4.3.11 Sélection : la grande diversité

Cet environnement markéting complexe renforce l’importance du processus de sélection, étape ultime de recrutement des étudiants. La sélection doit ainsi, elle aussi, s’adapter à la délocalisation. Elle est construite sur le modèle occidental. Par conséquent, ce processus est censé évaluer les candidats qui ont un projet de formation et des attentes qui correspondent aux objectifs du programme. Ce processus est donc à l’origine difficile à mettre en œuvre pour garantir un recrutement pertinent. On peut supposer que dans notre cas, cette difficulté va être amplifiée par la modification totale de l’environnement culturel et, comme nous l’avons vu précédemment, par un contexte d’information et de communication qui ne favorise pas l’orientation et la préparation des postulants. Nous pouvons aussi supposer que les contraintes budgétaires des MMI,, qui invitent notamment à atteindre un certain effectif, peuvent mettre sous pression des équipes de recrutement, pour certaines non coutumières.

L’originalité et la difficulté de mise en œuvre du processus de sélection délocalisé ne sont pas seulement liées aux problématiques d’adaptation interculturelle ou de pression économique. On retrouve à cette étape les implications de l’absence totale de standardisation qui permet finalement à chaque établissement des mises en œuvre originales. Nous avons pu ainsi identifier cinq modèles de processus de sélection illustré par la figure 4.4 :

[Figure 4.4 - Conditions de sélection en 2008]
[Figure 4.4 - Conditions de sélection en 2008]

Le manque de standardisation des procédures des MMI du marché est logiquement encore plus flagrant comparé au système vietnamien qui s’ouvre depuis peu. Ceci a des conséquences sur la capacité des étudiants à être préparés pour ce genre de sélection dont ils sont peu coutumiers, mais ceci influe aussi directement sur leur poursuite d’études éventuelles dans le système vietnamien.

Concernant la capacité des étudiants à se préparer à ce genre d’épreuves, nous pouvons supposer que ces derniers n’auront pas trop de difficulté pour supporter le stress et les épreuves écrites. Au stade où ils sont arrivés, ils ont vécu jusqu’à présent et à maintes reprises des procédures très sélectives, reposant essentiellement sur le bachotage et les tests écrits. Mais comme nous pouvons le constater, l’épreuve écrite est minoritaire, elle est demandée dans moins de vingt pour cent des cas. Le plus difficile pour les étudiants est de pouvoir exprimer leurs motivations de formation et leur projet professionnel dans le dossier (100% des cas) et surtout durant l’entretien (près de 50% des cas). La majorité d’entre-deux ne sont pas préparés à affronter ce genre d’épreuves, surtout lorsqu’il s’agit de présenter oralement des choix d’orientation souvent peu clairs.

Comparativement au système vietnamien, une inadaptation chronique s’impose à tous les processus de sélection étrangers. Contrairement à tous les étudiants se présentant à un master vietnamien, les postulants à un MMI n’ont pas besoin de réussir le très difficile concours d’entrée obligatoire qui s’impose à eux lorsqu’ils souhaitent poursuivre un master vietnamien. Il en est par ailleurs de même pour les licences. Mis à part pour les masters reconnus par le MOET906, de l’AITCV, du CFVG, des PUF, les diplômés d’un MMI ne peuvent donc pas, à défaut de n’avoir suivi le processus habituel de sélection, au terme de leur formation étrangère, postuler au concours d’entrée du niveau supérieur vietnamien, en l’occurrence pour un doctorat. Il en est de même pour ceux titulaires d’une licence étrangère qui souhaiteraient entreprendre un master vietnamien. Un autre raison invoquée concerne la durée des MMI qui proposent une formation en 12 ou 18 mois, alors qu’au Viêt-nam, tout master se déroule en deux années.

On note à l’inverse que la difficulté de réussir le concours à tous les niveaux d’entrée est révélatrice du manque de places offertes dans le système vietnamien et par conséquent du potentiel théorique907 de l’assiette de recrutement qui s’offre à des programmes étrangers totalement libres de recruter comme bon leur semble. Par voie de conséquence, les établissements étrangers se retrouvent largement devant le public qui n’a pas réussi ce concours d’entrée. Ce qui n’échappe pas à certaines universités étrangères comme argument pour investir908. Mais encore faut-il pouvoir trouver les candidats.

