[De la dévalorisation à l’incitation536]
L’élévation du niveau d’exigence des formations confère automatiquement plus de responsabilités aux enseignants et augmente leur charge de travail. Economiquement fragilisés et dévalorisés, ils évoluent dans un environnement bureaucratique et conservateur, qui les incitent à la prudence et à des comportements individualistes.
« L’année scolaire 2007 a été placée sous le mot d’ordre des « Deux Non » (hai không), avec la poursuite de la campagne [Dire non aux phénomènes négatifs et à l’obsession des résultats] à laquelle s’ajoute [Dire non aux manquements à la déontologie du corps enseignant et au passage non mérité en classe supérieure] » 537 . Comme en témoigne ce message de « rentrée scolaire» l’atmosphère dans lequel ils évoluent n’est pas sécurisant. Ils participent parallèlement, volontairement ou pas 538 , au processus de maintien du pouvoir du parti. Ils doivent enfin assumer des contraintes économiques qui peuvent grandement influencer la qualité de leurs prestations.
La valorisation des rémunérations et la reconnaissance des enseignants sont les deux clés de voûtes du développement de tout l’appareil éducatif. Dans les secteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur, le manque de ressources humaines qualifiées et de haut niveau est jugé très inquiétant, mais il est souvent imputé aux faibles perspectives de carrière offertes aux enseignants ou aux chercheurs. Les efforts de l’État à leur égard se sont portés sur la valorisation de leurs salaires539, le maintien du niveau de motivation et de conscience de leur mission sociale et l’amélioration de leurs connaissances par la formation continue540. Mais ces évolutions ne sont pas suffisantes et ne profitent pas de manière équivalente à tous. Les rémunérations restent généralement très faibles et les conditions de travail ou de formation sont très variables et déséquilibrées selon le statut public ou privé des personnes, leur engagement politique, leur spécialité et la notoriété de leur établissement. Parallèlement, ces mêmes vecteurs vont interférer directement sur les chances des enseignants de pouvoir se recycler541 mais surtout de pouvoir mener de front une activité souvent essentielle pour l’équilibre économique du budget familial542.
« Il est important d’améliorer la politique salariale des enseignants, de les rendre conscients de la nécessité de l’objectivité et de l’honnêteté dans l’évaluation et le classement des élèves [...] »543. Comme en témoigne cette étude, le contexte économique impacte directement sur la qualité des prestations et la motivation. Les activités alimentaires 544&545 entraînent une surcharge de travail et d’emploi du temps et les faibles salaires sont à l’origine de certaines subversions. Les plus remarquables concernent les cours supplémentaires délivrés par les enseignants à leurs propres apprenants. Ils sont souvent perçus comme incontournables par les familles mais deviennent malgré tout une véritable institution parallèle, parfois même à l’initiative des établissements546. Malgré leur caractère reconnu par elles comme parfois abusif547, de nombreuses familles548 investissent pour compenser les lacunes du système éducatif et/ou augmenter les chances de réussite de leurs enfants dans ce système si élitiste.
De nombreuses « fraudes académiques »549 sont dénoncées par les usagers, parmi elles les passes droit aux examens, le manque de discipline et les désordres au sein des équipes d’enseignants ou dans l’administration, la production de faux diplômes, les nombreuses lacunes en terme de contrôle aux examens, etc. L’État tente d’enrayer ce fléau mais il manque d’alternatives économiques pour appliquer des mesures efficaces et reconnaît l’importance économique de ce système parallèle550. Ainsi autant l’État, les établissements, les enseignants et les familles sont complices, autant ils en tirent, semble-t-il, des avantages suffisants pour le maintenir.
