2.5.4 Niveaux de risque externe pour les établissements étrangers
Le risque d’entreprendre à l’international pour un établissement dépend du processus interne à son organisation mais aussi de choix stratégiques externes. Ces choix vont entraîner des contraintes logistiques, pédagogiques, règlementaires, contractuelles, financières qu’il faudra assumer à plus ou moins long terme250. L’offre étrangère peut se classer en cinq niveaux de risque, du plus faible au plus important251 :
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Niveau 1 : mobilité ou échanges d’étudiants
Contractuellement, elle engage des établissements sur des programmes de typeERASMUS 252 ou des conventions permettant des accords d’échanges d’étudiants. C’est notamment pour l’absence de risque institutionnel que l’OCDE a constaté le développement de la mobilité étudiante253. L’engagement entre établissements est académiquement important au niveau de la reconnaissance des formations s’il y a validation de la formation durant l’échange. L’enjeu sera qualitatif et quantitatif, les partenaires tenteront d’équilibrer l’échange en termes d’effectif ; -
Niveau 2 : mobilité scientifique ou échanges de professeurs
L’échange de l’expertise scientifique engage les institutions au niveau qualitatif et coopératif. C’est un soutient fort au développement des universités par l’amélioration de la qualité des formations en vue de délivrer un diplôme national. L’intervention peut s’effectuer au niveau du cursus, de la formation des formateurs, du soutien pédagogique, de l'appui documentaire ou de l'accueil d'étudiants et d'enseignants-chercheurs. Essence même de l’échange universitaire, cet engagement est éthique, culturel, universel.
De très nombreux accords cadres sont reconduits tacitement et perdurent pour certains au-delà même de tous les conflits. Ce cadre de coopération engage les budgets mais n’engage pas les stratégies à long terme. Les risques sont qualitatifs et financiers à court terme. C’est par contre un niveau hautement stratégique, puisque que de nombreux projets s’élaborent grâce aux « champions »
254 de la coopération qui l’animent ; -
Niveau 3 : structuration de programmes
Le risque devient important à partir du moment où un processus d’accréditation ou de reconnaissance complet du diplôme est en jeu. Un simple accord d’échange entre une institution comme l’AIT255 et le CERAM256 se transforme en un double master en management pour un étudiant et pour les suivants. Dans ce cas, indique Vulliez, « L’engagement de l’établissement touche l’ensemble de l’organisation puisqu’il entraine l’accréditation et la reconnaissance complète de programmes entre
institutions, impliquent le respect de processus d’évaluation des diplômes. C’est un niveau stratégique élevé qui entraîne des investissements importants ». Ce niveau d’implication est dès lors véritablement stratégique dans le sens où à la fois la qualité et la marque des établissements sont en jeu. Pour assurer ce service, il faudra mettre en œuvre une logistique de soutien bien plus importante que pour le Niveau 1 et 2. C’est un niveau stratégique à haut risque qui demande la mise en place d’outil de contrôle de la qualité et de suivi des étudiants dans les deux structures. Mais l’intervention se joue dans la structure du programme sans pour autant qu’il y ait déplacement des fonctions opérationnelles de l’établissement vers l’étranger. Le risque budgétaire augmente mais reste à court terme sans investissement lourd ; -
Niveau 4 : délocalisation un programme à l’étranger
Il s’agit du transfert des programmes des établissements à l’étranger en s’appuyant sur la structure d’un partenaire étranger. Plus de 30% des étudiants étrangers étaient recrutés suivant cette formule pour l’Australie en 2002257 et les USA offrent cette formule dans au moins 115 pays258. L’OCDE définit ce type de programme d’enseignement comme entièrement conçu part un établissement donné et pouvant aussi être transmis à un établissement partenaire étranger259.
Selon Vulliez, « il s’agit de réaliser un programme adapté pour inoculer, transférer, les connaissances de gestion. C’est ce niveau qui implique naturellement la plus grande implication de l’établissement quant à ses choix stratégiques à long terme ». Ce dernier ajoute que le programme doit faire éventuellement l’objet d’adaptation pour pouvoir transférer des connaissances. C’est un risque stratégique majeur, une véritable implication à long terme de l’établissement. La délocalisation de cursus implique des contraintes liées à la construction du partenariat, l’adaptation du programme scientifique, les conditions de délivrance du diplôme, toute l’ingénierie pédagogique. Il y a une implication à long terme avec des conséquences budgétaires pour assumer les cours, la conduite et l’administration du projet et tous les investissements. Il y a une implication nettement plus forte des fonctions internes administratives et pédagogiques de soutien de l’établissement qui délocalise ; -
Niveau 5 : Délocalisation d’un établissement ou d’un campus à l’étranger
En complément à ces quatre niveaux, il convient d’ajouter la délocalisation des campus ou des établissements, qui est encore marginale mais qui tend à se développer
260
. Le campus délocalisé à l’étranger est une filiale d’un autre établissement « mère » ou en co-entreprise. Un établissement à capitaux étrangers est contrôlé par des intérêts étrangers, il n’a pas de maison mère dans un autre pays.
