4.4.5 Le rôle de l’Etat

Dernier acteur de ce panorama, contrairement à d’autre secteurs d’activité et notamment commerciaux, l’Etat doit être intégré dans notre analyse pour la diversité des rôles qu’il doit jouer et des fonctions qu’il doit assumer. Á ce titre, il joue un rôle dans notre marché qui peut être comparable à celui tenu dans des secteurs clés tels que celui de la santé ou de la protection sociale. En effet, comparativement à un secteur tel que le tourisme et l’hôtellerie, en plus de son rôle politique, de législateur ou de contrôle, l’Etat intervient dans notre marché en tant que client, souscripteur, investisseur, tutelle, administrateur et dernier garant d’un service censé compléter l’appareil éducatif dont il a l’entière responsabilité.

On a déjà constaté que depuis le Doi Moi, sa politique économique libérale de décentralisation et de socialisation diminue partout son engagement et son influence, exception faite de l’appareil politique et militaire. Cette stratégie d’ensemble n’est pas pour l’instant compensée par des moyens de contrôle ou d’accompagnement suffisants. L’ouverture confère à l’offre éducative locale et étrangère des marges de manœuvre très importantes. La preuve en est donnée par la volonté prononcée de faciliter à présent l’implantation de campus délocalisés ou d’établissements étrangers. Les résistances à ce changement radical de politique économique et sociale et une administration qui évolue mais qui reste encore très bureaucratique freinent encore le développement du marché mais leur influence est largement pondérée par une règlementation nettement plus souple. Par souci d’équité, l’Etat maintient cependant un contrôle des tarifs qui freine le développement de ses établissements et par voie de conséquence leur capacités de sous-traitants. Mais cela tend à s’atténuer et les établissements pourront bientôt demander le paiement de frais de scolarité, devenant plus en mesure de couvrir leurs besoins. L’Etat délègue aussi de plus en plus ses responsabilités en tant que tutelle. Elle intervient moins dans les procédures d’ouverture des MMI et laisse cette tâche aux établissements et aux administrations locales, ainsi qu’aux tutelles académiques étrangères. Passée l’étape de l’homologation, elle exerce essentiellement un contrôle pour défendre ses intérêts fiscaux et éventuellement en tant que dernière garante de conflits importants mais jusqu’à présent très rares.

Ainsi, de manière surprenante « […] le Viêt-Nam socialiste et historiquement si jaloux de son indépendance, de l'attitude des pouvoirs publics face à cette internationalisation directe d'une frange importante - au moins qualitativement - de son dispositif de formation des élites […]» 941 a réussi à se départir, à la faveur de ses masters délocalisés, de la sacrosainte programmation des matières obligatoires ainsi que de toutes les autres activités sociales qu’il impose aux programmes vietnamiens. On notera au passage que ce phénomène entraîne de facto une certaine désacralisation de l’importance accordée à ces matières obligatoires pour la formation des futures élites.

De manière très libérale, l’Etat escompte sur une autorégulation qualitative d’un marché dont il reste cependant l’un des protagonistes en tant que client et souscripteur. Comme les entreprises, il peut sous-traiter des formations au management public, directement auprès de prestataires étrangers. Il peut aussi avoir une fonction de conseiller auprès de ses centaines de milliers de cadres fonctionnaires. Il peut enfin orienter ses milliers de bourses nationales où bon lui semble. Malgré la décentralisation et la responsabilisation accrue des établissements locaux, l’Etat reste leur tutelle académique, le propriétaire des biens publics, le patron de millions de fonctionnaires enseignants et administratifs et avec le budget de la nation, il détient encore largement des cartes concernant l’investissement et le développement des établissements locaux.

Malgré sa politique libérale largement ouverte à l’international, l’influence de l’Etat s’exerce toujours, mais à moindre mesure grâce à ses prérogatives directes, en tant que législateur, tutelle ou client. Il a, au même titre que les entreprises, un rôle de prescripteur, de veille active pour l’emploi. Mais il peut surtout avoir barre sur le marché en étant représenté par ses établissements publics, qui pour l’instant, sont les seuls interlocuteurs pour les projets étrangers qui cherchent un partenaire vietnamien. Il peut aussi avoir barre en tant que patron sur les ressources humaines locales si convoitées. Comme dans de nombreux pays émergents, où l’Etat exerce un pouvoir politique très fort, parfois exclusif, la portée de son influence est fortement liée à sa stabilité. En dernier lieu, sa capacité de tout faire basculer comme celle de créer extrêmement rapidement un environnement très favorable au marché pourrait en faire oublier sa présence.

Notes
941.

Joël Broustail, en collaboration avec Gilbert Palaoro, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, op. cit., page 61.