4.3.5 De la contractualisation aux risques

C’est à partir de ces deux modèles règlementaires possibles que vont pouvoir s’organiser les projets de délocalisation. Il s’agit au préalable d’évaluer les moyens nécessaires à la réalisation de la formation et de les mettre en corrélation avec les ressources disponibles de l’établissement qui délocalise. Il s’agit principalement de l’expertise scientifique et de certaines fonctions internes qui peuvent être théoriquement assumées par la maison mère. Cette évaluation permet la mise à jour des fonctions qu’il sera nécessaire de faire sous-traiter auprès de partenaires locaux au regard de leurs volonté et capacités. Qui assumera le relai concernant la gouvernance du programme, les cours qui ne seront pas délivrés par les enseignants étrangers, le suivi pédagogique des étudiants, les travaux dirigés, la relation avec les enseignants, l’information et la promotion, la gestion administrative, le contrôle et l’évaluation, etc. ? Le résultat de cette évaluation des moyens à mettre en œuvre doit ensuite être formalisé par un document de synthèse, une convention ou un contrat.

La délocalisation d’un campus : à qui les risques ?

Nous avons vu que la délocalisation d’un campus est une forme pour l’instant marginale, qui revêt néanmoins des particularités très intéressantes mais surtout qui nous permet de parier sur avenir qui pourrait voir cette forme prendre de l’ampleur.

Le RMIT symbolise probablement le modèle futur dans la mesure où il garantit son autonomie de fonctionnement par l’autofinancement et qu’il est intégré dans un processus pérenne de reconnaissance académique. Il fonctionne en fait comme un système de franchise, puisque seules quelques rares fonctions, essentiellement hautement stratégiques et financièrement peu engageantes, sont assumées par la maison mère. Il en est ainsi notamment de l’homologation du diplôme, des contenus du programme, du soutien à la recherche et au développement des programmes et des méthodes pédagogiques, du transfert de la marque et d’une partie du markéting. Mais il y a une complète séparation entre la maison mère et le campus délocalisé concernant la responsabilité administrative et surtout financière. Le RMIT Viêt-nam Á sa propre licence commerciale et son propre système de gouvernance. Cela signifie qu’il n’a pas besoin de solliciter l’autorisation de la maison mère pour différencier ses activités vers des formations non homologuées par la maison mère, telle que la formation continue.

Comparativement, le transfert du campus de l’AIT au Viêt-nam se pare des mêmes caractéristiques en termes du transfert des savoirs scientifiques, de l’utilisation de la marque, de la notoriété de la marque et dans une certaine mesure de la promotion des programmes. De même, l’AITCV est autonome dans son administration, sa gestion, la programmation des activités non homologuées. Trois points divergents notables apparaissent entre ces deux modèles. Même si l’AITCV possède une structure de gouvernance locale qui associe l’Etat vietnamien, elle reste finalement sous le contrôle de la maison mère concernant son développement. C’est ainsi que récemment ses projets d’extension vers des villes de province ont été freinés, voire arrêtés. L’AITCV se retrouve dans un dispositif de gouvernance bicéphale, partagé entre Bangkok et le Viêt-nam, qui comprend le gouvernement vietnamien. L’autre point est financier. Le RMIT est totalement autonome et les risques et les profits sont supportés par ses actionnaires. En cas de disfonctionnement du RMIT, les dommages collatéraux avec la maison mère porteront essentiellement sur l’image de marque. Dans l’autre cas, le risque markéting est identique, mais celui financier est porté par les deux structures et finalement la maison mère est la dernière garante856.

Par ses relations avec la maison mère et surtout par son statut assimilé à une ONG portée par l’aide au développement, l’AITCV peut représenter un modèle de campus délocalisé dans le cadre des établissements poursuivant une logique culturelle.

La part de marché relative de ces MMI délivrés par des campus délocalisés ne représente que 28% de l’activité, elle a régressé en trois années puisqu’aucun nouveau MMI n’a été créé depuis 2005 comparativement à un nombre de MMI plus important. On peut toutefois supposé que cette part va s’accroitre grâce à une plus grande volonté de l’Etat. Il faut véritablement libérer ce marché pour augmenter le nombre de places, mais aussi pour être en en adéquation avec les accords commerciaux qu’il a signé dans le cadre du GATT et son entrée dans l’OMC857.

Sont compris dans ces 28% les activités du CFVG qui pourtant, part sa structure hybride, peut tout autant se trouver dans la catégorie des MMI délocalisés dans une université vietnamienne. Nous avons choisi de le placer dans celle des campus délocalisés car il possède sa marque et que les MMI qu’il produit y sont totalement associés. Il ne dépend pas financièrement d’une autre structure. Sa gouvernance est assimilée à celle de l’AITCV dans la mesure où elle est multipartite et internationale et seul maître de son développement.

