4.3.1 L’émergence élitiste des formations de gestion au Viêt-nam

[L’émergence élitiste des formations de gestion au Viêt-nam837]

La présence de la soixantaine, voire plus, de programmes internationaux de gestion, licences et masters confondus, actuellement proposés ou délocalisés au Viêt-nam, a une source historique lointaine. Depuis toujours, ces formations ont servi l’intérêt de l’offre étrangère autant que celui des gouvernements locaux ou tout au moins d’une frange de nantis. Ces origines lointaines combinées à l’essor récent de ces programmes, à la multiplicité des acteurs et des intérêts, ont fait émerger un marché porté par une offre poursuivant des stratégies et des modes d’intervention très diversifiés.

Rappelons donc que l’existence de ces formations sous leur forme actuelle est liée à une ouverture internationale récente mais aussi « […] à une certaine tradition de collaboration pour la formation des élites, notamment vers l’Europe de l’Est […] La première formation moderne au management apparaît au Viêt-Nam, en 1972, avec le lancement à Saigon d'un MBA par l'université catholique de Da Lat, proposé avec les méthodes pédagogiques attractives des « business schools » américaines. Les cours sont assurés en vietnamien ou en anglais (avec traduction) par des vietnamiens formés aux Etats-Unis ou par des professeurs américains ‘visitants’. Ce MBA accueille parmi ses étudiants quelques élèves de l’ENA de Saigon désireux de se former aux nouvelles techniques de gestion »838.

Ainsi, la formation des élites est le moteur incontestable de la montée en puissance des MMI et dès l’origine les modes de délocalisation dépendaient d’une alternance de stratégie et modèle éducatif très disparates, oscillant entre les origines confucéennes vietnamiennes, le modèle des grandes écoles françaises, l’éducation planifiée soviétique ou l’avant-gardisme américain. La diversité est aussi liée au degré d’influence stratégique et économique, exercé par les pays frères ou qui ont occupé le territoire par la formation des futurs cadres de l’administration ou des futurs dirigeants des grandes entreprises. Ce fut et c’est encore notamment le cas du Japon ou de Singapour.

La place prise par la coopération française, dès le début des années 1990, est liée à son passé colonial, mais surtout à sa forte présence régionale sur le terrain des formations internationales au management, dans les années 1980 et 1990.

« Á l’AIT est créée, en 1987, l’une des premières écoles de management à caractère régional : AIT School of Management. Jusqu'alors, seule l’AIM (Asian Institute of Management), fondée avec le soutien direct de Harvard à Manille en 1969, pouvait prétendre à ce titre mais accueillait en fait quasi-exclusivement des Philippins »839. La France a ainsi continué à marquer son influence grâce notamment à la formation supérieure en gestion, ainsi que dans d’autres domaines, plus sociaux, tels que la santé ou l’agriculture. L’influence et l’affichage français se sont aussi toujours joués à travers la culture et la langue.

La promotion des MMI est donc censée profiter à tout le monde et permet ainsi au Viêt-nam dès 1992, grâce au Doi Moi et même avant la levée de l’embargo américain, de voire naître le Centre Franco-Vietnamien de formation à la Gestion (CFVG). Cette coopération a été très rapidement suivie par de nombreux autres programmes, tels que ceux de l’AUF (à l’époque AUPELF-URE) grâce à des accords bilatéraux culturels. C’est à cette même époque que l’Asian Institute of Technology (Bangkok) a délocalisé ce qui peut être considéré comme le premier établissement à vocation culturelle. Profitant de son intense présence diplomatique, ce fut enfin en 2003, la délocalisation du Royal Melbourne Institute of Technology (RMIT) à HCMV, le premier campus délocalisé à vocation commerciale. L’arrivée du RMIT marque celle de la prolifération des MMI délocalisés dans les départements d’universités vietnamiennes, grâce notamment à la nouvelle règlementation sur les investissements étrangers840.

