Après des années de guerre, le système éducatif a fait la preuve sur le court terme d’une efficacité étonnante pour s’unifier, se reconstruire, massifier l’enseignement de base et construire les sections du supérieur. La fin de la guerre du Viêt-nam marqua pour l’État l’heure d’une reconstruction dans l’urgence et sans ressources financières. Il fallait unifier un appareil éducatif divisé en deux systèmes contradictoires avec pour seul commun atout les mêmes fondements historiques et culturels.
Au Nord, avant l’unification du pays, l’enseignement relevait de la seule responsabilité de l’État, l’école étant donc totalement publique. « Au Nord, la mobilisation de l’ensemble de la population pour la réunification du pays et son développement ont rendu inconditionnelle l’adhésion de la population à un modèle scolaire égalitaire dans lequel la seule offre est une offre d’ État »455. Ce fonctionnement préfigura l’ensemble du système éducatif actuel456.
Dans la tradition des techniques militaires forgées par les réalités des temps de guerre et du système planifié socialiste, le pouvoir impulsait des directives que des unités mobiles et isolées se chargeaient d’appliquer. La prise de décision était centralisée et sa mise en œuvre largement délocalisée et garantie par des unités très autonomes. L’aide internationale, principalement soviétique et chinoise, appuyait les financements et renforçait l’expertise scientifique, notamment par la formation continue et l’influence sur les programmes. Des milliers d’enseignants ont suivi leurs études dans l’ex-URSS, ce qui explique que la première langue vivante à l’époque était le russe. Le système de recrutement pour l’enseignement supérieur était déjà marqué par l’élitisme et par des quotas quantitativement relatifs à un nombre de places très limités et spécialisés en fonction des besoins d’une économie centralisée. Les sortants de l’université se voyaient très majoritairement attribuer les postes de la fonction publique. L’université était fortement bureaucratique, hiérarchisée, avec des départements et des programmes fortement cloisonnés. Le système offrait cependant de nombreuses passerelles permettant aux étudiants d’améliorer leur qualification et différencier leurs connaissances, notamment dans le cadre de la formation continue.
Pendant ce temps, au Sud, le système est décentralisé et influencé par les normes occidentales, influencée par l’époque coloniale française, puis par les USA qui, dans le contexte de la Guerre froide et à l’image de leurs ennemis, ont intérêt d’étendre leur influence en particulier à travers la formation des élites.
Ce système donnait une grande liberté aux établissements et permettait de diversifier une offre aussi bien publique que privée457. C’était les prémices du marché de l’éducation458, qui favorisa le développement de l’éducation supérieure, par la création de cinq universités et d’écoles spécialisées459. La coopération internationale était développée et logiquement orientée vers les pays du bloc de l’Ouest. Comme au Nord, le financement était décentralisé et provoqua des déséquilibres régionaux qui s’ajoutaient aux inégalités persistantes d’un système éducatif élitiste460. Deux grands principes d’organisation des études supérieures coexistaient461 : d’un côté, le système universitaire ouvert à tous, choisi par une élite qui ne destinait pas une carrière de fonctionnaires, de l’autre côté le système des grandes écoles dont l’accès était réglementé par des concours462.
Le rapprochement complexe des deux systèmes s’opéra entre 1975 et 1986, année du Doi Moi. S’appuyant sur la participation, voire sur l’obligation d’instruction des citoyens463, l’engagement prioritaire de l’État se porte dès lors sur l’éducation de masse. Des résultats rapides permirent la massification du niveau du primaire, le lancement du processus au niveau secondaire de base, ainsi que l’amorce du développement des niveaux supérieurs. Mais le système se démocratise et permet de réduire les écarts entre les classes sociales. Des efforts considérables sont réalisés pour unifier les deux systèmes, mettre à niveau les équipements, les programmes, le nombre d’heures, les règles de fonctionnement et pour standardiser le niveau de scolarité de tous les jeunes464.
Tous ces progrès ne s’accompagnent pas, avec la même efficacité, d’une évolution relative de la qualité. Les moyens financiers manquent malgré l’afflux de nouvelles aides internationales en 1993465. Mais ce n’est pas suffisant pour consolider les pratiques pédagogiques, la formation des maîtres et améliorer les salaires très bas des enseignants. Les équipements sont obsolètes, les investissements pour les nouvelles infrastructures et la recherche sont insuffisants ou inexistants. La politique éducative ne permet donc plus d’assurer un développement pérenne. C’était la période d’après-guerre, il fallait faire des choix466.
Nolwen Hénaff, « Le financement et contrôle de l’éducation. Le cas du Viêt-nam », op. cit., page 266.
Source entretien Ngoc Du, compte rendu, annexe 3.1.
L’enseignement privé couvrait en 1973, au Sud du Viêt-nam, ¾ de l’enseignement maternel, près de 18% du primaire, 45% des collèges, 60% des lycées et 77% du supérieur. Nolwen Hénaff, Jean-Yves Martin (dir), Travail, emploi et ressources humaines au Viêt-nam : Quinze ans de Renouveau, op. cit., page 13. réf. tableau 3 page 21.
Les premières universités privées avaient toutefois une vocation religieuse ou spirituelle. La première université privée au Sud du Viêt-nam se nommait « Université privée Catholique de Da Lat », elle a vu le jour dans les années 60 grâce à la communauté catholique et à ses ressources. La seconde université privée « Université Bouddhique » ou Van Hanh (bonze éclairé) a été créée par le vénérable Thich Minh Chau, vers 1964-65.
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La décentralisation des finances a posé des problèmes de répartition inégalitaire en fonction des ressources locales ou des besoins spécifiques de la population.
L’université de Saigon comprenait plusieurs facultés : lettres, sciences naturelles, droit (dont économie). Les bacheliers s’y inscrivaient sans examens d’entrée. Cette université n’offrait pas certaines spécialités telles que la santé, l’ingénierie, l’architecture. Les meilleurs étudiants qui ne souhaitaient pas poursuivre un système élitiste n’avaient donc pas toujours le choix et devaient s’inscrire dans le système «grandes écoles» pour réaliser leurs objectifs de formation.
Source annexe 3.1.
Les lois sur l’éducation et la formation indiquent qu’il est du devoir (nghia vu) de tout citoyen, dans la tranche d'âge définie, d’apprendre pour obtenir le niveau d'éducation général requis. (Un . 10, 1998 EL ; un . 11, 2005 EL). Nolwen Hénaff, Presentation of the report « Skills for productivity, employment growth and development in Vietnam », op. cit., page 44, Appendix 3. The Education and training system.
Il fallait unifier les programmes, les niveaux des élèves, les ouvrages scolaires, les systèmes d’évaluation, la formation des maîtres, etc.
L’année 1993 marque le début des aides de la Banque Mondiale. Nolwen Hénaff, Jean-Yves Martin (dir), Travail, emploi et ressources humaines au Viêt-nam : Quinze ans de Renouveau, op. cit., page 60.
Rappelons que le pays était encore présent au Cambodge jusqu’en 1989 (année du retrait officiel).