4.3.6 Les programmes MMI dans le marché

Partant du principe qu’il est décidé en fonction des besoins et/ou des intérêts de toutes les parties et des acteurs, le programme devient le corps de la prestation. Il devient alors en principe un important élément de différenciation par le jeu des spécialisations dans le segment très étendu des formations un management, à la gestion et à l’économie. D’autres variables peuvent interférer pour aider à la différenciation dans une même spécialité comme, en ce qui concerne le marché vietnamien, les MBA. Ces variables peuvent ainsi dépendre de l’origine des enseignants, des contenus intrinsèques, ou de diverses conditions pédagogiques environnant la délivrance du programme.

[Tableau 4.1 bis - MMI délocalisés au Viêt-nam, par spécialités/ MBA, entre 2005 et 2008]
[Tableau 4.1 bis - MMI délocalisés au Viêt-nam, par spécialités/ MBA, entre 2005 et 2008]

Il y avait trente trois MMI répertoriés en 2005 (tableau 4.1 bis). En trois années académiques, le total a progressé de 30% (43 MMI en 2008). Il y a eu seize entrants (dont 9 non anglo-saxons) et quatre sortants (dont 1 anglo-saxon). Cela représente donc un turnover de prêt 46% sur trois années. Ce phénomène fait naturellement chuter la durée de vie moyenne des programmes d’une année, passant de six années en 2005 à cinq années en 2008.

La diversification du programme délocalisé ne porte jamais officiellement sur son éventuelle différenciation avec celui dont il est l’émanation dans l’université mère. Ceci n’est pas en principe autorisé par la règlementation académique des tutelles des deux pays, qui imposent la délivrance d’une formation à l’identique pour homologuer le diplôme. D’autre part cette différenciation serait un mauvais argument markéting puisque le public choisi une formation étrangère pour obtenir le même diplôme. Notons que ce cas de figure ne concerne pas, en principe, le MBA du CFVG puisqu’il a été créé et validé localement et qu’il ne dépend donc pas d’une homologation étrangère. Il faut aussi remarquer qu’une formation telle que le Master en management délivré par Harvard (programme Fulbright) est totalement libre de programmer ce qui l’intéresse puisqu’elle ne délivre qu’une attestation. Nous verrons que ces deux cas de figure sont importants pour la suite de notre recherche.

Concernant les conditions imposées par les tutelles pour la programmation, on note que le ministère vietnamien délègue la responsabilité aux divers conseils scientifiques mis en place localement pour encadrer les programmes et aux universités d’origine869. Aucune adaptation n’est obligatoire. C’est ainsi que nous trouvons, à l’image du marché international des MMI et des MBA en particulier, une très grande diversité à tous les niveaux. Elle se traduit par exemple par des durées de programme très variables, tableau 4.2 :

[Tableau 4.2 - Durée des programmes en 2008]
[Tableau 4.2 - Durée des programmes en 2008]

Les conséquences de cette absence de standardisation internationale se répercutent de manière plus forte sur les crédits requis, les périodes, les heures de cours (tableaux 4.2 et 4.3 infra). L’EMBA du RMIT requiert le moins d’heures de cours tandis que le MBA du CFVG est celui qui nécessite le plus d’heures.

[Tableau 4.3 - Nombre d'heures de cours et années d'expérience requises en 2008]
[Tableau 4.3 - Nombre d'heures de cours et années d'expérience requises en 2008]

Il est impossible, dans l’état de nos investigations, de savoir précisément ce que regroupe ce nombre d’heures. De nombreuses personnes interrogées ou les sites consultés n’indiquent pas s’il s’agit de travaux dirigés, d’équivalence de crédits de stage ou de mémoires, de travail de groupe, etc.

On peut ajouter aux différentes durées les formations de remise à niveau qui sont proposées dans 1/3 des programmes recensés870. Elles concernent généralement des fondamentaux en économie, markéting, comptabilité, finance et en anglais. Les mises à niveau sont entièrement gérées par les établissements locaux, les prix sont abordables et leur durée fortement variable, de un à six mois. Ils sont proposés pour les formations MBA dans les campus permanents, par le programme de La Haie et Harvard, ainsi que par trois programmes anglo-saxons.

