4.3.7 Expertise exportée et ingénierie sous-traitée

Parmi les fonctions principales, le recrutement des intervenants et donc de l’expertise scientifique, est déterminant pour l’homologation, la promotion et surtout pour garantir l’excellence attendue par le public. La délocalisation impose des contraintes techniques et pédagogiques qui compliquent sérieusement la formation des équipes. Elles sont notamment liées, autant pour les enseignants étrangers que pour toutes les ressources humaines locales- enseignants et assistants administratifs- à la disponibilité, la compétence, la capacité d’enseigner en anglais, la capacité de s’adapter dans un programme international, etc.

L’enjeu est donc de pouvoir délivrer un diplôme équivalent et d’assurer un service d’excellence. Ces objectifs dépendent principalement, dans le cadre d’un enseignement délivré dans un autre contexte culturel et dans une langue étrangère, de la qualité de :

Généralement, seul l’enseignement scientifique est tout ou partie délivré par l’université étrangère. Il incombe donc à l’université étrangère des impératifs de contrôle rendus nettement plus complexes par la distance et la sous-traitance. Rappelons que conformément aux procédures d’homologation et aux manques de moyens, l’Etat vietnamien délègue la responsabilité du contrôle directement aux établissements autonomes, aux universités locales et étrangères et par voie de conséquences aux tutelles étrangères. Il suppose aussi que la loi du marché peut faire office de régulation.

Nous avons déjà observé que pour les campus délocalisés possèdent localement leur propre organe de contrôle878. Dans la mesure où les MMI sont délocalisés leur gouvernance ne peut être qu’assurée à partir de l’établissement mère garant et les décisions appliquées par délégation. Les campus délocalisés comme le CFVG ou l’AITCV ont leur propre système de gouvernance et conseils scientifiques qui permettent d’intégrer de manière collégiale tous les partenaires, notamment les représentants des universités qui délocalisent. Á quelques rares exceptions, les directeurs ne sont donc pas présent en continue et délèguent donc leurs responsabilités, soit à un enseignant permanent expatrié ou local, soit très majoritairement à un assistant ou à une personne mandatée dans l’université d’accueil. En effet, les directeurs de programmes ne peuvent pas se permettre d’être absents trop longtemps de leur campus d’origine et une direction assumée par un enseignant expatrié serait très onéreuse879. La nature même de la délocalisation, qui consiste à reproduire à l’identique le programme à l’étranger, rend de toute façon impossible la permanence des enseignants, à la fois sur le site et à l’étranger. Sans compter les programmes qui se trouvent démultipliés dans plusieurs pays.

Un autre souci majeur imputable à la vocation même des programmes délocalisés concerne le manque de ressources humaines locales pour suppléer, si besoin, les équipes étrangères tant pour l’enseignement que pour l’ingénierie pédagogique. En effet, nous savons que la principale raison qui a motivé l’ouverture internationale est justement le manque d’expertise scientifique locale pour pouvoir produire des diplômes de haut niveau. Difficile donc de trouver des personnes sur place reconnues compétentes par la maison mère. Difficile aussi de compter sur la disponibilité à longue terme des personnes les plus expérimentées et donc les plus recherchées. Elles assument généralement plusieurs responsabilités, en particulier la direction des licences ou masters vietnamiens, sans compter les écoles doctorales. Elles assument aussi souvent des activités subalternes ou internationales qui peuvent être concurrentielles.

Le coût des mobilités est tout autant problématique. En supposant que les enseignants étrangers soient disponibles, encore faut-il trouver les ressources nécessaires pour couvrir les énormes charges imputables à l’expatriation ou aux mobilités.

Concernant les cours délivrés par la mobilité des enseignants, nous avons enregistré les proportions suivantes880, (tableau 4.4, supra) :

Rappelons qu’il existe un impondérable règlementaire qui impose au moins 50% d’étrangers et qui, de fait, devient aussi une charge fixe. Les pays anglo-saxons sont répartis entre les catégories 1 et 3. Plus des trois-quarts des programmes subventionnés se trouvent dans les catégories 1 (58%) ou 2 (16%). On peut supposer que les choix de proportion sont liés, tout ou partie à des accords spécifiques visant à la pérennité en associant des intervenants, au souhait de réduire les charges, ou encore au souhait de jouer uniquement la carte de l’excellence.

Concernant le niveau de qualification de l’expertise scientifique de tous les projets, entre 85% et 100% des enseignants étrangers sont titulaires d’un doctorat ou justifient d’une expertise professionnelle881. Seul le RMIT annonce des niveaux de qualifications très différents, avec un corps enseignants titulaire à 20% d’un doctorat, les autres justifiant d’un master ou d’une expérience de « notoriété ».

