Passons à présent du stade de la réflexion géostratégique relative aux pays à celui qui concerne leurs universités ou écoles de commerce. Essayons de trouver des points communs entre tous ces parcours si différents quant à la manière dont les gouvernances découvrent le marché et décident de s’y investir. Comparativement au secteur commercial, on considère que la manière d’aborder le marché est cruciale pour garantir la délocalisation suivant les objectifs fixés.
Au préalable intéressons nous aux motivations stratégiques qui poussent ces établissements à délocaliser ces formations. Les quatre catégories que nous avons discernées doivent permettre de faire des liens entre les motivations, les modes de délocalisation et les perspectives de développement du marché à partir des concurrents directs et des entrants potentiels. Nous avons donc observé que les MMI peuvent notamment être générés :
Mis à part quelques rares exceptions, les établissements ont des approches très originales mais peu repérables comparativement aux pratiques commerciales. Ainsi, à notre connaissance, la majorité d’entre eux ne réalisent pas d’étude de marché ciblée pour connaître le public potentiel.
L’intention première de certains établissements peut se fonder sur des informations très générales délivrées par des organisations telle que la CPU : « Le Viêtnam totalisait prêt de 18% des diplômes délocalisés par la France en 2005. Il représente le deuxième pays le plus attractif d’Asie après la Chine (28%) et devance des pays asiatiques qui développent leur stratégie d’accueil des masters délocalisés (La Thaïlande, la Malaisie) »842. On convient que ces informations très globales ne suffisent pas à déclencher une décision, ce que la CPU n’a pas probablement l’intention de faire.
Cependant, à un niveau plus local, certaines études de marché, réalisées par des cabinets spécialisés, donnent parfois des résultats globaux similaires. C’est ainsi que les deux rapports commandés pour la mise en place de l’Université française au Viêt-nam mettaient en valeur des indicateurs macro sur l’offre et la demande pour justifier de la qualité de l’investissement843 :
“While over 95 % of both parents and students say they find the concept interesting, initial response is more favorable among the parents with more of the parents saying it is "very interesting”.
[…] “The aspects most liked by the parents and students are the opportunity to gain foreign language skills and the perceived edge it would give them in gaining employment”. […] “When asked to rate their liking of specific elements, the language skills and the international diploma are seen as the greatest benefits by the parents”. […] “The overwhelming majority of parents feel that French University would be better than Vietnamese universities in general and the university that they/their children are currently considering”. The response is very positive with over 80% of both parents and students saying they would probably or definitely consider French University. At this stage, the fees have not been mentioned to respondents. When the tuition fees are mentioned (VND 3.8 million a month), the level of interest drops dramatically with only 4.8 % of parents and fewer students saying they would definitely consider it”.
Le second rapport réalisé en 2004 est tout autant macroéconomique et sociologique. Il met en exergue comme mobile de l’investissement les attentes globales de familles avides d’éducation, les besoins en éducation du pays, l’offre insuffisante comparativement à une forte demande, les barrières à l’entrée imposées par le concours d’entrée à l’université comme accélérateur de la demande, le faible niveau en langue étrangère des apprenants potentiels, les attentes envers les formations internationales, etc.
A défaut d’études de marché disponibles, les programmes de coopération subventionnés fondent souvent leurs décisions sur la base :
Les Américains, les Australiens ou les Canadiens, brefs les pays anglo-saxons, ont quant à eux une vision plus « market oriented » lorsqu’ils abordent le marché. Lorsque leurs représentants s’adressent aux établissements qui souhaitent s’implanter, ils communiquent clairement en situant l’environnement comme un marché de l’éducation dans lequel il faut pouvoir trouver le bon positionnement.
Nous avons pu observer, lors d’une réunion d’information à HCMV, que les anglo-saxons abordent la problématique avant tout sur l’angle global du retour d’investissement potentiel et sur la protection de leurs intérêts845. Le département du commerce américain n’est pas en reste lorsqu’il parle du marché vietnamien846. Le Viêt-nam est « […] un marché émergent pour les formations diplômantes […] La compétition dans ce marché est difficile mais les établissements américains doivent profiter de leurs forces pour se positionner sur la niche des programmes anglophones ».
