3.5.4 L’offre privée joue un rôle dans le marché

Pris dans un cercle vicieux, le secteur privé ne peut finalement renvoyer qu’une image peu valorisante pour la carrière future des étudiants. Il est relégué comme second choix par les familles, réputé accueillir les étudiants ayant théoriquement le plus faible potentiel, perçu comme un endroit qui privilégie la rentabilité au dépend de la qualité des formations. Ceci entraîne des situations discriminantes envers certains diplômés, de la part d’entreprises qui fondent leurs critères de recrutement sur des préjugés relatifs au statut et à l’origine des établissements délivrant le diplôme plutôt que sur les compétences des jeunes diplômés648.

Dans ce contexte, certaines universités ambitieuses tentent de marier la force du réseau d’influence local, les investisseurs financiers audacieux et surtout l’appui de partenaires internationaux pour se différencier et se construire une bonne image de marque649.

C’est le cas des fondateurs de cette future université privée qui indiquaient que « Les objectifs principaux du projet peuvent se résumer à la formation de diplômés correspondant aux meilleurs standards compte tenu des besoins du marché […] »650. Ils se placent clairement à la marge du segment principal du marché privé en considérant que son « […] état d’esprit général est plutôt d’envisager ce « marché » d’un point de vue surtout mercantile, privilégiant la forme plus que le fond (au risque par exemple de miser excessivement sur la notoriété que conférerait le parrainage d’une institution étrangère de renom ! »] 651.

On peut supposer que l’université Tri Viêt peut poursuivre ce positionnement qualitatif tout en garantissant son équilibre économique à condition de mener cette stratégie progressivement652. Ainsi, le fonctionnement et la montée en puissance de formations au standard international seraient garantis par la production de formations de volume et à plus fort rendement.

En conclusion, cette jeune offre privée profite des réformes pour s’accroître en volume. Elle est cependant en pleine phase de construction, de transition et ne peut en l’état que tenir un rôle secondaire et quantitativement supplétif à l’offre publique. Le secteur privé est donc notamment attendu pour augmenter le nombre de places dans les universités. Son avantage compétitif tient essentiellement à son autonomie de gestion, sa plus grande capacité de réactivité pour répondre au marché, ses possibilités d’améliorer la qualité de l’accueil des étudiants. Ce secteur doit composer avec une société qui le dévalorise ainsi que ses diplômés. Il doit surtout pallier un manque crucial de ressources humaines qui le rend fortement dépendant du secteur public. Poursuivant une logique commerciale à court terme et une stratégie de volume, ce secteur est en pleine croissance mais aura des difficultés à atteindre le seuil des 40% des effectifs totaux fixé par l’État à l’horizon de 2020. Il ne peut pas non plus impacter sur la discrimination économique concernant l’accès à l’université puisque par définition il en augmente les charges. Son influence se retrouve donc fortement limitée et il lui sera plus difficile de contribuer à l’améliorer de l’expertise scientifique du pays.

Mais cette situation ne disqualifie pas pour autant totalement et potentiellement ce secteur dans sa capacité à influencer le marché local sur le segment public et sur le segment des formations délocalisées. Il reste dans son ensemble et par défaut, un concurrent du secteur public par l’utilisation d’une partie de ses ressources humaines. D’autre part, l’un des moyens pour lui de gagner en notoriété, en qualité et en rentabilité, serait de développer des coopérations internationales ou locales. Profitant de leur souplesse logistique et administrative, les universités privées peuvent tout au moins héberger des diplômes délocalisés en attendant de tendre éventuellement vers des coopérations plus complexes. Elles se positionneraient dès lors en tant que fournisseur ou partenaire d’une offre étrangère à la recherche d’éventuels alliés locaux. Elles pourraient aussi s’allier avec des partenaires du secteur public pour créer des synergies en matière de ressources humaines, d’infrastructures, d’équipements voire de transfert de crédits653.

Notes
648.

Des situations discriminatoires de ce type ont été relevées en défaveur des diplômés de l’université ouverte d’HCM Ville. Fondée par le peuple, la plus grande université d’HCM Ville a par ailleurs récemment intégré le secteur public. Nous pouvons supposer que les facteurs qui sont intervenus pour cette intégration sont liés : à la particularité de l’équipe enseignante qui était composée en fait essentiellement de vacataires du secteur public, les méthodes d’apprentissages innovantes s’appuyant sur les formations à distance, son volume d’activités et ses effectifs.

649.

Les universités Hoa Sen (Lotus) à HCM Ville, Thang Long à Ha Noi, ou le projet de Tri Viet près de Vung Tau, font partie des rares universités à se positionner clairement sur tout ou partie de leur activité, sur des prestations qualitatives souhaitant atteindre un niveau standard international.

650.

Extrait, page 1, compte rendu d’un atelier de travail pour la création de l’université Tri Viet, voir annexe 3.7

651.

Ibid..

652.

Le projet de l’université Tri Viet traduit parfaitement ce réalisme qui conduit les promoteurs du projet à composer avec la réalité en étant parfaitement conscients qu’il faut, parallèlement assurer une viabilité et une rentabilité économique qui alimentera la valorisation qualitative, voir annexe 3.7.

653.

L’université privée Hoa Sen et l’université publique de Pédagogie ont récemment signé des accords d’échanges très innovants permettant à leurs étudiants de suivre des cours crédités offerts par chacun des partenaires.