3.7.4 Les inégalités, un frein qualitatif ?

Cependant le budget de l’éducation ne profite pas suffisamment de la croissance et il ressort de la politique de l’État un secteur de l’enseignement supérieur réservé à une élite749. Quelles sont les origines de ce phénomène, qu’elles peuvent être les conséquences d’un recrutement élitiste sur la qualité des prestations et quels sont les moyens d’action internes des établissements ?

Ainsi que « […] le niveau de vie des parents conditionne quasi mécaniquement le niveau de scolarité que peuvent suivre les enfants ». 750 Nous avons observé que l’élitisme au Viêt-nam n’est pas un choix délibéré mais une conséquence économique. Il importe cependant, dans ces circonstances, de limiter le risque pour la qualité des formations d’un recrutement limité, en procédant à une sélection efficace. Or, dans les faits, l’enseignement supérieur n’est accessible qu’aux classes sociales les plus riches751. La discrimination n’est pas uniquement économique, elle est secondairement géographique puisque les institutions en nombre et en qualité sont très majoritairement concentrées dans une poignée de grandes villes ou certaines régions économiquement plus développées752. Elle est aussi culturelle, puisque, comme nous l’avons déjà constaté, certains groupes minoritaires rencontrent ou cumulent des obstacles insurmontables.

De ce fait, « […] la question de la qualité est à resituer en premier lieu par rapport aux inégalités d’accès au système éducatif, aux emplois et aux revenus […] » 753 .

Rappelons que malgré la progression des effectifs, les places sont encore très limitées dans les universités. En tant que concurrent économique direct mais aussi référent en terme éducatif, comparativement au nombre d’habitants, la Thaïlande propose six à sept fois plus de places.

Ce phénomène impacte naturellement sur le marché de l’éducation puisqu’il en limite le volume d’activité, mais surtout la qualité. En référence à certaines expériences internationales, la diminution d’une assiette de recrutement qui ne se fonde pas seulement sur les capacités des candidats est préjudiciable dans une stratégie qui tend à promouvoir les élites. Elle ne garantit pas un recrutement équilibré et représentatif, socialement, culturellement et géographiquement, qui permettrait d’enrichir le système éducatif grâce à toute la diversité.

Le concours national d’entrée est un système officiellement égalitaire mais qui finalement privilégie les étudiants qui ont, grâce à leur origine familiale, l’opportunité de se préparer en conséquence. Le concours donne la part belle au bachotage. Le potentiel des candidats se mesure sur leur capacité à restituer les connaissances brutes enseignées par leur enseignant. L’absence de contrôle continu, l’exclusion de variables telles que la motivation à apprendre et le projet, limite l’accès de certains étudiants à fort potentiel, même si par ailleurs il a été démontré que ce potentiel est fortement conditionné par la richesse de leur environnement familial et culturel. Les moyens importants mis en place par l’État, bourses de vie, exonération ou diminution des frais d’étude, cours supplémentaires gratuits, sont insuffisants pour satisfaire les énormes besoins.

Le montant des bourses complètes (environ 100 US$/an) a nettement progressé en dix ans et couvre pratiquement la totalité des frais d’inscription et approximativement 10% des charges annuelle totales (environ 1 000 US$/an)754. L’État finance approximativement 90% des bourses755. Mais le budget n’a pas suivi la croissance des effectifs, il y a donc moins de boursiers. Elles sont attribuées annuellement au mérite, ce qui accentue les inégalités sociales756. Les étudiants ou les lycéens nécessiteux ne peuvent pas compter sur cette ressource à long terme. Ils sont donc les plus exposés au désistement avant même de commencer les études, aux arrêts en cours d’études757 et aux échecs à l’examen758.

L’accès à l’enseignement supérieur au Viêt-nam est donc fortement discriminatoire. Le montant des bourses a évolué mais leur nombre ne couvre pas la progression des effectifs. Les soutiens sont donnés ponctuellement, sur le principe du mérite et ne profitent que partiellement et inégalement aux familles les plus défavorisées. Bien que le système de sélection soit démocratique759 et contrôle le flux des effectifs en relation avec l’offre, il valorise le bachotage et l’acquisition par cœur de connaissances parcellaires et parfois obsolètes. En dehors des problèmes sociaux que peuvent révéler cette discrimination économique dans un pays socialiste, le système éducatif ne garantie pas le recrutement des étudiants les plus motivés et possédant la plus forte potentialité. L’effectif restreint du système de l’enseignement supérieur limite l’activité du marché de l’éducation, mais surtout la qualité des formations. Il ne peut pas s’enrichir de la diversité culturelle et sociale qui peut être importante pour un développement équilibré et durable.

