2.6.1.1 L’enjeu de la qualité

Les stratégies d’ouverture vont peu à peu conduire la majorité des étudiants des pays en développement de régions telle que l’Asie de l’est, dans des établissements privés locaux ou, pour une minorité, dans des établissements étrangers délocalisés. La multiplication des programmes qui s’implantent à l’étranger, au même titre que les établissements ou programmes locaux, doit faire l’objet d’une attention particulière d’un point de vue qualitatif pour ne pas abuser les étudiants locaux prêts à investir des sommes importantes323.

Alors que l’OCDE met en garde sur les risques futurs du développement du secteur privé, d’autres324 expliquent que les performances des apprenants du secteur privé par rapport au secteur public dans les études internationales, tous niveaux scolaires confondus, donnent à penser que la qualité de l’enseignement privé n’est pas, en moyenne, très supérieure à celle de l’enseignement public. Le privé met à profit des facteurs déterminants liés essentiellement à la plus grande potentialité à l’entrée des apprenants et à leur environnement social.

Il rejoint ainsi l’idée que la sélection des individus est essentielle afin de maintenir les structures sociales325. Etant majoritairement en autofinancement, les apprenants du privé sont généralement issus de familles socialement plus favorisées que ceux du public. Cette analyse est valable à condition que les étudiants ne puissent pas bénéficier du secteur public, soit parce qu’il est absent, soit parce qu’il est saturé, ou déficient.

Ces analyses rejoignent la thèse de la qualité qui n’est pas forcément suppléée à l’investissement, mais plutôt au processus de sélection des étudiants ou des enseignants à travers leurs méthodes d’enseignement326. Il a été cependant observé que la présence du secteur privé permettait, dans certaines circonstances, d’améliorer la qualité du secteur public en jouant un rôle de stimulation.

Certains travaux démontrent qu’il y a un grand risque qualitatif lorsque le privé investit des secteurs compétitifs nouveaux, non concurrentiels, non contrôlés, ou en dehors de la responsabilité des tutelles locales327. Ainsi, dans la majorité des pays émergents d’Asie de l’Est comme par ailleurs en Amérique Latine, les besoins complémentaires des établissements universitaires peuvent être complétés que par des initiatives et des ressources privées, le seul moyen qui soit perçu comme suffisamment réaliste pour répondre à l’expansion de la demande. C’est ainsi que ce sont largement répandues des formations sollicitant peu d’investissement, dans des secteurs d’activités tels que l’administration, la gestion, la bureautique, le secrétariat, etc. Des secteurs à bas coûts et à haute demande, qui suivent une stratégie de volume328.

Progressivement en Asie de l’Est, le secteur privé prend ainsi le pas en volume d’activités sur le secteur public329. Les étudiants des pays développés de la zone, à savoir les Coréens et Japonais, font ainsi partis des moins subventionnés de la planète pour financer leurs études. Les pays émergents comme la Chine ou l’Indonésie suivent eux aussi un modèle d’ouverture vers une privatisation renforcée. Ils rencontrent les mêmes difficultés qualitatives que les établissements japonais, taïwanais ou de Corée du sud, au moment où ces derniers ce sont construits entre 1960 et 1980330. Il est constaté à présent en général que les établissements privés chinois ont peu de prestige auprès du public et peu de moyens. Ils présentent un déséquilibre entre le coût des études et la qualité d’enseignement qui est évaluée comme mauvaise par les familles. Une crainte partagée dans un rapport sur les conséquences des politiques de privatisation qui a été réalisé à l’échelle mondiale par Pelletier pour l’enseignement public dans les pays en développement331. Le problème qualitatif peut s’aggraver dans les pays qui imposent des tarifs au secteur privé, tels qu’aux Philippines ou en Chine, par équité pour les étudiants pauvres qui ne sont pas admis dans les institutions publiques332. Les institutions privées doivent dès lors composer avec des moyens encore plus limités.

Notes
323.

OCDE, Assurance qualité référence "Qualité et reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur : un défi international, op. cit.

324.

MarcGurgand, Economie de l’éducation, 2005, op. cit.

325.

Référence à la thèse de Bourdieu P. et en collaboration avec Passeron J.C., « La reproduction, éléments pour une théorie du système d'enseignement », Paris, Éditions de Minuit, 1970.

326.

MarcGurgand, Economie de l’éducation, 2005, op. cit.

327.

T. Chevaillier, J-CEicher, « Le financement de l'enseignement supérieur : une décennie de changements », op. cit.

328.

M. Porter, L'avantage concurrentiel, op. cit.

329.

Graphique 4.6, page 163 : % secteur privé pour la Chine 43%, le Japon 55%, la Corée du sud 70%, l’Indonésie 56%, la Thaïlande 17%, comparativement l’OCDE 20%, in OCDE, Lignes directrices pour des prestations de qualité dans l'enseignement supérieur transfrontalier, op. cit.

330.

R. Hayhoe, “An Asian multiversity? Comparative reflection on the transition to mass higher education in east Asia”, op. cit.

331.

Il est fait état des problèmes colossaux que ces pays doivent affronter pour assumer la relance de l'enseignement public et donc du peu de ressources nouvelles qu’ils peuvent accorder pour favoriser la qualité des pratiques au sein des établissements privés. Gilles Pelletier, D'une décennie perdue au grand bond en arrière: décentralisation, privatisation et obligation de résultats au sein des pays en développement, op. cit.

332.

T. Chevaillier, J-CEicher, « Le financement de l'enseignement supérieur : une décennie de changements », op. cit.