2.7 Conclusion du chapitre 2

Pour pouvoir assumer leur développement économique et social, les pays se doivent d’exploiter de la manière la plus pertinente possible leur capital humain pour le transformer en capital social. C’est une condition de développement incontournable et ce malgré le manque de moyens et l’importance des ressources naturelles. Pour pouvoir répondre à l’enrichissement des ressources humaines et former les futurs cadres et chercheurs à la hauteur de leurs espérances économiques et sociales, les pays émergents doivent cependant faire appel à l’investissement privé local ou étranger. Derrière cette dépendance économique et scientifique se crée un enjeu d’influence qui concerne de près la préservation des valeurs culturelles et sociales principalement des pays émergents fortement demandeurs, car l’éducation est le principal vecteur de transmission non seulement du savoir mais aussi des valeurs.

Le coût du système éducatif est prohibitif pour des pays qui au même moment sont dans l’obligation de soutenir la construction de l’ensemble de leur système économique et social dans un temps record. Les pays émergents n’ont pas le choix, ils doivent investir et soutenir les bases de leur système éducatif, notamment la période de scolarité obligatoire et déléguer tout ou partie du système au secteur privé, notamment l’enseignement supérieur. Les nombreux pays émergents de régions comme l’Asie du Sud-Est peuvent ainsi escompter sur un énorme potentiel de ressources humaines pour pouvoir, à l’instar des dragons japonais ou coréens, construire et se développer en un temps record. Cependant, cette perspective les pousse à poursuivre des systèmes de gestion de l’appareil éducatif finalement très libéraux, certes déjà éprouvés par les pays développés de la zone, mais les conduisant irrémédiablement vers une privatisation effrénée de tout ou partie de l’appareil universitaire. Ils doivent en assumer les conséquences telles que la discrimination économique, le risque de ne privilégier que des élites, de passer à côté d’un potentiel de ressources humaines ou de créer des tensions sociales, etc. Le financement de l’éducation pousse ainsi constamment les Etats à devoir se confronter à des choix difficiles.

Ainsi, ces pays sont amenés à poursuivre dans leur ensemble des politiques éducatives libérales et élitistes à l’instar de leurs grands frères, les dragons asiatiques. Ils se tournent à la fois vers les investisseurs étrangers et vers la communauté internationale pour compenser leurs systèmes éducatifs insuffisants ou obsolètes. Ceci crée de facto les conditions favorables à l’émergence d’un énorme marché mondial de l’éducation, animé par la course à l’expertise scientifique, au développement, à la croissance économique à tout va, principalement des pays industriellement les plus développés vers les pays émergents. Ces derniers doivent ainsi assumer l’influence des bailleurs de fonds et/ou des pays étrangers, soit à travers les conditions économiques ou de conduites politiques qu’ils fixent pour accorder leurs subventions, soit à travers les systèmes et les valeurs sociales qu’ils véhiculent par le transfert des savoirs.

Ce marché de l’éducation a en effet des conséquences majeures car il est très spécifique. Il véhicule et amplifie les imperfections émanant de n’importe quel type de marché mondial de service. Ceci est lié à la fois à l’environnement du développement et à la particularité de la prestation éducative. Par définition, les marchés des pays émergents ont encore moins de capacités de pouvoir informer les étudiants sur la qualité de choix des formations. Tous les réseaux d’informations et de communications sont en construction. La prestation éducative vendue est généralement totalement nouvelle et les systèmes d’assurances qualité qui couvrent habituellement ces prestations sont presque inexistants. Deux bonnes raisons donc pour accentuer les imperfections d’un marché : le manque d’information et le manque d’assurance qualité.