Concernant les enseignants vietnamiens, les données sont imprécises car les personnes ont des difficultés pour nous communiquer des effectifs, des curriculums ou pour faire la distinction des statuts entre les enseignants et les assistants de cours. En moyenne les chiffres oscillent entre 20% et 70% titulaires d’un doctorat. On trouve également des réponses imprécises sur la compétence (« 40% experienced lecturers selected by La Trobe »), ainsi que sur le statut « 100% masters and professors ». Un seul programme a indiqué un effectif local titulaire à 100% du doctorat, la South California University, Marshall School of Business.

Les enseignants sont le plus souvent recrutés au sein des universités d’accueil, car rappelons- le, de cause à effet, elles accueillent ces MMI parce que ce sont les mieux placées, à tous les niveaux, sur le marché.

Les prestations fournies par les universités locales pour assumer la sous-traitance, de l’ingénierie pédagogique à l’accueil, sont généralement identiques ou très proches de celles proposées à leurs propres étudiants. Les personnes déléguées à ces tâches assurent très souvent d’autres fonctions dans l’institution. Pour les MMI délocalisés dans un département standard, le service est géré au même titre que les autres programmes. Les infrastructures, la documentation, l’administration et tous les moyens pédagogiques attenants sont donc globalement identiques, sauf pour les MMI délocalisés dans des départements des affaires internationales qui peuvent jouir de services et de locaux réservés et parfois améliorés. C’est notamment le cas pour les MMI du PUF, mais ces exemples sont isolés.

Rares sont les MMI délocalisés au sein d’une université vietnamienne faisant l’objet d’accord de coopération débouchant sur la pérennité d’un programme et/ou sa reconduction par l’équipe locale. Citons le cas du MMI de Maastricht qui a permis la réalisation très satisfaisante d’un MBA entièrement vietnamien et la poursuite, difficile car entièrement autofinancée, du MMI délocalisé. Il en est de même du MMI soutenu par l’AUF882 qui oblige contractuellement à atteindre des objectifs de pérennité. Ces accords impliquent la mise en place de formation de formateurs locaux. Il faut pouvoir recruter les enseignants locaux motivés, disponibles et compétents pour partir se former à l’étranger. Il faut aussi mettre en place un tutorat exercé par les enseignants étrangers au profit des locaux, pour transmettre les savoirs scientifiques et méthodologiques.

Dans les MMI qui ne poursuivent pas d’objectifs de pérennité, les enseignants locaux assument principalement ce tutorat en plus généralement de toutes les charges habituelles, y compris la préparation des cours, le suivi et l’évaluation auprès des étudiants. L’organisation prévoit généralement la logistique relative à la mobilité ainsi que la préparation technique du cours.

La question de la sous-traitance de l’enseignement scientifique, de l’ingénierie pédagogique et de l’administration ou organisation sur place est tributaire à la fois des finalités du programme et de la disponibilité des ressources et des moyens. Rappelons qu’elle est en principe sous-entendue par la délivrance à l’identique de la formation dans le campus étranger. Deux cas de figure sont à ce titre relevés : soit l’organisation a prévu des installations et des équipes spécifiques dont la valeur dépendra donc des moyens mis en œuvre par le projet, soit ces prestations sont sous-traitées et assumées par un département local, non spécifique à l’activité internationale et dans ce cas la sous-traitance sera globalement assurée avec les moyens communs à tous les étudiants de l’université.

L’étape la plus complexe concerne le recrutement des enseignants locaux. La moitié des MMI se doivent donc de compléter leurs équipes dans une fourchette de 20% à 50%. Tous les MMI sont obligées de recruter le personnel local pour assurer, en principe, le suivi et l’administration pédagogique en amont et en aval des cours magistraux délivrés par les enseignants étrangers. Ce recrutement dépend d’un marché de l’emploi, où les effectifs d’enseignants et/ou assistants hautement qualifiés sont largement insuffisants.

Notes
878.

Sous réserve, à partir de 2008-09, une direction générale devrait être mise en place et assurée par une personne proposée par la CCIP. Le principe de direction bicéphale est maintenu sous cette direction générale.

879.

Il peut y avoir des exceptions pour les MBA du RMIT, du CFVG (qui a par ailleurs un statut délocalisé très particulier), de l’Hawai Business School. Par contre les MMI de finance ou de marketing ne sont pas concernées.

880.

Sur 38 réponses obtenues. La question de l’encadrement éventuel par des vacataires provenant du monde des entreprises n’a pas été posée. Certaines réponses peuvent donc intégrer ce type de personnel.

881.

Sur 22 réponses obtenues.

882.

Master en management des organisations, diplôme délivré par l’université de Nantes, en appui du consortium et en partenariat avec l’Université Nationale à Hanoi.