4.6 Conclusion du chapitre 4

Pour des raisons méthodologiques, le segment des Masters internationaux délocalisés dans le domaine du management a été choisi car il est le plus représentatif sur le marché de l’éducation au Viêt-nam. Son positionnement historique, son volume, l’investissement limité et surtout l’image de passeport pour l’emploi qu’il renvoie, en font un produit star. Ce chapitre a été consacré à la description de modalités de délocalisation, appliquées et comparées entre 2005 et 2008 sur l’ensemble des établissements que nous avons pu répertorier. Nous avons ensuite décrit les modalités de délocalisation, volontaires ou contraintes par l’environnement, qui sont censées pouvoir différencier les concurrents directs par l’apport de valeur ajoutée à leur formation. Dans un premier temps, nous avons suivi la méthode de la chaîne de valeur pour décrire l’ensemble des activités produites ou sous-traitées par l’établissement qui délocalise. Puis, nous avons décrit le niveau d’influence des acteurs qui interférent sur la formation suivant la logique des forces concurrentielles.

Le travail sur la chaîne de valeur s’est fondé sur l’étude d’une quarantaine de programmes répertoriés en 2008. Nous avons sélectionné près d’un tiers des établissements étrangers, sur les vingt quatre présents, pour leur originalité ou leur exemplarité. Ce fut d’emblée la preuve d’une très grande diversité de pratique et d’une croissance soutenue par la volonté de tous les acteurs. Cette dernière profite nettement aux programmes anglo-saxons au dépend des établissements tout ou partie subventionnés et principalement francophones. La diversité est le fruit d’un manque de standardisation internationale des MMI, en particulier du produit star, le MBA. Elle est aussi liée à une gestion minimaliste réglementaire de l’Etat vietnamien qui préfère déléguer les régulations aux tutelles académiques étrangères ou aux institutions locales.

Malgré cette grande diversité, des modalités communes ont été relevées. Ainsi, la délocalisation peut reposer sur deux formes de structures. Une minorité, principalement composée d’anciens sur le marché, a pu s’implanter dans des campus délocalisés ou des nouveaux établissements. Les autres, plus nombreux, sont accueillis par un nombre restreint d’universités publiques locales. Les MMI spécialisés sont principalement proposés par les « anciens » présents sur le marché pour pouvoir diversifier leur activité. Ceci contribue à limiter le véritable plébiscite en faveur du MBA.

Trois procédures d’habilitation des programmes sont possibles : les campus et établissements étrangers autonomes déclarent uniquement leurs nouvelles activités - l’Etat délègue l’autorisation d’homologation aux départements universitaires vietnamiens créés spécifiquement pour l’accueil des programmes étrangers payants - l’Etat homologue directement les autres MMI accueillis dans divers départements universitaires. Cet ordre de type d’homologation induit un degré décroissant de liberté d’entreprendre et de contrôle. De l’ingénierie pédagogique à l’administration, de l’accueil au markéting, plus un établissement est autonome moins il a besoin de sous-traiter auprès des partenaires locaux et moins il est dépendant de sa maison mère. Á contrario, plus il est autonome et plus il prend de risque. On observe ainsi que l’autonomie est dans la majorité des cas inversement proportionnelle à la construction d’un partenariat renforcé avec les universités locales.

Des modalités communes s’imposent parfois à une majorité. Parmi elles, l’homologation et le contrôle académique du programme et du diplôme est à la seule charge des tutelles d’origine. La gouvernance et de la direction des programmes est assurée à distance. Ensuite, nous avons noté que la très grande majorité des MMI est proposée en anglais. En l’état des représentations du public, la fidélité et la notoriété de la marque ne peuvent se construire que localement et les standards internationaux promotionnels ou de garantie, tels que les classements ou les accréditations, sont très peu efficients. Il s’impose de plus en plus à tous d’assumer un budget de manière autonome. La diminution progressive des aides publiques et des contributions des maisons mères en est une raison. L’autre étant la montée en puissance d’établissements anglo-saxons habitués à s’autofinancer.

Dans le registre des contrastes, nous constatons de grandes différences entre les concurrents. Ceci concernant notamment la manière d’aborder le marché, la stratégie de développement, la contractualisation, les programmes (contenus, durée, évaluation, processus de sélectionner, outils markéting directs, etc.). Finalement, nous constatons que les activités censées apportées de la valeur ajoutée témoignent de beaucoup d’originalité et d’une grande liberté d’entreprendre. Elles préfigurent aussi d’une certaine difficulté à pouvoir repérer une certaine logique entre toutes.