La gestion des ressources humaines ne facilite pas la formation d’équipe expérimentée. Les personnes les plus anciennes sont les plus sollicitées pour faire profiter de leur expérience551 et démotivent les personnes les plus qualifiées. Les règles importantes concernant le recrutement, la promotion interne ou la mobilité sont décourageantes, notamment pour les jeunes, les plus qualifiés ou les plus motivés. Le système de promotion interne, garantie en grande partie par l’ancienneté, ne favorise pas le recrutement ou le maintien des personnes d’excellence qui auraient intérêt de « se vendre ailleurs »552. Les critères d’évaluation des concours d’entrée dans la fonction publique ne garantissent pas la sélection des personnes les plus compétentes ou motivées 553 . Les mesures incitatives sont insuffisantes pour compenser le manque d’effectif, le vieillissement du corps enseignants et le manque d’expertise554.
Cette gestion bureaucratique et traditionnelle peut cependant profiter aux « enseignants conservateurs » qui ont appris à tirer avantage du système ou aux « enseignants opportunistes », notamment les nouvelles recrues, qui peuvent utiliser le système comme un effet de levier pour leur carrière politique555.
Voir tableaux 3.11 et 3.12 en annexe.
Site du Ministère français des affaires étrangères, MAE, France diplomatie, Viêt-nam, enseignement supérieur, consulté http://www.diplomatie.gouv.fr , consulté le 6/09/2008.
L’adhésion au syndicat des enseignants ou à l’union des femmes est fortement recommandée. Ces deux organisations du peuple sont obligatoirement représentées dans les établissements de l’enseignement supérieur.
Une large part de la croissance du budget de l’éducation est consacrée aux rémunérations des enseignants ainsi qu’aux investissements lourds.
Longtemps considérés comme faisant partis des personnes à honorer au même titre que les parents, les enseignants sont victimes de certains phénomènes qui heurtent la confiance de la population. Ils supportent ainsi les conséquences de la baisse du niveau de la qualité de l’éducation ou les retombées indirectes du processus de socialisation tels que le système des cours supplémentaires qui augmentent les inégalités ou tels que l’égalité face à la préparation aux examens.
La stratégie salariale peut aussi conduire à changer de métier. C’est le cas de nombreux enseignants qui préfèrent, faute de rémunération satisfaisante, se reconvertir en s’appuyant sur leurs connaissances générales ou sur des compétences spécifiques telles que les langues étrangères, la gestion, l’informatique, voir annexe 3.3.
La très grande majorité des enseignants donne des cours du soir, exerce la même profession ou lorsque leur spécialité ne répond pas à la demande assument des fonctions différentes ou créent une petite entreprise. La spécialité des enseignants et la notoriété de leur établissement augmentent grandement leur chance de trouver des vacations. Ainsi un grand nombre d’enseignants de centres universitaires hospitaliers possède leur propre cabinet qu’ils rejoignent à la fin des cours, voir annexe 3.3.
Source : Equipe de recherche de l’Université de Pédagogie de HCMVille: étude, « Les phénomènes négatifs concernant les cours supplémentaires et l’évaluation de l’efficacité des mesures de gestion face à ces phénomènes à Hô Chi Minh-Ville ». Etude réalisée auprès de 2384 élèves du primaire au lycée et 38 établissements d'HCM Ville et auprès de 205 enseignants et fonctionnaires de l’éducation.
Ce travail supplémentaire dépasse parfois la rémunération des enseignants. Nolwen Hénaff, Jean-Yves Martin (dir), Travail, emploi et ressources humaines au Viêt-nam : Quinze ans de Renouveau, op. cit., page 123.
Selon les témoignages, un enseignant d’université publique gagne mensuellement en moyenne 5 millions Vnd (environ 300 US$/mois). Chaque enseignant doit respecter un quota d’environ 300 heures annuelles selon les statuts.Les enseignants du privé sont en moyenne mieux rémunérés, voir annexes 3.3.et 3.8.
