Mais comment est-il possible dans ces conditions d’améliorer le capital existant des ressources humaines avec un jeu d’acteurs en pleine mutation ? Les enseignants deviennent des prestataires de service évoluant dans un jeu animé par des établissements en concurrence et pour des étudiants/clients. La question se pose clairement dans certains établissements vietnamiens :
‘« Le projet d’établissement est-il “au service des [étudiants]” ? Élaboré par des personnels non-enseignants, qui n’ont que des relations indirectes avec les jeunes, il est compréhensible que les références à ces bénéficiaires de la formation se traduisent sous une forme bureaucratique : les étudiants sont devenus l’un des paramètres à prendre en compte dans un tableau de prévisions chiffrées (Projet, 2006 : 18, 22) […] Il s’avère donc nécessaire de compléter le projet existant par l’identification des différentes identités culturelles et professionnelles, par l’élaboration d’une armature d’objectifs opérationnels et par la consultation des principaux acteurs de la formation que sont les formateurs et les étudiants » 556 . ’Voilà exposée une manière de s’interroger sur l’intégration de la notion de prestation de service au sein de l’appareil éducatif vietnamien.
La modification du positionnement de l’étudiant dans la relation éducative est véritablement une nouvelle donne pour les établissements vietnamiens. Mais cette intégration ne sera pas facile dans un système si traditionnel et bureaucratique. C’est ce qui fait dire à cet enseignant, suivant l’impression probable d’un grand nombre d’entre eux, que « Les étudiants doivent considérer le formateur comme leur père, leur aîné ou leur leader et ne pas oublier cela [...] » 557 & 558.
Le rôle traditionnel qui incombe à des enseignants qui se sentent responsables du maintien des traditions559 va de plus en plus être troublé par un marché de l’éducation qui confère aux étudiants un rôle de client. Ils craignent que cette fonction soit contestée par des étudiants mais de plus en plus critiques et autonomes560. « Les enseignants manquent de formations innovantes, notamment dans le domaine des nouvelles technologies »561. Ils sont aussi bousculés pour accélérer la mise à jour de leurs connaissances alors qu’ils en n’ont pas matériellement ni les moyens ni le temps.
Mais entre une fonction sociale bouleversée et des compétences scientifiques insuffisantes, les enseignants locaux ont-ils les moyens de répondre aux nouveaux défis ?
« Mais de toutes façons les enseignants ne lisent pas»562 ou plutôt n’ont pas le temps de lire. Même s’ils avaient la possibilité de se former, de fait, le manque de temps et leur suractivité les limitent sérieusement dans leurs capacités de se former ou de faire de la recherche. Amplifiée par certaines obligations institutionnelles563, cette surcharge de travail limite considérablement leur possibilité d’assumer le suivi des étudiants, de préparer les cours, bref d’assumer pleinement leurs responsabilités. Rappelons aussi que cette suractivité permet aussi de compenser, par le jeu des mobilités et des vacations, le manque de ressources humaines des établissements564.
L’État a réussi pour l’instant à maintenir un effectif d’enseignants en adéquation avec la progression des effectifs étudiants565. Il faudrait cependant l’augmenter de 30% pour atteindre les objectifs fixés à 2020566. Malgré la priorité donnée à la formation des doctorants, le taux de titulaires est en régression567. Celui des titulaires d’un master augmente sensiblement568 mais pose un problème qualitatif, puisque la très grande majorité des personnes a été formée dans les universités locales, ce qui, comme en convient le MOET, n’est pas suffisant pour garantir une mise à jour des connaissances aux standards internationaux. Finalement en 2007, 45% du corps enseignants était titulaire d’un diplôme de 3ème cycle, master 2 ou doctorat, contre 37% en 2000. L’ambition de l’État est de doubler cette proportion d’ici 2020, notamment l’effectif des titulaires d’un doctorat pour garantir un seuil minimum de qualité dans les établissements569. Il faut noter des initiatives en faveur de la formation de formateurs, notamment par l’appui de la coopération internationale et des mobilités. Elles restent donc limitées aux établissements de notoriété570. Reste à présent à trouver l’expertise scientifique et les moyens financiers qui permettent de soutenir en masse les activités de formation et le travail de recherche de ces milliers de futurs doctorants.
Tu Huyen Nguyen Xuan, 2006, « Formation de formateurs, ingénierie de la formation, mutations et compétences professionnelles, contributions à un projet de professionnalisation des enseignants », op. cit.
Dans la tradition asiatique le frère aîné a beaucoup d’autorité puisqu’il remplace le père dans la famille en son absence Tuc Thi Phan, Tracer Study : What do the Trainees expect – What Happens to Them after Graduation ? Hanoi : SVTC-Swisscontact Internal Working Paper, non-publié, 2002, page 17.
Tu Huyen Nguyen Xuan, 2006, « Formation de formateurs, ingénierie de la formation, mutations et compétences professionnelles, contributions à un projet de professionnalisation des enseignants », op. cit., page 57.