Le panorama de l’analyse des six forces externes pouvant influencer la production et le jeu compétitif n’en est pas moins complexe. En premier lieu, nous avons constaté que les acteurs de l’environnement pouvaient jouer un rôle dans de multiples forces. C’est donc en fonction de leur rôle principal que nous avons choisi, de manière non exhaustive, de décrire leur influence.

Concernant les consommateurs, nous constatons une montée en puissance du pouvoir des étudiants qui restent cependant limité par la nécessaire période d’apprentissage de ce rôle. Il faut qu’ils intègrent les règles en fonction de leur culture et de leurs habitudes. Cet apprentissage est rendu difficile par l’imprécision de leur projet professionnel, de leur manque de moyens d’information et d’évaluation. Pour des motifs culturels, il n’est pas non plus évident qu’ils puissent jouer le rôle attendu concernant une participation adaptée aux concepts occidentaux de l’apprentissage. C’est un facteur qui pourrait donc influencer directement la prestation. Les consommateurs constituent donc une influence potentielle et sous condition.

La situation est un peu identique pour les entreprises qui assument de front les rôles de clients ou de souscripteurs, avec cependant des comportements ambivalents, autant passifs que revendicatifs. Ainsi, elles sont capables de mettre activement en valeur les besoins de compétences managériales pour leurs cadres tout en se désengageant de leur fonction potentielle de formateurs. La relation de dépendance, souvent conflictuelle, entre elles et le monde universitaire, influence probablement le déroulement des programmes. Les clients du marché n’ont pas en l’état la capacité de représenter une force unie, que ce soit pour la négociation des tarifs ou l’amélioration qualitative des prestations. Ils abordent le marché individuellement en s’appuyant sur leur propre réseau. Les acteurs qui jouent le rôle de souscripteurs (les familles, les entreprises, le réseau académique) n’ont pas pour l’instant la possibilité ou le souhait de s’organiser pour pouvoir représenter une force qui pourraient orienter les choix du marché.

L’environnement global favorable et les faibles barrières à l’entrée qui en résultent incitent l’arrivée de nouveaux entrants et postulants, notamment des anglo-saxons. Mais le montage de ce type de projets est complexe, prend du temps, nécessite de trouver un partenaire et reste risqué, particulièrement pour les campus étrangers qui doivent assumer l’ensemble de l’installation mais aussi garantir l’amortissement d’investissements considérables.

Les nouveaux entrants sont cependant peu ou pas désavantagés par les acquis et la force du jeu concurrentiel des plus anciens. Ces derniers ne semblent pas suffisamment jouir d’une notoriété qui serait en mesure de créer un monopole. L’entrée est aussi favorisée par l’indécision d’un public volatile qui privilégie avant tout le diplôme étranger. Il reste cependant à démontrer si le marché, malgré sa jeunesse et la forte demande, est encore dans les faits financièrement ouvert à un public solvable. Dans le cas contraire, les nouveaux entrants seraient pénalisés. Au niveau financier, on observe que les entrants subventionnés sont relativement moins importants, alors qu’ils pourraient représenter un fort danger pour le marché. La force d’influence des nouveaux entrants paraît être suspendue à de nombreuses conditions ou incertitudes. On relève notamment parmi elles : la capacité d’expansion du marché, leurs capacités à accepter de prendre un tel risque et à pouvoir lever les fonds, celles de pouvoir se différencier des autres concurrents, ou de trouver le partenariat adéquat.

Quant aux produits de substitution, l’ouverture du marché éducatif a profité de manière très réactive à multiplier les formes de prestations, mais il reste à savoir si certaines ont la capacité ou l’intérêt de prendre les parts de marché. Le ticket d’entrée pour une concurrence active reste cependant de pouvoir justifier d’une diplômation étrangère. Dans ces conditions, il semble que pour l’instant les diplômes universitaires ou de formation professionnelle peuvent jouer ce rôle. D’un côté, les mobilités internationales ciblent un public qui a les moyens de totalement se détourner de l’offre MMI locale. De l’autre, les prestations moins chères, plus courtes, internationales mais pas diplômantes, anglophones, s’inscrivent dans un marché suffisamment volumineux pour satisfaire la multitude des prestataires présents. Les masters locaux sont encore loin de pouvoir concurrencer le rêve international des étudiants. Il y a enfin les FOAD, qui paraissent idéales comme produit de substitution, mais qui sont pour l’heure trop innovantes. C’est donc finalement les DU qui semblent offrir le produit le plus proche. Ils peuvent aussi bien être le produit d’une offre universitaire présente sur le marché ou postulante. Ils peuvent aussi être proposés par des établissements étrangers, non universitaires, mais spécialisés dans la formation continue. La force de substitution des DU peut provenir du manque de représentation du public concernant les concepts de qualité, de diplôme, de formation internationale, de programme. On peut légitimement se demander si ce public est capable de distinguer un DU d’un MMI. Le DU peut proposer un programme similaire, une attestation de formation internationale, a plus de facilité à être mis en place, coûte moins cher, etc. Mais finalement cette force de substitution reste potentielle et en l’état annihilée soit par l’opulence ou la facilité d’exploitation des autres segments du marché de l’éducation, soit parce que ce créneau n’est pas encore franchement exploité comme celui des FOAD. Pour l’heure, ces autres prestataires semblent suffisamment occupés.