Mais qui sont-ils, à qui s’adressent les MMI ? Nous avons déjà remarqué que la jeunesse du marché et la faiblesse de l’offre, notamment spécialisée, entraînent la concentration de la demande vers une offre réduite, en particulier vers les MBA. Rappelons que s’ajoute à ce facteur la vocation naturelle du domaine universitaire à répondre de manière transversale aux besoins d’encadrement de tous les secteurs. C’est particulièrement le cas dans le domaine de la gestion et de l’économie909.

Les MMI concernent donc au Viêt-nam :

La voie est libre pour la sélection et le recrutement

Le processus de sélection est donc sous l’entière responsabilité de l’université qui délivre le diplôme. On note que la moyenne d’âge des postulants est élevée et oscille autour de 30 ans910. Malgré cette maturité, nous avons pu remarquer que pour la plupart, leurs représentations sont très générales et proches les unes des autres911 : « Je souhaite faire du marketing » […] « J’aimerais bien créer mon entreprise » […] « Je veux changer de société » […] « Je souhaite gagner plus d’argent ». Une minorité, souvent financée par l’employeur, se présente logiquement avec un projet plus précis. On peut observer, en filigrane de la demande des employeurs, que les domaines les plus demandés sont ceux de la gestion des ressources humaines ou de projets. Concernant l’âge des candidats, un enseignant d’une formation au management en Asie nous indiquait que pour bon nombre, l’expérience professionnelle acquise dans leur entreprise n’était pas forcément un modèle facile à exploiter dans leur formation. Il s’agissait plutôt, en ce qui le concerne, de s’attacher à la potentialité, à la motivation, au projet, au désir de vouloir apprendre, probablement plus qu’aux capacités scientifiques.

Une fois la candidature posée, les jeunes vont devoir suivre des procédures de sélection très variées en fonction du MMI visé, tableau 4.8 :

[Tableau 4.8 - Conditions de sélection par origine des établissements]
[Tableau 4.8 - Conditions de sélection par origine des établissements]

C’est en moyenne des promotions de 40 à 50 étudiants qui sont recrutées, avec des écarts maximum oscillant entre 100 et 120 étudiants pour quatre programmes et entre 20 et 30 étudiants pour cinq programmes. Le niveau licence est toujours requis. Les MMI, principalement les MBA, ne requièrent pas ou peu de connaissances académiques dans le domaine. C’est par exemple le cas pour le Master 2 Expertise économique et Gestion de Projets Internationaux, proposé aux PUF par l’université Paris 12 :

‘« Le recrutement sera assuré à Hanoï par l’équipe enseignante responsable de Paris 12.
Les candidats devront avoir l’équivalent d’une 1ère année de Master au Vietnam (soit l’équivalent de 240 crédits européens) dans les domaines suivants : économie, gestion, administration, relations internationales, ingénieur) ou avoir obtenu une mention très bien à leur Bachelor. Ils devront maîtriser l’anglais »912. ’

On observe que dans ce cas les conditions sont identiques à celles requises auprès des étudiants effectuant cette formation à Paris.

Pour certaines spécialités, seule une expérience professionnelle dans le domaine est requise. Ainsi pour entrer dans le Master de Banque et Finance du CFVG, l’admission est conditionnée par « […] a 4-year university degree, 3 years (of) experience in Finance »913. Les conditions requises pour les candidats à ce master à Paris Dauphine ne sont pas totalement identiques car les étudiants du CFVG n’ont pas d’épreuve écrite914.

En ce qui concerne le MBA proposé par la Hawai School of Business, les exigeantes conditions et épreuves de sélection sont présentées comme identiques à celles d’origine915.

Ce dernière formation fait partie des 15% qui proposent une sélection complète en trois étapes : dossier - entretien en anglais de l’évaluation des connaissances et de la motivation - une épreuve écrite. Le test écrit est censé évaluer les compétences scientifiques de base, telles que les mathématiques ainsi que le niveau linguistique d’expression et de compréhension à l’écrit. Finalement environ 65% des sélections permettent la rencontre de l’équipe avec les étudiants, sachant que le jury est présidé par un enseignant de l’établissement étranger (sauf pour certaines des sélections d’établissements implantés localement, tels que l’AITCV ou le CFVG). Le jury peut être par contre souvent composé de membres de nationalités mixtes, par soucis de coopération et/ou par soucis économiques.

Pour 33% des programmes, principalement anglo-saxons et non supportés par des structures pédagogiques permanentes, la sélection s’effectue sans entretien, ni test écrit. Parmi eux, 18% l’ont réalise uniquement sur un dossier comprenant parfois un essai. Pour les 15% restant, elle s’effectue sur dossier et par un entretien d’évaluation du niveau d’anglais.