Mais ceci n’empêche pas naturellement l’offre étrangère de proliférer et le marché de s’étendre, en raison de l’habitude que certains pays ont pris de promouvoir leur système éducatif à travers l’activité privée pour pouvoir mieux le défendre et surtout le financer. C’est notamment le cas de la majorité des pays anglo-saxons. La tendance actuelle de recherche d’autofinancement des pays qui traditionnellement poursuivaient essentiellement une logique culturelle ne fait qu’augmenter la motivation et la pression de l’offre étrangère pour activer le marché. L’offre n’a aucune difficulté à se valoriser face à une demande qui finalement n’a pas beaucoup de choix et surtout peu de recul pour évaluer la situation et prendre d’autres décisions. L’offre se caractérise essentiellement par une panoplie de prestations dérivées des ancestrales activités de coopération. On retrouve ainsi des niveaux de formations qui vont du simple échange jusqu’au transfert total d’un campus à l’étranger. Mais l’activité choisie impose un niveau de risque et une logique stratégique. On peut ainsi considérer que les échanges simples d’étudiants tels que ceux qui participent au programme ERASMUS, ou les activités de coopérations universitaires entre les établissements, sont encore empruntes d’une logique purement culturelle. Les bénéfices financiers qu’engendrent ces activités sont secondaires. Ces activités restent sans réelle prise de risque. Il n’en est pas de même pour les établissements qui poursuivent une logique marchande et qui, notamment à travers le jeu des mobilités des étudiants et des formatons délocalisées, engendre une activité économique d’exportation qui tend même parfois à garantir l’équilibre de l’activité purement nationale.

Bref, pour un nombre grandissant d’établissements, le marché mondial de l’éducation est crucial pour leur développement. On ne peut pourtant pas négliger la difficulté qualitative de pouvoir conduire ces formations dans un contexte international. Au-delà du risque financier pris par l’offre, le transfert du savoir d’une culture vers une autre est une opération très complexe, non garantie et facteur de risque autrement plus important pour les pays récipients. Ce n’est plus la dimension économique qui est en jeu, c’est celle de l’éthique, de la qualité du transfert du savoir, en fait de l’évaluation de la pertinence du marché de l’éducation. C’est ainsi que risque d’être confrontée la logique commerciale à celle de la qualité : est-il possible de faire du commerce international en utilisant le savoir comme marchandise ?

Avec ou sans bénéfice commercial, la question de la qualité du transfert se pose cependant quoiqu’il advienne et même lorsque les établissements poursuivent une logique culturelle. La prestation éducative dans un contexte international est conditionnée par un environnement et un jeu d’acteurs multiples et complexe dont les intérêts ne sont pas forcément convergents. Il est dès lors difficile de déterminer les finalités de l’activité et donc ses contenus ou ses méthodes : à qui doit-elle profiter ? Aux étudiants qui, après tout, sont les principaux payeurs et qui attendent un retour d’investissement sous la forme d’une brillante carrière. Aux Etats qui avant tout souhaitent la formation de cadres qui soutiennent le développement et permettent de différencier les systèmes de production de biens et de services sur la scène internationale. Aux entreprises qui, dans le monde du développement sont souvent soucieuses de rentabilité pour soutenir une croissance rapide. Aux universités locales qui ont tout autant intérêt à voir se développer ce type d’activité pour enrichir leur propre expertise scientifique, soit par les échanges de savoirs soit par la formation des cadres universitaires ou des chercheurs. Tout ces acteurs représentent la demande mais aussi font partie intégrante de l’acte même de formation. Les étudiants sont au centre du processus de transmission du savoir pour eux-mêmes et pour leurs camarades, l’Etat/tutelle continue à réguler le système éducatif malgré les politiques tournées vers la privatisation et les entreprises ont en principe un rôle actif et dominant de veille mais aussi de formation. Les acteurs du marché de l’éducation occupent ainsi plusieurs fonctions et tiennent plusieurs rôles qui peuvent parfois paraître contradictoires. Il en est finalement ainsi des établissements universitaires étrangers pris dans une tenaille entre la qualité des savoirs transmis et leur propre équilibre financier ou développement.

C’est dans ces conditions que doit se développer le transfert du savoir des pays occidentaux vers des pays émergents et ceci sans compter sur les dimensions interculturelles. En effet, dans la logique de la chaîne de valeur qui conditionne sa réalisation, le transfert du savoir oblige au questionnement fondamental des contenus et des valeurs délocalisés dans ce contexte international et multiculturel. Est-ce que les contenus scientifiques et les méthodes véhiculées par l’offre étrangère peuvent être transférés en l’état ou doivent-ils être adaptés aux spécificités locales ? C’est une question clé qui ne peut pas trouver de réponses précises si elle reste cependant posée que sous un angle macroéconomique.