés aider à renforcer les capacités d’enseignement supérieur du pays ou du secteur économique. Cependant étant donné le coût des bourses de mobilité et les difficultés de contrôler leur retour d’investissement, les pays ont tendance à développer l’accueil des programmes et des établissements étrangers dans une stratégie de renforcement des capacités. La Chine souhaite ainsi attirer des ressources éducatives étrangères de très grande qualité et adopter des cursus et des matériels pédagogiques de pointe à l’échelle mondiale, dont elle a impérieusement besoin229.

Notes
225.

Le terme «transnational» signifie «international» pour des organisations telles que l’OCDE. En référence au secteur des entreprises, il pourrait représenter les établissements qui délocalisent des campus à l’étranger.

226.

Broustail, Joël, en collaboration avec Gilbert Palaoro, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, in revue Entreprises et Histoire, Paris, 2005, numéro 41, pp 51-70.

227.

Richard Ladwein « Stratégies de marques et concepts de marques », op. cit.

228.

G. Laurey, « La Mobilité : un acquis », op. cit.

229.

OCDE, Assurance qualité référence "Qualité et reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur : un défi international, op. cit.