3.6.4 L’évaluation de la qualité par le public

Les problèmes d’information nous renvoient directement aux moyens que possède le public de pouvoir évaluer les prestations et construire ses représentations. C’est donc en dehors du système éducatif que se jouent principalement les conditions d’appréciation de l’efficacité des établissements et de leurs diplômes. L’apprentissage de la consommation de masse modifie le comportement de plus en plus de familles sensibilisées pour amortir leur investissement. Il s’opère progressivement une redéfinition des modes de construction de la confiance au sein de la société696. Elles apprennent à assumer leur rôle d’acteurs dans le processus d’évaluation par le marché697. Mais des facteurs importants relativisent encore leur rôle dans le marché éducatif. L’offre locale est encore limitée, les coûts exorbitants de l’offre étrangère limite l’accès aux nantis ou aux boursiers, le processus de sélection est sévère et encore restrictif en termes de choix698. D’autre part, même si ce comportement évolue, les familles n’ont pas pour tradition de juger la qualité des prestations des « maîtres ».

Le Viêt-nam a par ailleurs une expérience très limitée et récente concernant les assurances qualités. L’État comme les établissements tentent la mise en place depuis 2002 des premiers outils de contrôle de la qualité ou d’évaluation par le public699. Conscient de ne pas pouvoir et devoir tout contrôler, il souhaite impulser une dynamique portant vers l’auto-évaluation. C’est ainsi qu’est née la première agence d’accréditation indépendante. On note par ailleurs que le projet de l’État concernant l’appréciation et le classement des établissements devrait aboutir à la création d’un site qui serait rendu public sur la toile700. L’État recommande aux universités de collaborer et profiter des garanties de partenaires étrangers possédant des accréditations de niveau international.

Le meilleur indicateur de notoriété reste donc, avec ses limites, la sélection des familles lors du concours d’entrée à l’université. Mais le manque de relation entre les systèmes de formation et de l’emploi accorde à cette évaluation peu de crédits quant à sa capacité d’évaluer la pertinence des formations par rapport aux besoins du marché de l’emploi. Des enquêtes sporadiques sont commanditées par les tutelles ou des organismes indépendants701, pour évaluer les problèmes d’insertion et d’efficacité de l’offre de formation, mais les résultats restent souvent confidentiels ou ne sont pas des outils publics d’information.

Que ce soit pour le marché de l’éducation ou celui de l’emploi, il est impossible de savoir si les familles maîtrisent les risques de leur investissement. Mais finalement, informées ou pas, souhaiteraient-elles faire un autre choix ? Les prises de risque incertaines ne pourraient-elles pas un jour s’avérer payantes et trouver leur récompense dans un système qui sacralise autant les diplômes ?

Leur rôle est donc encore limité par les difficultés d’un système éducatif et politique non coutumier et peu entrain de reconnaître l’importance des usagers dans l’élaboration d’une politique éducative. Cependant, elles deviennent progressivement les arbitres d’une concurrence naissante entre les établissements. Ce rôle n’est pas négligeable dans un pays où l’éducation est au cœur des préoccupations d’un État qui souhaite parallèlement garder le pouvoir702. Il faudra donc de plus en plus compter sur elles et sur les étudiants dans le marché de l’éducation vietnamien. L’influence du rôle d’appréciation des familles risque de s’intensifier en fonction de l’environnement et du statut de l’offre. C’est le cas des offres qui seront de plus en plus exposées au jeu concurrentiel, notamment pour celles de nature privée qui ne seront pas protégées par le statut d’un État encore très fort. De même pour l’offre étrangère qui sera encore plus facilement dissociée de la traditionnelle responsabilité collective. C’est donc le cas pour les offres les plus chères qui, de manière évidente, sortent des standards habituels et s’inscrivent en plein dans une dynamique commerciale et c’est finalement particulièrement le cas pour l’offre internationale qui se joue à l’étranger et qui par conséquent pourrait encore moins profiter d’un éventuel élan patriotique et serait totalement exposée aux critiques des consommateurs.

Notes
696.

Une étude sur les comportements des consommateurs révèle qu’ils apprennent de plus en plus à imputer la responsabilité de la qualité des produits aux fournisseurs et de s’affranchir ainsi d’une sorte de fatalisme qui auparavant liait la responsabilité à la collectivité et donc finalement à personne. Murielle Figuié, Chapitre 5, page 76, in TruongAn Quoc, Gilbert De Terssac, Les transitions socio-économiques au Vietnam : approches, démarches et méthodologies en sciences humaines et sociales, op. cit.

697.

Nolwen Hénaff, « Le financement et contrôle de l’éducation. Le cas du Viêt-nam », op. cit., page 274.

698.

Le processus de sélection au Viêt-nam : « sélectionner ou non à l'entrée de l'université, comparaison internationale des pratiques et de leurs conséquences », http://www.sciences-po.fr/recherche/seminaire_enseignementsup/161003.pdf, le 25/06/2008.

699.

C’est en 2002 que fut instauré par le MOET le premier bureau d’accréditation de l’enseignement supérieur, suivi en 2003 du bureau « Assessment ». Ce bureau a concentré ses premiers efforts à la mise en place de régulations pour les accréditations d’établissements. Voir complément d’information sur l’évaluation dans les établissements supérieurs, annexes 3.2 et 3.9.

700.

En référence à une interview délivrée par le Vice-Premier ministre vietnamien Nguyen Thien Nhan, traduit par Viet Nam News, page 3, 1/09/2008.

701.

Des sociétés de consulting telle que Openasia sont souvent sollicitées pour réaliser ce type d’évaluation, notamment dans le cadre d’études de marché pour des investissements privés dans le secteur éducatif. Elles compensent ainsi le manque d’informations générales disponibles.

702.

Nolwen Hénaff, « Le financement et contrôle de l’éducation. Le cas du Viêt-nam », op. cit., page 282-83