Une étude sur les cours de mathématiques et de vietnamien a montré que 38% des élèves de CM2 (classe 5), poursuivait ce type de cours, dispensés dans 96% des cas par leurs propres enseignants. Cette situation entraîne indubitablement des cas de coercition de la part des enseignants à l’égard des jeunes pour les motiver à suivre leurs cours. De nombreux cas d’abus notifiés par les parents nous informent que certains d’entre eux payent ces prestations sous réserve d’une sanction qui peut être affligée à leurs enfants. Ce phénomène a pour effet d’accentuer logiquement la discrimination économique au sein du système éducatif.
La majorité des parents concernés reconnaissent que leurs enfants n’ont plus assez de temps pour faire les devoirs et que ces cours ont une influence négative sur leur santé et leur équilibre. Ceci n’empêchent pas 72,3% d’entre eux de penser qu’ils permettent d’augmenter le niveau des élèves, pour 57,9% qu’ils répondent à leur demande ou leurs besoins et que pour 32,3% qu’ils ont des conséquences sur la lourdeur du programme.
Source : Equipe de recherche de l’Université de Pédagogie de Hô Chi Minh-Ville : étude, « Les phénomènes négatifs concernant les cours supplémentaires et l’évaluation de l’efficacité des mesures de gestion face à ces phénomènes à Hô Chi Minh-Ville ». Etude réalisée auprès de 2384 élèves du primaire au lycée et 38 établissements d'HCMV et auprès de 205 enseignants et fonctionnaires de l’éducation.
44,2% d’élèves suivent des cours d'approfondissement pour des matières déjà suivies en classe ; 54,3% passent de 6 à 15h/semaine dans des salles de cours supplémentaires, 86,9% des parents d’élèves inscrivent leurs enfants aux cours supplémentaires, même les enfants ayant un bon niveau ; 53,1% de parents d’élèves dépensent de 100.000 à 1 million de dôngs/mois (jusqu'à 3 millions/mois). « Cours supplémentaires - les chiffres qui font sursauter », Sources. Articles parus dans le journal « Tuôi Tre » ( La Jeunesse) du 14 juillet 2004, et Le Courrier du Vietnam du 10/02/2004.
Cité dans le texte par l’auteur, voir Jacques Hallak, Formation et enseignement supérieurs au Vietnam - Transition et enjeux, op. cit. encadré N°8, page 36.
Un décret récent les oblige à présent à déclarer leurs heures supplémentaires.
Les professeurs expérimentés doivent assumer en moyenne 20% de cours en plus. C’est le principe inverse dans la majorité des pays où les enseignants qualifiés assument moins d’heures de cours magistraux pour se consacrer notamment aux travaux de recherche ou au suivi des étudiants.
Par le jeu des mobilités et des promotions, la compétence n’intervient pratiquement pas dans la promotion de carrière. Une mobilité ne peut conduire au pire qu’à une promotion hiérarchique. Ce système bureaucratique a notamment été analysé par Crozier M., 1963, Le phénomène bureaucratique, réédition 1985, le Seuil.
Tu Huyen Nguyen Xuan, 2006, « Formation de formateurs, ingénierie de la formation, mutations et compétences professionnelles, contributions à un projet de professionnalisation des enseignants », op. cit., page 23.
Les futurs enseignants bénéficient d’exonérations durant leurs études. Les jeunes enseignants titulaires d’une licence bénéficient de conditions de travail plus favorables permettant de favoriser leur formation, ils doivent assumer un nombre réduit de 90 heures de cours par an.
La promotion par l’ancienneté peut inciter une personne jeune à construire sa carrière en cumulant les avantages du fonctionnariat avec ceux offerts par les administrations des organisations de masse qui se trouvent au sein de l’appareil éducatif. C'est le cas pour de nombreux lycéens ou jeunes qui ont échoué dans le système scolaire ou universitaire faute de places, de moyens financiers ou de potentialité. C'est aussi un moyen accéléré pour accéder à des hautes responsabilités pour les étudiants à fort potentiels, qui choisiront une carrière politique plutôt que d'exercer leur spécialité. L'intégration des élites est ainsi actuellement préconisée par le PCV pour le renouvellement, le rajeunissement et l'amélioration de l'expertise au sein du parti.