3.7.5 Le positionnement de l’offre vietnamienne

Les grandes problématiques soulevées par le système d’enseignement supérieur sont donc bien repérées. Il faut améliorer la qualité des méthodes et les programmes, améliorer l’expertise scientifique, augmenter les ressources financières, faire reculer la discrimination économique pour, qui en dehors de l’intérêt social, doit permettre un meilleur recrutement.

On mesure bien dès lors qu’avec la diminution du contrôle direct de l’État ainsi que son désengagement, ce dernier ne peut que s’appuyer sur le relais local, mais surtout en instaurant une délégation vers chaque établissement, pour rénover le système et mettre en œuvre sa politique. Mais l’offre locale a aussi ses limites et même si elle est en principe de plus en plus responsable de sa stratégie, elle éprouve, à son échelle, de sérieuses difficultés à pouvoir conduire les réformes et garantir une uniformité qualitative au sein de toutes ses fonctions internes. Cette responsabilité est d’autant plus difficile à réaliser lorsque parallèlement on doit assurer sa survie économique. On peut dès lors se demander ce qui reste comme choix stratégique pour l’offre locale.

La culture universitaire vietnamienne a abouti à l’unification de méthodes pédagogiques traditionnelles très ancrées et qui risquent d’être très difficiles à faire évoluer. La résistance au changement peut provenir du pouvoir très important qui continue à être exercé par les employés administratifs ou enseignants les plus anciens. C’est eux qui, dans la pratique, exercent le pouvoir de décision, sont les plus marqués par les traditions et ont à priori le moins d’intérêt pour faire évoluer la situation760.

Il s’ajoute à ce phénomène la difficulté de pouvoir identifier des pratiques pédagogiques unifiées. De grandes divergences de pratiques sont observées entre universités, entre départements, voire au sein d’un même département761. Les discussions effectuées à ce propos dans les conseils scientifiques ou dans les départements ne sont que des préconisations. Cette grande diversité témoigne de l’habitude prise par la majorité des enseignants de travailler de manière autonome.

La réforme des méthodes et des programmes passe donc par celle de la gestion des ressources humaines : il faut pouvoir rééquilibrer les forces et la pyramide des âges, motiver les personnes expérimentées et former l’ensemble du personnel. La réforme est aussi liée à la capacité de gouvernance, à celle de convaincre, pour pouvoir harmoniser les pratiques et valoriser le travail d’équipe. La qualité de la gouvernance se mesure aussi dans la capacité des équipes à pouvoir tirer avantages de leur positionnement ou de pouvoir se différencier dans l’adversité.

La capacité de réformer peut être relative à la spécialité des établissements. Ainsi, certains domaines imposent un minimum d’uniformité et de mise à jour des connaissances. C’est le cas de la santé qui grâce à l’exigence du domaine développe des qualités garanties par l’obligation déontologique, le fort corporatisme, le potentiel des équipes, l’intense activité de coopération internationale et les relations étroites entre tous les milieux hospitaliers.

Paradoxalement, ceci ne se vérifie pas dans un domaine aussi exigeant que celui des sciences de l’ingénieur, où la mise à jour des connaissances est aussi essentielle, mais où il peut cependant apparaître de fortes disparités entre les départements d’une même université762.

La qualité de la gouvernance est un élément important pour faciliter le processus de rénovation. La densité des relations internationales au sein des universités peut être un indicateur pour la mesurer. On a pu ainsi observer de grandes disparités entre des universités publiques du même domaine avec des potentiels stratégiques apparemment identiques (statut, effectif, lieu d’implantation, etc.). Certaines développent des programmes de plusieurs millions de dollars depuis longtemps, pendant que d’autres s’initient aux échanges internationaux.

La qualité de la gouvernance peut aussi s’évaluer par la capacité à pouvoir profiter de son positionnement. Et à ce titre, l’égalité des chances n’est absolument pas garantie. Cette inégalité reflète, à l’échelle des établissements, celle des inégalités sociales subies par la famille. Ce sont les établissements riches qui ont tendance à devenir plus riches. Typiquement, un tel établissement est un pôle d’excellence, généralement il appartient au secteur public, il est situé dans une grande ville, possède déjà une certaine notoriété, etc.

Ce qui peut être rassurant dans le malheur des non élus, c’est qu’ils représentent la grande majorité, que le désengagement de l’État s’accélère et que leurs pouvoirs de décisions et de management augmentent. Partant à pieds d’égalité avec la majorité des établissements et surtout avec peu de moyens, dans un marché en pleine expansion, il reste tout au moins à cette offre locale de pouvoir se différencier grâce à une bonne gouvernance, notamment en s’appuyant sur des espaces de liberté permettant d’agir sur l’accueil, l’ingénierie pédagogique et la programmation scientifique.

Ainsi, le positionnement de l’offre et son développement dépendent de plus en plus des forces internes. L’État assume sa tutelle académique, propose les grandes lignes directives et entreprend les réformes. L’offre locale doit assumer une lourde responsabilité dans un marché de l’éducation instable, en pleine construction, fortement concurrentiel et qui s’internationalise. Les établissements ont plus de liberté, mais peu de moyens et doivent par conséquent garantir leur survie économique. Dans ces conditions, nous pouvons supposer qu’ils auraient la possibilité de s’orienter vers ces cinq grands axes stratégiques :

Les stratégies proposées permettent uniquement de donner un éclairage du jeu concurrentiel de l’offre locale vietnamienne. Un établissement peut poursuivre plusieurs axes ou n’en poursuivre aucun, tout au moins volontairement. C’est le cas, probablement, de nombreux établissements publics qui ne sentent pas attaqués sur le marché.

Quoiqu’il en soit, il s’impose progressivement à tous certaines réalités :

Le développement des relations de coopération, locales et/ou internationales, s’impose déjà à tous les établissements qui souhaitent se positionner au niveau des standards internationaux, améliorer leur image de marque, leur expertise scientifique, leur secteur de la recherche et étendre leurs ressources financières. Les partenariats deviennent un enjeu majeur permettant de franchir les barrières à l’entrée pour accéder au marché international de l’éducation.

Notes
760.

Voir annexe 3.3.

761.

C’est ainsi qu’au sein d’une grande université au sud du Viêt-nam, peuvent se côtoyer des départements qui ont la réputation de poursuivre des méthodes pédagogiques très différentes : un département demande par exemple à ses étudiants, pour la réalisation de leur mémoire de fin de formation, d’appliquer à la lettre sur une étude de cas, des formules scientifiques imposées par le tuteur. Aucune conclusion ou recherche personnelle, ni même une bibliographie n’est demandée. Dans la même université, un autre département évaluera, au contraire, la qualité de l’étudiant dans sa capacité à trouver une idée originale, à effectuer des recherches personnelles et à proposer des perspectives, la bibliographie devenant à ce titre essentielle. Mais rien, dans chacun de ces départements, n’est obligatoire pour les enseignants. Ce ne sont que des principes. Un enseignant pourra tout à fait appliquer le contraire même si cela ne sera pas apprécié.

762.

En référence aux observations effectuées dans les filières universitaires francophones de l’AUF au Viêt-nam et notamment par la comparaison des différentes méthodologies utilisées pour la réalisation des mémoires de fin d’étude.

763.

Le Programme de Formation d’Ingénieurs d’Excellence au Vietnam.