Concernant l’enseignement scientifique, ou ce qu’on appelle communément au Viêt-nam, les cours magistraux, la tutelle impose un encadrement de 50% par les enseignants étrangers. Il n’est pas précisé si ces derniers doivent provenir de l’institution d’origine. Par l’origine des enseignants, nous sommes donc en présence d’une nouvelle forte variable potentielle de différentiation des programmes, tableau 4.4 :

[Tableau 4.4 - Taux de professeurs étrangers par programme en 2008]
[Tableau 4.4 - Taux de professeurs étrangers par programme en 2008]

L’établissement peut ainsi mettre en valeur un diplôme encadré par une équipe totalement internationale. Il peut aussi rechercher un encadrement à 50% local pour diminuer ses charges et alléger les coûts des formations. La proportion d’encadrants locaux peut compenser le manque d’experts mobilisables et devenir ainsi une condition essentielle pour garantir la formation. L’encadrement associé peut être enfin le fruit d’une volonté commune pour tendre vers la pérennité du programme ou pour faciliter son adaptation scientifique et pédagogique.

Nous sommes de toute façon dans un marché des MMI insaturé et en pleine croissance, face à un public qui manque grandement de représentations concernant ces prestations871. Ainsi ces formations ont l’avantage de couvrir la plus grande palette de fonctions, de métiers et de secteurs d’activités. Ils ont tout autant pour rôle de former les élites des entreprises aussi bien que celles de certaines organisations publiques ou privées, dans ce contexte nouveau de croissance spectaculaire.

Le secteur éducatif ne diffère pas en cela des autres secteurs tel que le tourisme au Viêt-nam, qui, pour capter un marché intérieur naissant, propose des produits très standardisés convenant à la grande majorité des Vietnamiens qui découvrent le plaisir de partir en vacances. Cependant, une diversification de l'offre est aisément prévisible et déjà constatable. « Au Viêt-Nam, des programmes de Masters spécialisés font leur apparition […] »872.

Les MMI spécialisés représentent actuellement 35% du total (figure 4.3, infra). La quinzaine présente en 2008 représentait les domaines de la banque, du marketing, du tourisme, de la finance, du management public, etc. Même si les spécialisations sont plus variées et que le nombre augmente en valeur absolue, la proportion relative est identique à 2005. Les spécialisations scientifiques sont majoritairement soutenues par des programmes d’aide publique873.

[Figure 4.3 - Répartition des MMI par spécialité en 2008]
[Figure 4.3 - Répartition des MMI par spécialité en 2008]

La spécialisation peut résulter d’une stratégie de diversification de l’activité d’origine, qui correspond souvent à un MBA. L’établissement cherche à valoriser différemment sa marque en se démarquant du marché des MBA, à maintenir un positionnement sur le marché en augmentant le volume d’activités et le nombre de places et comme nous l’avons précédemment expliqué, rechercher un meilleur équilibre financier en jouant sur la répartition des charges communes à plusieurs programmes.

On note une grande diversification dans l’aménagement ou l’environnement des programmes, lorsqu’elle n’est pas complexe et coûteuse à mettre en place. Les programmes ne changent pas, mais le service est modifié ou complété. On ouvre ainsi l’assiette de recrutement en s’adaptant aux besoins de la clientèle. On a vu que les programmes de mise à niveau sont fréquents. La majorité des programmes se déroulent en soirée et/ou le weekend, sous forme de modules compressés. Ceci convient mieux aux étudiants salariés, permet de réduire les temps des mobilités, libèrent le peu de places disponibles en journée pour les formations vietnamiennes initiales et permet aux personnels locaux de cumuler des emplois.

L’âge moyen relativement avancé du public874, son origine (une grande partie assume déjà des fonctions de cadre en management), la manière dont est articulée la majorité des programmes (module, cours du soir, etc.), devrait finalement leur conférer pratiquement à tous l’appellation « exécutive ». Mais dans les faits, seuls 10% des MBA existants revendiquent cette appellation875. Paradoxalement, le terme comporte généralement une connotation négative auprès de la population, qui considère qu’une formation « exécutive » est de qualité et de reconnaissance inférieure dans la mesure où elle est construite pour le secteur professionnel. Elle sortirait ainsi, de manière représentative, du champ académique post-universitaire. On note toutefois que, en dehors des aspects markéting, cette appellation pourrait difficilement s’appliquer à de nombreux programmes, justement à cause du manque de relations avec le secteur des entreprises. La grande majorité des étudiants sont certes salariés mais ils ne sont pas dans une dynamique de formation qui les lie directement à leur entreprise.

