5.1 Stratégie du portefeuille des produits

Le choix du programme transféré, son contenu, son titre et sa notoriété constituent en principe les éléments centraux pour une offre de se différencier in fine de la concurrence. Dans le segment du marché des MMI, plusieurs possibilités de programmes sont ainsi réalisables par les concurrents en fonction de leurs moyens et de leur stratégie. Parmi elles, on relève que la prestation de référence est représentée par le MBA. Dans la logique de notre marché, il est dès lors intéressant d’analyser dans quelle mesure ce choix intervient dans le processus de délocalisation et influence la stratégie globale. Un programme n’étant jamais choisi au hasard, délocaliser un MBA ou un master finance demande ainsi des ressources et un appareillage très différents. Le questionnement est important car il permet de rapprocher l’offre existante aux attendus de la demande :

Parmi les MMI proposés au Viêt-nam, nous pouvons relever des différences permettant de distinguer cinq familles de programme correspondant potentiellement à autant de stratégies, dont la répartition est illustrée par la figure 5.1 :

[Figure 5.1 - Différenciation par les programmes]
[Figure 5.1 - Différenciation par les programmes]

En prenant en référence les représentations du public, nous pouvons considérer que le MBA est la prestation star du marché, mais cette reconnaissance va-t-elle de paire avec la capacité de cette formation de pouvoir couvrir les attentes des acteurs ? Après avoir sommairement décris les différents types de MMI943, notre analyse portera particulièrement sur les caractéristiques des MBA en tant que programme générique et Star. Nous effectuerons en suite des rapprochements entre les autres types de programme, la stratégie qu’ils sont censés porter et la demande auquel ils doivent répondre en s’arrêtant notamment sur leur pertinence au regard des attentes socio-économiques globales.

Les MBA standards

Parmi tous les MMI, 31% d’entre eux soit treize, essentiellement provenant du secteur privé, peuvent être assimilées à une prestation MBA standard offrant un programme de management traditionnel sans aucune particularité. C’est une formation au management très généraliste pour des futurs managers qui à priori ne sont pas encore déterminés leur secteur d’activité ou leur fonction précise au sein des équipe de direction d’entreprise. En terme qualitatif, on peut considérer que la stratégie se focalise sur la maîtrise et l’amélioration de la forme, de l’accueil, du markéting. Ces formation sont d’une part sous-traitées en grande partie par un partenaire, d’autre part elles ne sont pas ou peu adaptées au préalable aux spécificités locales, enfin les moyens sont mis en place a minima notamment pour l’accompagnement des activités sous-traitées et pour le contrôle. La mise en valeur stratégique s’effectuera dès lors, par exemple, sur le tarif, la spécificité anglo-saxonne ou la présence en termes de volume d’activités ou d’ancienneté de présence en Asie, d’établissements tels que la Troy ou UBI. Pour compenser le manque de notoriété locale, ils vont notamment investir sur les outils promotionnels comme des sites Internet performants et des images markéting très soignées. Au niveau tarifaire, ces établissements vont se situer en dessous de la moyenne du marché.

Différenciation « haut de gamme »

La catégorie des MBA qui pratique la différenciation haut de gamme concerne les établissements qui choisissent d’afficher une prestation de meilleure qualité en améliorant le service global pour finalement justifier soit un tarif plus élevé à l’exemple du RMIT ou tout bonnement pour atteindre des objectifs qualitatifs scientifiques, comme dans le cas du CFVG ou de l’AIT Vietnam.

Nous avons relevé treize soit 30% des programmes provenant autant des secteurs privé et public et principalement des structures délocalisées. Ces établissements tendent à les valoriser grâce à une expertise scientifique de haut niveau, la maîtrise de l’ingénierie pédagogique ou de l’accueil. Ce sont généralement les plus anciens sur le marché, ils ont acquis une certaine notoriété locale, une plus grande autonomie dans la mise en d’œuvre du processus de formation, y compris la gestion des infrastructures.

On réalise que cette offre a un potentiel limité de croissance car elle nécessite les structures opérationnelles plus complexes et actuellement minoritaires sur le marché. Actuellement, seul le RMIT possède un fort potentiel qu’il préfère cependant orienter vers des activités plus lucratives telles les licences ou les formations anglophones.

Spécialisation MBA.

Cette stratégie consiste à proposer, à partir du programme généraliste MBA, des spécialisations orientées vers un secteur d’activité professionnelle plus précis, contrairement à la forme générale du MBA qui consiste à former au management dans tous les secteurs944. Cette stratégie consiste donc en une différenciation en agissant sur la prestation MBA de base et en ciblant les étudiants souhaitant devenir managers dans un secteur d’activité professionnelle particulier ou dans une branche précise au sein des organisations et des entreprises. Par exemple, c’est le cas du Master en Management des organisations945, du Master in Business and marketing Management946 ou celui du management dans le secteur de la Banque947. Ces futurs cadres acquièrent ainsi des connaissances plus approfondies dans ces différents domaines dans lesquels ils exerceront leur métier de manager et/ou de conseil, à savoir, respectivement : management d’une société de conseil aux entreprises, manager dans une société en markéting, ou manager ou assistant dans un service financier bancaire. Il s’agit donc de l’acquisition d’une double compétence.