Les établissements pourraient agir sur ce phénomène par l’augmentation de l’assiette de recrutement grâce notamment à la croissance global des effectifs. Ils pourraient aussi, à court terme, profiter de la réforme du concours d’entrée à l’université qui, si elle est mise en œuvre, leur donnerait barre pour contrôler le recrutement. Sachant que l’État n’envisage pas de changer son système de soutien élitiste en vers les boursiers et qu’il n’a pas non plus les moyens pour l’instant de l’intensifier, il reste aux établissements la possibilité de profiter de leur autonomie financière grandissante, pour réfléchir à l’interne à d’autres systèmes compensatoires.

Notes
749.

Source : Tuan The Dao, conférence « Développement économique et environnement au Vietnam dans un contexte de forte pression démographique ». Président de l’association pour le développement rural du Vietnam. avril 2007.

750.

Nolwen Hénaff, Jean-Yves Martin (dir), Travail, emploi et ressources humaines au Viêt-nam : Quinze ans de Renouveau, op. cit., page 64.

751.

Les résultats démontrent que moins de 4% des étudiants proviennent du quintile 1, 2 ou 3 et que 80% des titulaires d’une licence, 78% d’une maîtrise et 100% d’un 3ème cycle appartiennent au quintile 5. L’origine sociale est essentiellement déterminée par le niveau de vie. Elle se caractérise dans les références de notre étude par le quintile de dépenses (1 : quintile le plus faible, 5 : quintile le plus élevé), le parcours scolaire, la situation rurale/urbaine et la région de vie des familles. Référence VLSS, 1998, cité par Hénaff Nolwen, Doi Moi et globalisation: vers un accroissement des inégalités en matière d'éducation, op. cit., page 26, tableau 4.

752.

Les trajectoires scolaires peuvent être liées à la situation géographique. Un jeune du 1er quintile habitant en ville ou dans une province plus riche aura plus de chance d’être scolarisé et d’accéder à l’enseignement supérieur. Les régions offrant plus de facilités d’accès à l’éducation sont celles du Delta du fleuve Rouge, ou Sud-est. Les régions les moins favorisées sont celles des Montagnes du Nord, Hauts plateaux du Centre et Delta du Mékong.

753.

Hénaff Nolwen, Doi Moi et globalisation : vers un accroissement des inégalités en matière d'éducation, op. cit., page 8.

754.

En 1998, le montant des bourses couvrait 14,9% du total des droits d’inscription. Réf. Jacques Hallak, Formation et enseignement supérieurs au Vietnam - Transition et enjeux, op. cit., page 22. tableau n°7.

En 2008, les bourses pleines correspondaient à une valeur inférieure à 100 US$. Les charges totales d’étude estimées pour un étudiant en sciences économiques à HCMVille s’élèvent à environ 16 millions VND (environ 1 000 US$), voir annexe 3.3.

755.

En 1999, les bourses attribuées provenaient à prêt de 91% de l’État contre 9% des fonds propres des établissements. Malgré un souhait d’équité, de rendement et d’autonomie, le système se heurte notamment à l’absence d’expérience en matière de suivi et d’information des plus défavorisés et des boursiers, à la bureaucratie, à la difficulté d’appliquer un système unifié dans un système fortement décentralisé, mais aussi à la corruption. Jacques Hallak, Formation et enseignement supérieurs au Vietnam - Transition et enjeux, op. cit., page 22.

756.

Ibid., page 20, encadré N°2.

757.

Le fait, pour une majorité d’entre eux de devoir travailler pendant leurs études limite leurs chances de réussite. D’autre part, ces étudiants ont moins de possibilités de suivre des cours supplémentaires pour se préparer aux examens.

758.

Les estimations portent le taux d’échec ou d’abandon à au moins 10% de l’effectif avec des différences importantes en fonction des spécialités. Ainsi des secteurs tels que les sciences médicales ou les sciences de l’ingénieur ont le taux le plus faible, profitant de l’excellence de leur recrutement. Sources, enquête téléphonique menée auprès des responsables des filières francophones au sud du Viêt-nam dans le cadre des activités de l’AUF.

759.

« […] ce qui différencie les systèmes ouvertement sélectifs, ce n’est certes pas l’absence d’inégalités, mais leur capacité à les rendre visibles et à inventer des modes de compensation pour tenter d’y pallier. La transparence dans l’organisation globale du système, le principe central de diffusion de l’information est partie prenante de cette volonté de réguler les inégalités […] le principal intérêt d’une sélection déclarée est qu’elle offre davantage de transparence […] ». Source, « le processus de sélection au Viêt-nam : sélectionner ou non à l'entrée de l'université, comparaison internationale des pratiques et de leurs conséquences, http://www.sciences-po.fr/recherche/seminaire_enseignementsup/161003.pdf.

Sur le principe donc, le système actuel offre intrinsèquement ces conditions malgré qu’il soit accessible aux plus riches et qu’il soit entaché parfois de certaines irrégularités, voir Jacques Hallak, Formation et enseignement supérieurs au Vietnam - Transition et enjeux, op. cit., encadré N°8, page 36.