La nature de l’éducation confucianiste instaura donc la tradition du respect des maîtres qui étaient placés en deuxième position dans la société monarchique quan su phu – roi professeur père, c’est-à -dire que le professeur est placé derrière le roi mais devant le père de famille. Cette tradition est devenue une valeur morale et sociale pour les Vietnamiens. Source : Khanh TrungNguyen, L'université dans la société vietnamienne actuelle : du curriculum formel au curriculum réel : observation de trois établissements à Ho Chi Minh Ville, op. cit.
Ce recueil de citations en donne une image : « … plus les étudiants sont autonomes, plus ils sont critiques et peuvent constituer une menace pour la face de leurs enseignants… » [...] « les connaissances, l’expérience de la vie et les comportements [des étudiants] sont encore ceux des enfants (Nguyen K.D., 2006 : 35) ; [...] « Suivant la tradition, les étudiants vietnamiens doivent respecter leurs formateurs. Nous avons à préserver cette tradition ». Source Tu Huyen Nguyen Xuan, 2006, « Formation de formateurs, ingénierie de la formation, mutations et compétences professionnelles, contributions à un projet de professionnalisation des enseignants », op. cit., page 39.
Hénaff citant Tran Khanh Duc, Hénaff Nolwen, Doi Moi et globalisation : vers un accroissement des inégalités en matière d'éducation, op. cit., page 8.
Ne souhaitant pas non plus en faire une généralité, le cadre universitaire qui a avancé ces propos voulait signifier que les enseignants n’avaient surtout pas le temps de lire. De plus, même si la situation s’améliore, il est difficile de trouver une littérature scientifique en vietnamien et ce malgré tous les efforts produits par l’État pour promouvoir les traductions et le transfert des savoirs technologiques.
Les enseignants doivent aussi couramment assumer des activités internes à la vie de l’institution, de formations politiques, de gestion des organisations de masse, voir figure 3.7.
Ces établissements doivent respecter des quotas d’enseignants permanents et vacataires.
Entre 1999 et 2007, L’effectif global des enseignants a augmenté de 77% sur la période, contre 72% pour les étudiants. Le ratio enseignant/étudiant a en moyenne légèrement diminué dans l’enseignement supérieur général (1/29 contre 1/28). Il a légèrement augmenté dans le secteur public et a surtout fortement chuté dans le privé, passant de 1/33 à 1/25. Ce ratio va probablement augmenter à court terme, dans la mesure où de nombreuses universités inaugurées au cours de ces trois dernières années ne sont probablement pas encore remplies.
L’objectif est de passer à 1/20 à 2020 contre 1/28 actuellement ; Source MOET et « Projet de développement de l’enseignement supérieur pour la période 2006-2020 » (résolution 14-2005/QN-CP, nov. 2005).
Entre 2000 et 2007, la proportion du nombre d’enseignants titulaires d’un doctorat par rapport au nombre d’étudiants a diminué de 2 points dans les cursus universitaires, est de près de 4 points par rapport à l’effectif total des enseignants (15% en 2000, contre 11% en 2007). L’effectif global a progressé de 32% sur la période, 5 882 contre 4 471, soit 1 411 docteurs supplémentaires. L’objectif de l’État est de porter la proportion de titulaire à 35% de l’effectif des enseignants en 2020. Le Viêt-nam ambitionne ainsi d’augmenter l’effectif global de titulaires d’un doctorat de 9 000 en 2006 à 20 000 d’ici 2020, soit 11 000 de plus, dont 50% formés à l’étranger.
La proportion des titulaires d’un Master a augmenté de 12 points, soit 34% des effectifs enseignants en 2007 contre 22% en 2000. Les objectifs de l’État sont d’atteindre 40% en 2010 et 60% en 2020.
Pour ouvrir des écoles doctorales, les établissements devront désormais compter dans leurs rangs au moins 15 professeurs titulaires d’un doctorat. Un classement officiel des établissements de formation sera établi, afin de contrôler la qualité de l’enseignement dispensé. Ceux qui tomberont dans la catégorie « faible » seront obligés de fermer.
L’université publique de gestion que nous avons suivie renforce l’expertise de ses 550 enseignants permanents par l’envoi annuel d’une dizaine d’entre eux à l’étranger pour poursuivre des formations qualifiantes. Les estimations sur l’expérience de formation de niveau international de l’équipe de cette université montrent que : près de 20% a suivi des programmes diplômants et/ou divers à long terme et qu’environ 20% ont suivi des stages de formation qualifiants de courte durée. Cette université recherche à promouvoir la mobilité tout en diminuant les risques de fuite de cerveaux. Elle propose ainsi, lorsqu’elle est en mesure de contrôler les moyens mis en œuvre, des programmes de formation de courte durée et spécialisés, soit vers des enseignants bien implantés dans l’université, soit en recherchant à valoriser les perspectives de carrière pour les plus jeunes permettent. voir annexe 3.3.