3.3.7 Le rôle paradoxal des entreprises

Principal bénéficiaire de l’activité de formation par le marché de l’emploi mais aussi client potentiel grâce à la formation continue, les entreprises peuvent être aussi au cœur du processus de formation. Elles peuvent préciser leurs attentes, intervenir dans la formation, accueillir des stagiaires, suivre les diplômés et surtout participer à un état de veille permanent qui doit faciliter la corrélation entre les besoins de formation nécessaires pour soutenir leurs activités et les compétences délivrées aux diplômés. Mais quand est-il au Viêt-Nam ?

Il apparaît en fait que leur influence est limitée. Leur manque d’implication dans les processus de formation et la gestion des ressources humaines de la plupart d’entre elles risque en fait d’accentuer la pénurie des cadres et l’inadaptation des compétences.

Pour stabiliser leurs équipes, les entreprises s’adaptent aux attentes des cadres574 et tentent de jouer sur la contractualisation à long terme575, la valorisation des salaires et sur la formation continue. De forts écarts de salaires existent entre les cadres et les autres personnels576, justifiés autant par la présence des expatriés que par une politique salariale générale577. De plus en plus d’entreprises, particulièrement celles à capitaux étrangers, investissent essentiellement sur la formation et appellent leurs cadres à la mobilité ou les envoient en formations internes. En plus des disparités salariales et de formation continue, seuls les cadres peuvent espérer bénéficier d’une bonne promotion interne578. Les entreprises profitent donc de la forte disponibilité de la main d’œuvre technique non qualifiée sur le marché de l’emploi.

Il s’en suit une lutte sans merci entre les entreprises pour acquérir les élites compétentes, une mobilité accrue de ces dernières et l’instabilité des équipes. Les jeunes cadres concernés ont moins de temps pour acquérir de l’expérience, les équipes sont moins performantes, les entreprises doutent de leur retour d’investissement mais surtout craignent de former des cadres pour leurs concurrents579.

Les critères d’embauche de la majorité des entreprises apparaissent être contradictoires avec leur recherche de compétences. Elles recrutent prioritairement les diplômés ayant suivi des études universitaires de longue durée, vient ensuite l’expérience professionnelle et secondairement les formations spécialisées.

On constate donc finalement que la grande majorité des entreprises sont éloignées du secteur de la formation et contribuent très peu à son développement qualitatif. Leur gestion des ressources humaines créent une forte appétence pour les formations longues et généralistes. Il en résulte de la part des étudiants des comportements qui tendent vers la recherche des résultats au dépend d’acquisitions.

Un mouvement de rénovation est cependant amorcé, principalement par des entreprises étrangères, ou par certaines grandes entreprises privées ou publiques investies dans le marché international 580 . Elles centrent ainsi de plus en plus leur politique de recrutement, de formation continue et de promotion interne sur l’expérience, les compétences, la motivation et le projet des personnels. Encore minoritaires, ces entreprises jouent là un rôle qui les éloigne de leur comportement habituel essentiellement critique et passif de recruteur de diplômés et qui les rapproche d’une fonction de partenariat de l’offre en tant que complice de leur formation.

Notes
574.

Ils répondent ainsi aux priorités des salariés qui estiment comme facteurs le plus important à l’embauche : le salaire, puis le complément de revenu et enfin la possibilité de se former. Ils accordent de plus en plus d'importance à la solidarité entre collègues, pour la possibilité d'entraide ou pour l'affirmation d'un sentiment d'appartenance à un collectif.

575.

Plus de 82% des personnels d’encadrement sont sous CDI pour les entreprises étrangères. En moyenne, moins de 50% du personnel est qualifié et moins de 20% non qualifié. Nolwen Hénaff, « Investissements directs étrangers, mondialisation et emploi au Viêt-nam », in Revue Autrepart, Paris : n° 37, 2006, op. cit., figure 1, page 78.

576.

Nolwen Hénaff, « Investissements directs étrangers, mondialisation et emploi au Viêt-nam », in Revue Autrepart, Paris : n° 37, 2006, op. cit., page 80, figure 2.

Les salaires offerts par les entreprises étrangères sont en moyenne nettement plus élevés que la moyenne nationale pour tous niveaux de qualifications confondus. Les écarts sont importants en faveur du personnel d’encadrement. En 2005, le salaire moyen des entreprises étrangères se situait autour de 2 millions de VND (environ 120US$) contre 696 000VND (environ 42 US$) pour les autres entreprises et pour les fonctionnaires. Source principale Minsitry of Labour-Invalids and Social Affairs, 2006 :39. Figure 11. « Change in enterprise wages, 2000-2005 », Nolwen Hénaff, Presentation of the report « Skills for productivity, employment growth and development in Vietnam », op. cit., page 35.

Sources secondaires : entretien Delta consulting, Philippe Dendievel ; Bilans forum ressources humaines CCIFV.

577.

On arrive progressivement à un nivellement de certains salaires des cadres vietnamiens travaillant dans les grandes entreprises comparativement à ceux proposés aux expatriés. A qualité et compétence égale, la charge et les contraintes de l’entreprise est équivalente ou moindre grâce notamment à une taxation moins importante sur les salaires locaux et à la disparition des charges associées d’expatriation (transport, assurance, scolarité des enfants, etc.).

578.

« Une enquête auprès d’un échantillon d’entreprises a montré que seulement 26% d’entre elles avaient assuré des formations en 1998 et 1999 […] Par ailleurs 86% des entreprises ne prennent pas d’apprentis et 76% pas de stagiaires ». Enquête réalisée en octobre 1999 par l’IRD, l’IUED et le MOLISA et financée par la Banque Mondiale. Nolwen Hénaff, Jean-Yves Martin (dir), Travail, emploi et ressources humaines au Viêt-nam : Quinze ans de Renouveau, op. cit.,page 106.

579.

La bulle spéculative est principalement alimentée par les salariés qualifiés vietnamiens qui ont acquis de l’expérience dans des sociétés étrangères et/ou qui ont suivi une formation supérieure à l’étranger.

580.

Nolwen Hénaff, Presentation of the report « Skills for productivity, employment growth and development in Vietnam », op. cit.