4.3.13 Le vecteur linguistique au cœur de la problématique

La grande ouverture de l’assiette de recrutement aux étudiants issus de filières linguistiques témoigne de l’aspect capital accordé aux compétences linguistiques. En effet, les problèmes de communication représentent l’un des plus grands facteurs de risque pour la transmission des savoirs au Viêt-nam. Logiquement, puisque tous les cours sont délivrés dans une langue étrangère, qui est très majoritairement l’anglais, sa maîtrise s’impose comme condition sine qua none pour les candidats. « […] Bien souvent, l'anglais participe du concept même des formations de management proposées : un MBA, anglophone dans son acronyme, se doit en quelque sorte de l’être aussi dans sa langue »919. Ainsi, reposant essentiellement sur les cours magistraux, la valeur du transfert des connaissances scientifiques dépend dès lors grandement des capacités linguistiques et notamment du niveau de compréhension et d’expression orale. Le problème est qu’au Viêt-nam, le niveau en anglais des étudiants est en général très faible et a des conséquences sur la qualité du recrutement, des apprentissages et des futurs acquis. Ces étudiants demandent un accompagnement initial soutenu pour les mettre à niveau et pour les adapter aux méthodes pédagogiques récentes920. Sans cette maîtrise et en l’absence prononcée de capacités d’apprentissages autonomes, c’est donc l’essentiel de la transmission des savoirs qui peut ne pas être garanti. En effet il n’y a pas d'expression possible des connaissances sans maitrise de la langue. La maitrise de la langue conditionne l'expression de la pensée. Si l'expression n'est pas correcte, l'idée n'est peut-être pas fausse, mais elle n'est pas vraie non plus.

Contrairement à ce que peuvent croire de nombreux étudiants, l’intensité des cours délivrés par les enseignants en mobilité et la dynamique globale de la formation ne sont pas du tout des lieux privilégiés d’amélioration des compétences linguistiques. C’est pour répondre en partie à ce problème que sont mis en place des stages courts de mise à niveau. Mais ces derniers sont efficaces pour des rattrapages scientifiques, bien souvent sous forme de bachotage, car au niveau linguistique ils sont souvent délivrés dans des conditions pédagogiques peu favorables à l’apprentissage intensif. Seul un accompagnement individualisé en amont et durant la formation permettrait éventuellement de rattraper le niveau en fonction de chaque individu. L’expérience de nombreux apprenants vietnamiens, notamment dans les pays francophones, démontre en effet le besoin accru d’un suivi particulier pour un grand nombre d’entre eux. Et pourtant, il s’agit souvent des meilleurs en terme de potentialité.

Tous les MMI sont confrontés à la problématique liée au faible niveau linguistique des apprenants vietnamiens. Il en est parfois de même pour les enseignants étrangers ou locaux. Cette situation a déjà provoqué des protestations de certains étudiants considérant que leur professeur n’avait pas un niveau linguistique anglophone suffisant.

Le critère linguistique est ainsi placé sur un piédestal à un niveau égal voir parfois supérieur à celui des compétences scientifiques ou pédagogiques dans le processus de recrutement. Valorisation accentuée par l’absence d’un projet de formation souvent flou ou inexistant. De fait, au-delà du niveau linguistique et scientifique, nous avons constaté que le recrutement se fonde dès lors sur des perceptions du jury se rapportant au potentiel intellectuel, au dynamisme, au désir de se former, etc. Á défaut d’avoir acquis ce type de compétences ou qualités initiales occidentales, le jury cherche des qualités individuelles qui pourraient les compenser ou faciliter un rapprochement en aval durant l’apprentissage.

Logiquement, le critère de sélection linguistique vaut aussi beaucoup pour les enseignants et attise la bulle spéculative à l’emploi des cadres universitaires. Il témoigne tout autant du positionnement crucial car difficile que les enseignants tiennent pour assumer une prestation dans un environnement si difficultueux.

Est-il encore besoin de démontrer outre mesure que le niveau linguistique des apprenants pose d’énormes problèmes aux enseignants ? Ce qui fait dire à certains enseignants intervenants au Viêt-nam, qu’il est essentiel d’utiliser prioritairement la langue la plus apte à garantir le meilleur niveau de compréhension possible. La langue doit être avant tout un outil et non pas une fin en soit pour des formations de ce niveau et de ce type.