Comme les deux autres établissements, le CFVG relève d’un modèle particulier dans notre marché. Il n’est pas délocalisé par une maison mère. Il n’est pas installé de manière autonome puisqu’il est abrité par une université locale. Ses activités sont elles aussi statutairement et académiquement partagées. Le MBA est un diplôme de la marque CFVG reconnu par l’université locale. Les MMI spécialisés sont délocalisés et sont donc sous l’homologation d’établissements étrangers. Les activités de conseil et de formation continue sont uniquement protée par la licence et la marque CFVG. La gestion financière et administrative est autonome mais la gouvernance est multipartite. Il est financé par l’aide au développement et par son activité. On pourrait considérer que le CFVG comme un mariage opportuniste et complexe de plusieurs modèles. Peut-il pour autant servir de modèle ou tout au moins donner des idées ?

Délocalisation dans une université vietnamienne : les risques partenariaux ?

La situation hybride du CFVG est une bonne introduction pour la présentation des 72% de MMI délocalisés dans une université locale. Nous avons déjà fait apparaitre deux cas de figure concernant leur implantation. Une minorité se trouve intégrée dans un centre de formation coopératif qui a autorité pour l’homologation 858 . Les autres sont dans un département non spécifiquement à vocation internationale et dépendent de l’autorisation directe de l’Etat 859 . Dans un contexte de forte bureaucratie et d’influence du réseau formel ou informel, ceci peut sérieusement interférer sur l’administration des dossiers d’ouverture. Donnons pour exemple des extraits d’un rapport réalisé par une université vietnamienne, faisant le point sur le dossier d’autorisation à déposer auprès des autorités. « […] - le contrat de coopération va compléter un dossier de demande d’ouverture du Master […] qui doit être déposé au MOET (Ministère de l’Education et de la Formation) par un représentant de l’université vietnamienne.- Le MOET va transmettre successivement le dossier aux cabinet du 1 er ministre, services des relations internationales, services des études universitaires et postuniversitaires, services des finances, services des ressources humaines et autres services…. - Ces services sont contactés pour avis de faisabilité et de validité du dossier. Le bureau du Premier ministre doit donner son accord pour officialiser définitivement la mise en place du Master. […] Il faut savoir que l’accord officiel du Premier ministre risque de nous parvenir après une très longue période qui, par exemple, pour le Master 2 (MBA) en gestion mis en place entre l’Université […] et l’Université […], a mis près de dix ans à parvenir alors que le programme avait démarré, […] ».

La délocalisation d’un diplôme laisse pratiquement porter, dans la majorité des cas, l’essentiel de la responsabilité à la maison mère. Une responsabilité qui est donc peu partagée par le partenaire vietnamien. Il en est ainsi des aspects - juridiques (le recteur est le dernier garant en cas de conflit) - académiques (la maison mère délocalise son homologation) – financiers (elle assume les investissements de départ et les résultats) – promotionnels (elle met en jeu sa marque et fournit l’essentiel des outils de communication).

La responsabilité de l’université d’accueil est engagée auprès des tutelles vietnamiennes au niveau académique (pour l’autorisation de départ), financier (notamment pour la fiscalité), administratif envers les autorités locales lorsqu’elle doit rendre compte des éventuels problèmes de disfonctionnement résultant d’une activité internationale ayant lieu sur son sol. Des précédents démontrent qu’en cas de conflits avec les étudiants, l’université locale qui se trouve en porte-à-faux, à tendance à considérer l’université étrangère comme entièrement responsable de la prestation.

Des conventionnements limités mais incontournables 860

Pour tout diplôme délocalisé, les parties sont dans l’obligation de mettre en place une convention de coopération (MOU) ou un contrat. Ce contrat est principalement bilatéral861. Il est signé dans les tous cas par les rectorats et selon les situations, par les divers donateurs, les Etats ou autres partenaires, par exemple les entreprises dans le cas de HSB avec la chambre de commerce américaine. Cette convention ou contrat définit généralement les conditions suivantes862 :

Prenons l’exemple d’un article portant sur le financement d’une convention dans le cadre d’un projet subventionné : « Article 6 – Financement du Master [XX] - L’Université [YY] et les universités [ZZ] s’entendent pour fixer les droits d’inscription au Master [XX]. Les droits d’inscription du Master seront perçus et gérés par l’Université [YY] (vietnamienne) . […] La répartition des montants au titre des frais de gestion administrative et de logistique revenant à l’Université [YY] (vietnamienne) […] et ceux destinés au financement des missions et des cours sera précisée dans une annexe financière » ;

La convention passée est donc très générale et marque globalement la responsabilité de chacun notamment au niveau de la diplômation, des aspects financiers, des prestations sous-traitées à l’université locale. La signature marque dès lors la possibilité de lancer le processus d’autorisation. Cependant, comme pour l’autorisation par la tutelle vietnamienne, il se peut dans les faits que le programme débute même si la convention n’est pas signée868. Blocage bureaucratique ou principe culturel qui consiste à rendre suffisant l’engagement oral des parties, on notera que ce cas de figure est courant au Viêt-nam dans toutes affaires, commerciales ou pas. Ainsi de nombreuses activités démarrent, ou des transactions sont réalisées en dehors de tous documents officiels.