Les MBA deviennent la principale activité de l’offre internationale. Ils sont perçus comme un produit de formation en vogue qui peut garantir aux étudiants un rapide retour sur investissement. La diversification des programmes master en gestion s’est timidement opérée dès le début notamment par les masters de comptabilité internationale et de développement économique, respectivement initiés par l’Institute of Social Sciences de La Haie (Hollande) et la Swinburne University of Technology (Australie), délocalisés au sein de l’Université Nationale et de l’université d’Economie à Hanoi et HCM ville. La montée en puissance de la diversification s’opère vers 2004. Elle est une réponse à un besoin de diversification au sein d’une offre grandissante suite à l’effet de levier découlant de l’assouplissement règlementaire. Les universités locales apprennent vite et les universités étrangères commencent à repérer le Viêt-nam comme une opportunité d’extension de leurs activités internationales. C’est donc à partir d’une indénombrable activité de coopérations culturelles et d’échanges diverses que se sont construits les formes d’accords plus élaborées telles que les délocalisations. Mais nous verrons que le schéma n’est pas rectiligne, un MMI ne découle pas forcément d’une importante coopération précédente avec le partenaire vietnamien. Nombre d’entre eux profitent d’un environnement, d’un réseau global offrant des opportunités ponctuelles.

Comparativement à 2005, le nombre de pays concernés est pour l’heure identique. La Malaisie a fait une entrée remarquée grâce à sa collaboration avec l’Australie et un projet en accord avec Help Ecu (Australie). C’est le premier représentant régional dans ce marché des MMI. L’Allemagne a quant à elle disparu avec la fin d’un programme de développement841. Elle réapparaît en 2009, de manière structurellement impressionnante, puisqu’elle implante une université au sein de l’UNV HCMV, mais timidement pour l’instant, avec un seul programme lié aux nouvelles technologies. Quatre pays continuent à dominer le marché, avec 88% des MMI (tableau 4.1 infra).

On observe pour l’instant que l’histoire a surtout servie pour la France et les pays anglo-saxons. On peut supposer que des voisins puissants, tel que la Chine, ou des influences plus lointaines, telle que celle qui fut exercée par le bloc de l’Est est notamment par l’actuelle Russie (Union Soviétique), attendent leur heure et notamment plus de maturité, pour tenter de pénétrer le marché.

A défaut de réorientations nationales plus étendue, le classement de tête fait apparaître de sérieux mouvements en l’espace d’une période très courte. Les USA ont détrôné la France (36% contre 26%), l'Australie a dépassé la Belgique (17% contre 10%), alors que les autres se partagent les 12% restants. Ainsi la majorité des nouvelles délocalisations proviennent principalement des pays anglo-saxons, ce qui leur attribue les 2/3 du marché, (Tableau 4.1, figure 4.1, infra):

Le nombre d’établissements impliqués par la délocalisation est stable avec 23 étrangers et 16 vietnamiens.

Même si elle a perdu sa place, la France est le seul pays non anglophone à progresser en volume d’activité, grâce notamment à l’appui de projets de coopération financés par l’Agence Française de Développement. D’autres grands pays de la région, tels que le Japon et la Corée, investissent aussi beaucoup mais sous une autre forme, dans des programmes de coopération en gestion. Ils tentent de répondre à des besoins ciblés dans le cadre de la formation continue et en faveur de leurs propres entreprises internationales notamment pour former au départ les futurs cadres supérieurs en partance dans ces pays.

[Tableau 4.1 - Classement des pays en nombre de MMI délocalisés en 2008]
[Tableau 4.1 - Classement des pays en nombre de MMI délocalisés en 2008]
[Figure 4.1 - Part de marché en fonction de l'origine pays en 2008]
[Figure 4.1 - Part de marché en fonction de l'origine pays en 2008]

On observe donc, sur une courte période, une stagnation des pays présents mais des mouvements importants concernant leur positionnement sur le marché. L’avantage historique est-il en train de basculer au profit de l’anglophonie, de l’économie et de l’influence régionale ?

Notes
837.

Paragraphe principalement inspiré de l’article de Joël Broustail, en collaboration avec Gilbert Palaoro, « La formation des élites managériales dans les économies en transition », op. cit.

838.

Ibid ., page 56.

839.

Ibid ., page59.

840.

Rappel : le décret du Gouvernement du 6 mars 2000 autorise la création d'universités 100% étrangères au Viet Nam. Les universités étrangères se placent d'abord sous statut commercial (avec licence d'investissement étranger pour un établissement commercial d'enseignement) puis académique (autorisation du Ministère de l'Education et de la Formation).

841.

Fin du Master de management public, projet d’aide au développement de l’Université de Posdam.