L’ampleur du phénomène lié au faible niveau linguistique dépend toutefois des matières abordées. Les conséquences peuvent être moins grandes pour des cours qui ne demandent pas un niveau de compréhension trop précis ou dont les contenus relèvent un peu plus d’un langage scientifique commun international. Ce peut être le cas par exemple des cours de finance ou de comptabilité pour lesquels la terminologie est moins sujette à un risque d’incompréhension. Cependant, comme pour toutes les sciences humaines et sociales, la majorité des cours proposés dans les MMI exige une certaine précision linguistique afin de garantir le transfert pertinent des savoirs et leur conceptualisation. Il en est ainsi de la gestion des ressources humaines, du markéting, de la stratégie, de l’organisation des entreprises, etc. C’est d’autant plus vrai que les cours transférés sollicitent toujours un travail d’adaptation scientifique et donc de traduction linguistique. Ainsi, on peut imaginer qu’un cours de droit des affaires ou de comptabilité nécessitera un travail linguistique précis pour qu’il prenne une valeur au Viêt-nam.

Ceci amène parfois des enseignants locaux à conduire en partie leurs cours en vietnamien ou à certains cours d’être simultanément traduits. Nous voyons bien qu’à défaut d’adaptation préalable, les enseignants doivent agir en conséquence et procéder par eux-mêmes sur le tas. Mais ces pratiques sont rares car elles peuvent paraitre contradictoires avec la valeur internationale affichée.

On note aussi que le problème se pose de manière moins cruciale pour la compréhension écrite car les étudiants s’avèrent plus compétents dans ce domaine, ce qui permet l’accès à des ouvrages scientifiques fondamentaux dans un pays où le nombre de traductions en vietnamien est encore fort limité. D’autre part, nous ne sommes pas en mesure de savoir si tous les programmes peuvent se permettre, du point de vue règlementaire, d’être en partie délivrés en langue vietnamienne, mais apparemment les responsables de programmes sont relativement libres. Les textes sont plus précis concernant la rédaction des mémoires et les soutenances qui doivent généralement, impérativement, s’effectuer selon la langue internationale pratiquée prévue dans le programme.

Le niveau linguistique des étudiants peut aussi influencer le volume de l’assiette de recrutement. Pour ce motif, le processus de sélection et les niveaux d’exigence requis peuvent devenir des outils stratégiques importants. Ainsi, une sélection peut être plus facile qu’une autre dans la mesure où les règles sont loin d’être standards. L’établissement peut jouer sur ces leviers pour augmenter les effectifs, diminuer les coûts, attirer les étudiants. Dans notre marché, on constate que la grande variété des processus de sélection laisse ainsi la place à ce genre d’outils. Etant très libres de leurs conditions de recrutement les établissements doivent ainsi chercher l’équilibre entre les capacités des étudiants et les effectifs.

Le problème linguistique n’est pas forcément prêt d’être résolu. La croissance de l’offre permet l’accueil d’étudiants plus nombreux mais reste toutefois confinée aux plus riches car elle s’accompagne de la croissance des tarifs. Il n’est donc pas évident de voir un élargissement plus franc de l’assiette de recrutement. D’autre part, le niveau anglophone des candidats évolue peu car les moyens du système éducatif vietnamien ne sont pas encore suffisants pour pouvoir agir en amont et élever ce niveau et particulièrement en matière linguistique.

Les établissements peuvent dès lors s’interroger sur les conditions qui permettraient de limiter les facteurs de risque pour intégrer ce problème linguistique. Il en est de même concernant leur besoin de les mettre à niveau pour le suivi des cours et de s’adapter à de nouvelles méthodes pédagogique. C’est principalement les conditions d’accompagnement en fonction des capacités de chaque étudiant qui peuvent être interrogées. Vu la place qu’ils tiennent pour l’encadrement de ces activités, on imagine dès lors le rôle capital que peut tenir le personnel local dans les universités partenaires ou dans les structures autonomes pour garantir une délocalisation de qualité.

Notes
919.

Joël Broustail, en collaboration avec Gilbert Palaoro, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, op. cit., page 62.

920.

Jacques Hallak, Formation et enseignement supérieurs au Vietnam - Transition et enjeux, op. cit.