C’est ainsi que l'université française de la Sorbonne a récemment ouvert un campus universitaire à Abou Dhabi
261
grâce à des accords de coopération culturels. Mais c’est aussi le cas pour bon nombre d’universités provenant du Canada, des États-Unis, d’Inde, de Singapour suivant des logiques culturelles ou commerciales. C’est le niveau de risque maximum. L’engagement qualitatif est total. Le risque financier est très grand à long terme même si le montage permet de protéger la maison mère en la dissociant de l’activité de la gestion immobilière
262
. Les structures n’enlèvent rien aux risques liés au cautionnement, aux charges de lancement du projet et surtout les répercussions éventuelles en cas d’échec. Il faut pouvoir profiter au maximum des capacités offertes par la maison mère pour limiter les charges liées à l’innovation et au transfert de l’activité dans un autre pays.
Malgré l’évolution récente des campus et des établissements délocalisés, l’activité principale à l’étranger est encore largement dominée par les accords au sein des universités locales. C’est pourquoi, les partenariats avec les établissements locaux restent le principal vecteur de la mobilité des programmes et des établissements. D’autres prises risques sont évaluées comme possibles et importantes par des organisations lors de la délocalisation d’un cursus ou d’un diplôme à des niveaux de réalisation et d’objectifs très stratégiques
263
:
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une inadéquation du cursus avec les problématiques régionales qui peut rendre inefficace la délocalisation particulièrement en matière d'employabilité ;
- une faible interaction avec les cursus de l'université d'accueil, qui limite les chances de pérenniser le programme et de former les ressources humaines locales ;
- un faible degré d'internationalisation du diplôme qui se limite, le plus souvent, à la présence de professeurs et au mieux d'un auditoire étudiant de nationalités différentes. Il y a un risque de discordance entre le programme international annoncé et la formation délivrée.
Notes
250.
J.P Lemaire, avec la collaboration de G. Petit, Stratégies d’internationalisation, op. cit.
251.
Classification s’appuyant sur l’expérience de l’ancien directeur-adjoint, Christian Vulliez, chargé de l’enseignement supérieur à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris (CCIP). Voir annexe 2.4.
252.
ERASMUS Europe et « World », programme d'échanges universitaires entre au sein de la communauté européenne et à présent de pays tiers.
253.
OCDE, Assurance qualité référence "Qualité et reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur : un défi international, op. cit.
254.
Champions ou piliers de la coopération : termes employés communément dans le monde de la coopération francophone pour désigner les enseignants qui jouent un rôle très important au profit des activités internationales de leurs établissements.
255.
AIT : Asian Institute of Technology, en Thaïlande, école de management. Cette université sera abordée en étude de cas dans le chapitre IV.
256.
CERAM : Ecole de commerce Sophia Antipolis, France.
257.
Source IDP, Education Australia.
258.
[McBurnie et Ziguras, 2001] cités par K. Larsen et S. Vincent-Lancrin, Le commerce international de services d’éducation : Est-il bon ? Est-il méchant ? op. cit. page 23.
259.
OCDE, Assurance qualité référence "Qualité et reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur : un défi international, op. cit.
261.
Le 19 février 2006 : La Sorbonne et les Emirats Arabes Unis ont signé un accord qui officialise l'ouverture d'un nouveau campus de l'université à Abu Dhabi. Ce sera l'unique extension de l'Université parisienne au Moyen Orient. Les premiers cours ont débuté en 2006.
262.
G-T Hoang, Nguyen, Thi H-G, « Investissement dans l'éducation des familles en milieu rural et offre de ressources humaines », Colloque International, Education/formation : la recherche de qualité, IRD-IER-NIESSAC, HCMVille 18-20 04/2007.
263.
OCDE, Assurance qualité référence "Qualité et reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur : un défi international, op. cit.