A contrario, le rôle joué par les universités locales et leurs ressources humaines, partenaires souvent incontournables de l’offre étrangère, est quand à lui très actuel. Elles s’imposent plus comme de véritables fournisseurs ou sous-traitants, plutôt que comme des complices ou collaborateurs. Leurs forces sont liées au volume important d’activités qu’ils doivent assumer comparativement au nombre limité d’université capables d’accueillir les projets, ainsi que de personnel qui soit jugé capable d’atteindre les objectifs fixés. L’influence est d’autant plus grande, qu’elle intervient dans des activités essentielles pour donner de la valeur ajoutée au programme. Du fait de leur rareté, ces prestataires de service ont la capacité de jouer un rôle d’arbitre dans le jeu concurrentiel. En d’autres termes, ils ont le pouvoir de choisir. Les universités locales peuvent même se permettre d’accueillir sous le même toit des concurrents directs. Les enseignants peuvent, quant à eux, aller exercer chez l’un ou l’autre concurrent. Mais nous n’avons pas pour l’instant observé des stratégies conduites par les uns ou les autres pour véritablement profiter de cette situation. Il n’empêche que ce quasi monopole persistera tant que les universités publiques ou privées ne seront pas en mesure de concurrencer les rares universités locales qui sont actives sur le marché. Le processus est identique pour les ressources humaines.

Pour les mêmes motifs d’intérêts partagés, l’Etat utilise quant à lui largement son pouvoir au profit d’un développement tout azimut. Il est potentiellement présent partout, que ce soit en tant que tutelle, client, souscripteur, propriétaire, prestataire, etc. Cependant, il continue essentiellement à exercer une forte influence par le contrôle politique et l’appareil législatif. Sa stratégie consiste à déléguer le pouvoir et la gestion au profit des administrations locales et des universités vietnamiennes d’élite. En conséquence, il influence le marché dans le sens de la dérégulation. Mais l’Etat n’est pas actuellement en mesure de consolider sa politique par des moyens supplémentaires, de formation, d’évaluation, de contrôle, d’investissement, etc. Il semble donc pour l’instant pouvoir tenir un rôle de facilitateur qui lui fait perdre de son influence en tant que tutelle et administrateur, mais qui ne l’empêche pas cependant d’exercer un contrôle politique fort, en principe capable de pouvoir faire basculer à tout moment n’importe quel marché.

Pour résumer, nous avons donc tenté de décrire l’essentiel des modalités mises en œuvre par les établissements étrangers pour la délocalisation d’un MMI. Nous avons constaté qu’elles étaient fortement diversifiées et qu’elles dépendaient aussi bien des intérêts ou des contraintes qui s’imposent aux établissements que des diverses forces, parfois importantes, souvent potentielles, provenant du jeu des acteurs principaux présents sur le marché de l’éducation. Nous formulons à présent l’hypothèse que cette diversité des pratiques n’est pas totalement le fruit d’une stratégie pleinement sous contrôle. Elle émane aussi de la croissance, voire de l’immaturité d’un marché des MMI, qui renvoient à une image d’instabilité. Il nous faudra donc réfléchir précisément sur cette hypothèse car elle peut avoir des conséquences importantes sur une mise en œuvre cohérente de la stratégie poursuivie par les concurrents. Notre travail a permis de mettre à jour un ensemble de modalités de délocalisation mais il restera à étudier plus précisément le rôle de certains facteurs qui facilitent la délivrance d’une formation exportée censée être identique et d’excellence, à savoir les activités de sous-traitances et de là, le rôle capital des partenaires vietnamiens.