Il sous-entend surtout la force du positionnement « pays », de la réputation de ses universités comme étant les meilleures au monde, de la vision idyllique qu’on les jeunes à propos du « rêve américain » … en tout cas, jusqu’à présent. Ainsi, le département du commerce américain, après avoir repris les arguments socio-économiques habituels, concernant la croissance et les besoins en éducation, conseille d’investir dans les formations porteuses : gestion, administration, management public, apprentissage de l’anglais. L’étude fait valoir le positionnement favorable anglo-saxon en s’appuyant sur le fait que, la majorité des étudiants (en référence au 15 000 étudiants à l’étranger), qui ont choisi des destinations autres telles que l’Australie, le Canada, la France, l’Allemagne, préféreraient poursuivre des études au sein des universités américaines « si ce n’était pas aussi cher ». Le calcul serait dès lors facile à faire, lorsqu’on déduit les charges de mobilité sur le coût des formations américaines, on les rend définitivement compétitives sur le marché local. Une fois cette barrière sautée, le public « tomberait naturellement ». On note au passage dans cette étude, que les USA considèrent « UK » comme un partenaire historique qui serait leur associé dans cette compétition.
On notera qu’il n’est fait état d’aucune référence à une enquête pour justifier l’hypothèse qui ferait basculer le public vers les MMI délocalisés américains.
La célèbre International Found Cooperation847, véritable relai du secteur du développement notamment éducatif de la banque mondiale, n’est pas en reste, comparativement aux américains, lorsqu’il aborde le marché. Preuve en est avec le RMIT, qui a bénéficié de ses emprunts pour se délocaliser.
On peut considérer qu’il existe une sorte d’équité entre tous concernant l’absence d’études de marché. Dans ce contexte les établissements et/ou les programmes implantés depuis plus longtemps apparaissent privilégiés. Ils peuvent s’appuyer sur leur expérience, des perceptions ou analyses empiriques, leur réseau local et sur une meilleure connaissance de l’environnement, etc. Á défaut d’ancienneté, il est toujours possible de se référer à des études macro-économiques et/ou sociologiques globales, réalisées par les agences de développement, ou assimilées, des pays qui assurent la promotion culturelle ou éducative, ou de leur homologue commercial. On remarque aussi que le déclenchement et la décision de réalisation de l’activité peut provenir de l’expérience d’un seul enseignant où de la prospection, souvent globale, des affaires internationales. Avant d’investir, les anglo-saxons s’inquiètent avant tout de la rentabilité, de la solvabilité et de leur positionnement stratégique sur le marché. Les établissements provenant des autres pays, principalement des francophones, ont une approche plutôt sociologique, avec une préoccupation stratégique centrée sur la valeur de leur marque et/ou sur le prestige de leur pays, notamment lorsqu’ils sont mandatés pour le représenter.
La manière d’aborder le marché est aussi dépendante du parcours que l’établissement a suivi au Viêt-nam dans le cadre des activités de coopération. Dès lors, nous retrouvons logiquement deux grands courants en relation directe avec les origines nationales. Ils sont le reflet de la politique des pays suivant leur niveau d’investissement dans l’aide au développement ou, cas plus rare, dans les activités commerciales. Ainsi, mis à part le RMIT, les établissements anglo-saxons ont pas ou peu, en fonction de l’état de leurs relations bilatérales, la possibilité de partir du milieu pour entrer dans le marché. Les établissements, principalement francophones mais aussi allemands, hollandais ou suédois, peuvent en principe jouir d’un positionnement historique plus favorable, soit grâce à leurs propres activités, soit pour ceux qui se sont implantés plus récemment, par cet effet d’entraînement historique. Fruit de la politique de leur gouvernement, la concurrence anglo-saxonne doit investiguer le milieu de manière plus prospective, car elle ne peut pas s’appuyer sur un réseau local et un positionnement historique aussi fort.
Source : La Conférence des présidents d'université (CPU), extrait le Journal Les Echos, 12/04/2007, http://www.lesechos.fr/info/france/4561486.htm .
Extraits « Project future Topline Report », rapport Taylor Nelson Sofres, réalisé au profit de l’Ambassade de France au Viêt-nam, 21 Janvier 2002. Etude en appui du document de synthèse et de préfaisabilité du 8 avril 2002 réalisé par Pencha Group Consulting.
Joël Broustail, en collaboration avec Gilbert Palaoro, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, op. cit., page 61.
Voir annexe 3.10.
U.S. Department of Commerce, International Trade Administration. Etude de marché de l’éducation au Vietnam selon un rapport du service américain du commerce extérieur. U.S & Foreign commercial service and U.S Department, 2002. Site : http://strategis.ic.gc.ca/epic/internet/inimr-ri.nsf/en/gr111601e.html , consulté le 27/06/2007.
Organisation membre de la Banque Mondiale. Elle a notamment comme vocation de soutenir les projets de développement en matière d’éducation. Rappelons que c’est elle qui a soutenu le projet de RMIT.