On peut observer des similitudes de processus de sélection en fonction de l’origine pays et programme. Ainsi la grande majorité des sélections des MBA anglo-saxonnes se déroulent uniquement soit par un entretien de motivation et de connaissance, soit un test d’anglais. L’entretien de motivation et de connaissance est majoritairement pratiqué pour les MMI de spécialités, toutes origines confondues.

Notes
906.

Les exceptions sont accordées à des partenaires étrangers signataires de MOU avec le gouvernement vietnamien, qui reconnaît ainsi implicitement l’équivalence de ces formations. Il en est de même pour les titulaires d’un diplôme français qui pourront faire valoir l’accord bilatéral de reconnaissance des diplômés passé entre la France et le Viêt-nam. Dans tous les cas les postulants sont obligés de passer le concours du niveau d’entrée pour la poursuite d’un doctorat vietnamien.

907.

En dehors des capacités des postulants et surtout celles économiques.

908.

C’est ce qui, par ailleurs, avait été relevé comme argument favorable pour le recrutement dans l’étude de faisabilité réalisée pour la création de l’université française au Viêt-nam, en 2004.

909.

C’est ce que nous avons pu vérifier, tout au moins au niveau des débouchés des licences francophones soutenues par l’AUF, auprès de plus de 300 titulaires d’une licence vietnamienne francophone (équivalent à un Master 1). Nous pensons que ces chiffres ont une valeur statistique car ces étudiants évoluent, pour plus de 85% d’entre eux, dans tous les secteurs internationaux et non pas seulement ceux relatifs à l’activité linguistique francophone. Les secteurs d’emplois répertoriés suite à ces formations étaient : 23% dans le secteur de la banque-assurance-finance, avec une concentration dans les banques - 22% dans le secteur commercial - 10% dans le secteur industriel - 8% dans le secteur des transports - 7% dans le secteur des TIC - 6% dans le secteur des administrations - 5% dans le secteur éducatif.

910.

Notons que l’âge moyen plutôt élevé découle probablement de la conjoncture économique. Comme pour l’institution du mariage, au Viêt-nam, pour réaliser leurs projets, les jeunes doivent avoir le temps de rassembler la somme requise. Pour ce faire, ils s’appuient sur le réseau familial et/ou économisent en travaillant d’arrache-pied. Pour la grande majorité des jeunes, au prix des MMI, il faut bien cinq à six années après la licence pour réaliser leur rêve. En rappelant que moins de 4% des étudiants proviennent du quintile 1, 2 ou 3 et que 78% d’une maîtrise et 100% d’un 3ème cycle appartiennent au quintile 5. Il reste donc cependant encore quelques espoirs pour les plus pauvres. Il faut aussi préciser que même les étudiants du quintile 4, voire du quintile 5, font certes moins d’efforts mais doivent cependant s’employer pour financer leurs études. Dans un pays comme le Viêt-nam, la richesse est toute relative et les étudiants véritablement riches qui aspirent à des études internationales partent directement à l’étranger. Référence VLSS, 1998, cité par Nolwen Hénaff, Doi Moi et globalisation : vers un accroissement des inégalités en matière d'éducation, op. cit., page 26, tableau 4.

911.

Ces observations découlent des entretiens formels réalisés au cours des sélections MBA, ou à des entretiens informels auprès des étudiants ou cadres d’entreprises.

912.

Extrait du site internet des PUF, le 4 décembre 2008.

913.

Ce master de banque et finance est délivré par les universités de Paris Dauphine et l’ESCP-EAP.

914.

« L'admission dans le Master 224 nécessite la rédaction d'un mémoire portant sur un sujet précisé dans le dossier de préinscription. A titre indicatif, ce mémoire est développé sur 25 pages environ. La sélection des candidats est effectuée en deux temps par les responsables du Master : en premier lieu, sont examinés les mémoires et les dossiers, notamment les diplômes obtenus en second cycle, ainsi que les expériences professionnelles et extra-universitaires ; en second lieu, les candidats sont convoqués à un entretien […] ». Site internet du CFVG, 4/12/2008.

915.

« TOEFL test ; GMAT test ; Economic essay in English ; Direct interview with Professors in English ; TOEFL test is waived for candidates who have one of the following conditions : Having official TOEFL score 550/ IELTS score 6.0 or above and the test date is not more than two years old ; Having a foreign Bachelor/ Master/ Doctor Degree in foreign countries, such program should be conducted in English. Having regular Bachelor degree with major in English”. Site de Shilder Hawai EMBA, le 4/12/2008.