Hormis la tentative de l’AITCV, nous n’avons noté aucune forme de diversification par des implantations en dehors des deux grandes villes876 selon une répartition équilibrée et ce malgré un bassin de recrutement nettement plus important à HCMV.

Deux facteurs peuvent expliquer ce phénomène :

  1. Comme pour tous les projets de coopération, l’avantage de la capitale prévaut dans la mesure où les demandes et les subventions, locales et étrangères, convergent prioritairement vers les sièges sociaux, les ministères, etc. ;
  2. L’attractivité et le dynamisme commercial du bassin d’HCMV incitent économiquement les diplômés à s’orienter plus rapidement vers une activité professionnelle.

Dans ce dédale de diversités, on observe tout de même un facteur commun. C’est ainsi que tous les programmes des établissements non anglo-saxons sont délivrés en anglais sauf deux d’entre eux. C’est uniquement dans le but de capter les étudiants parlant anglais, sachant que les étudiants parlant une autre langue et notamment le français, correspondent à une niche très difficile à attirer. Le problème majeur se situe dans les niveaux inférieurs où la langue anglaise est pratiquement la seule à être enseignée et ce malgré les efforts entrepris par certains pour promouvoir le multilinguisme et la diversité culturelle. Notons que les deux licences de sciences de gestion qui ont ouvert leurs portes récemment, dans le cadre des PUF, sont francophones. Leur recrutement est assuré par les bacheliers des classes bilingues franco-vietnamiennes qui pour l’instant arrivent encore à fournir un nombre suffisant de candidats. De plus, les programmes délocalisés en MMI ayant connu une forte progression durant les trois dernières années, ce qui rajeunit l’âge moyen de ces derniers.

Les programmes sont largement dominés par les MBA qui couvrent 65% d’entre eux, c’est donc le produit phare du marché. Les autres programmes correspondent aux spécialisations classiques et de base (marketing, banque, finance, entreprenariat, …). Ces MBA n’ont en commun que le nom et les cours fondamentaux. Pour le reste, l’absence d’harmonisation au niveau mondial en matière de standardisation internationale et de préconisation académique locale leur confèrent une grande diversité dans leurs contenus. Cette diversité s’accentue par des facteurs de différenciations dans la manière de conduire et d’aménager le programme. Ce constat porte notamment sur la durée, le nombre de crédits, la compétence de l’encadrement scientifique. Par soucis de s’adapter aux besoins des étudiants et de faciliter l’organisation du programme, des aménagements peu appropriés sont réalisés par l’intermédiaire de cours du soir, de compression des cours, voire même de changement de nom du programme877. Ces changements qui portent sur la qualité de l’accueil et du service sont communs à la majorité des concurrents. Il en est de même pour la langue utilisée qui, pour coller aux capacités et aux attentes des clients potentiels, se trouve être l’anglais, à quelques rares exceptions près.

Notes
869.

Les décisions concernant les programmes et les homologations des diplômes doivent être jointes au dossier d’autorisation d’ouverture.

870.

9 sur 27 réponses.

871.

En référence à l’enquête réalisée à la sortie de l’université d’Economie de Hanoi, moins de la moitié des étudiants interrogés reconnaissait l’appellation de MBA. Source : Gilbert Palaoro, « Quelle stratégie pour l’offre universitaire francophone : l’exemple des masters de gestion au Viêt-nam? », communication in les actes du congrès Asie-Pacifique des professeurs de français, Taiwan, 2006.

872.

Joël Broustail, en collaboration avec Gilbert Palaoro, « La formation des élites managériales dans les économies en transition », op. cit., page 65.

873.

Le seul programme anglo-saxon concerné est celui multilatéral AUCP, Houston Clear Lake, Missouri-St.Louis, La Trobe.

874.

Nous relevions en 2005 que la moyenne était d’une trentaine d’années. Les 12 réponses obtenues étaient comprises dans une fourchette d’âge moyen entre 26 ans et 35 ans. Les chiffres ne sont pas précis mais la tendance traduisait clairement, pour les programmes qui ont répondu, que le public relevait très majoritairement du secteur de la formation professionnelle. Le coût des formations obligent les étudiants à économiser pour pouvoir payer leurs études.

875.

Dont l’AIT, HSB, RMIT et UBI.

876.

La tentative de l’AITCV (AIT Center-Vietnam), consistant à délocaliser un MMI en province à Can Tho ou Da Lat, est semble-t-il avortée.

877.

Il s’agit parfois de changer le nom du programme pour pouvoir « coller » aux représentations des étudiants.