Cependant, une fois cette procédure entamée ou finalisée, il reste à mettre en œuvre les activités principales qui vont conditionner de manière opérationnelle, sur le terrain, la réalisation de la formation, notamment la détermination précise du programme, l’expertise scientifique et l’ingénierie pédagogique, le montage financier, la promotion, la sélection et le recrutement.

Notes
856.

En supposant toutefois que ces mouvements de fonds soient autorisés par le Viêt-nam, qui de part le MOU signé avec l’AITCV peut faire prévaloir une ambiguïté concernant le transfert des fonds.

857.

En 2009, le Vietnam, conformément aux engagements pris dans le cadre de l’Accord général sur le commerce et les services (GATS), autorisera que des projets dans l’enseignement supérieur soient financés à 100% par des capitaux étrangers. Plusieurs projets d’implantations d’universités étrangères sont en cours, en particulier celui d’une université germano-vietnamienne, en coopération avec la région de Hesse.

858.

Il en est ainsi des MMI implantés dans les ICD de Polytechnique à Hanoi, de l’Université Nationale.

859.

Par exemple, les MMI soutenus par l’AUF, le MMI de l’UBI au sein de l’USSH d’HCMVille, les MMI de l’ULB/SOLVAY au sein de l’Université ouverte d’HCMVille, le MMI de Maastricht à Polytechnique à HCMVille, etc.

860.

Voir l’exemple d’une convention d’un MMI subventionné, annexe 4.7.

861.

Le contrat est signé par plusieurs partenaires lorsqu’il est délivré en multi-partenariat ou soutenu par un projet de coopération internationale ou de fonds privés. C’est par exemple le cas de la formation Funded by Freeman Foundation qui soutien le MMI de la Hawai Business School à Hanoi ou de la formation en management de Harvard à HCMVille (programme Fulbright), du CFVG. Ce fut le cas des MMI de l’ULB/SOLVAY à Hanoi et HCMVille avec l’APEFE ou du MMI de Maastricht à Polytechnique (programme SAV).

862.

Observé à partir de plusieurs contrats de coopération. Un exemple type est présenté dans l’annexe 4.7.

863.

La majorité des litiges se règlent dans les faits à l’amiable. Dans les cas, très graves, comme ceux déjà cités en exemples dans le chapitre 3 (établissements de Singapour et de Taiwan), ont été gérés par les autorités vietnamiennes. Jacques Hallak, Formation et enseignement supérieurs au Vietnam - Transition et enjeux, op. cit.

864.

Extraits annexe 4.7,  art.1 : « Les parties décident, de la création d’un Master multilatéral francophone qui consacre quatre axes de coopération : « 1/ Offrir aux étudiants une formation […] approfondie et de haut niveau, complétée par des activités de recherches tant individuelles que collectives ; 2/ Développer les échanges dans le domaine de la formation entre les partenaires universitaires […] et soutenir ainsi l’Université […] (vietnamienne ) dans sa volonté exprimée de développer un programme d’enseignement international à vocation régionale ; 3/ Intensifier les relations scientifiques entre les partenaires universitaires […] dans le domaine de la recherche […] et constituer une authentique communauté d’échanges entre les enseignants des différents établissements d’enseignement supérieur. 4/ Soutenir l’Université vietnamienne […] dans l’appropriation progressive du master en vue d’amener la création d’un master régional d’assise, de ressources et de juridiction locales, en co-diplomation avec les Universités […] ».

865.

Ibid.

866.

Ibid., art.3.

867.

Ibid., art.6.

868.

On a relevé dans certains cas que le démarrage du programme, voir la délivrance des premiers diplômes, se sont effectués sans que le MOU soit signé, voire sans que l’accord de délocalisation de la tutelle soit donné. On nous donne comme principales explications : la forte bureaucratie locale – l’indécision de certains organes de décision au niveau des partenaires étrangers – certains freins politiques à l’encontre des programmes étrangers. On peut supposer que cette situation traduit un contrôle limité des tutelles et/ou un risque limité.