Nous en avons répertoriés quatre soit environ 10% du total, dont 1 anglo-saxon ainsi que le programme de Harvard/Fulbright totalement subventionné.

Masters spécialisés

Il s’agit des formations qui se trouvent dans le domaine scientifique de la gestion et de l’économie mais qui permettent la formation à un métier précis autre que celui de manager. Il en est ainsi du « master international de comptabilité »948 ou en « expertise économique et de celui de gestion de projets internationaux »949. La personne intéressée à des orientations professionnelles à priori nettement plus ciblée que celle souhaite poursuivre un MBA. On forme à un autre métier qui permet aux étudiants de devenir des experts comptables ou des gestionnaires de projets internationaux. Cependant, les réalités de notre marché poussent ces programmes à concourir dans le segment commun des MMI. Rappelons que la représentation du public s’oriente vers le business et le management et que les masters apparaissant trop différents, ouvrant à d’autres métiers, risquent de souffrir d’un manque de reconnaissances, voire d’être ignorés. Nous en avons répertoriés dix, soit environ 24% du total, dont deux privés anglo-saxons.

La focalisation linguistique

La stratégie de focalisation consiste à proposer des programmes en fonction d’un public très ciblé. Elle concerne essentiellement les programmes subventionnés et francophones. Les étudiants potentiels font partie du segment de ceux qui sont intéressés par l’offre globale MMI mais ils sont les seuls à pouvoir pour autant choisir un programme très spécifique. Ils deviennent ainsi une niche de marché. Dans notre cas, deux programmes seraient seulement concernés, ce qui représente 5% du marché : le master en management de projet soutenu par l’AUF et l’un des MBA du CFVG.

Malgré la complexité de cet environnement concurrentiel et les enjeux sous-entendus par ce marché de l’éducation, qu’ils soient volontaires ou subis, les concurrents doivent mettre en place ou poursuivre une stratégie leur permettant d’atteindre leurs objectifs notamment en choisissant donc le programme adapté.

Observons donc à présent la manière selon laquelle ils s’approprient ces conditions et se mettent en valeur à travers des modèles stratégiques en répondant à ces trois questions relatives aux stratégies entreprises :

Ces stratégies ont-elles plutôt une visée :

  • commerciale, répondant à des intérêts plus individuels, visant une efficacité à plus court terme ?
  • ou culturelle, plus pérenne et sociale, facilitant l’acquisition de compétences foncières, appropriation du projet par les partenaires locaux ?

Consistent-elles plutôt à :

  • maîtriser l’environnement global de la formation ? L’offre se différencie en jouant sur la structure, l’organisation ou les aspects opérationnels. On agit sur la forme, sur les moyens pédagogiques, sur la qualité de l’accueil, etc.950 ;
  • maîtriser l’environnement scientifique de la formation ? L’offre se différencie en agissant sur les contenus scientifiques, sur les méthodes d’enseignement, notamment par le choix de formation ou par l’adaptation aux spécificités locales.

Mais l’attribution pour chacun des masters d’un positionnement stratégique particulier et dans les faits complexe et aléatoire car cette formation n’est pas standard et le positionnement évolue rapidement en fonction des contenus, des moyens et de l’évolution du marché. Prenons le cas de l’UBI qui, comme la majorité de l’offre, revendique haut et fort une notoriété internationale et affiche autant l’excellence que les tarifs les plus bas du marché privé. Deux prestations peuvent ainsi se côtoyer et s’afficher en vendant le même produit, mais en étant très différentes qualitativement. Il peut être tout autant difficile de savoir si un master en management des systèmes d’information relève de la spécialisation (car c’est du management spécifique lié à l’information et à la communication), ou de la focalisation (car l’originalité du programme pour lui conférer un caractère très spécifique, touchant un public précis, ciblé, de professionnel). Les contenus des programmes sont très génériques, l’information réduite, nous manquons de recul et les évaluations sur le devenir des diplômés sont pratiquement inexistantes.

Par ailleurs, le positionnement stratégique des programmes n’est pas précis. En effet, il évolue en fonction des acteurs, de la demande, des modalités de délocalisation, mais aussi avec le temps. On note cependant que cette évolution est relativement faible dans notre cas, ce qui profite au choix « MBA standard » et limite la capacité des autres types de programmes de se différencier. Ceci est grandement lié à la jeunesse du marché, à l’incapacité des jeunes de reconnaître les différences entre les programmes, au manque d’informations permettant de faire le lien entre un programme et son objet au regard du marché de l’emploi. Nous sommes dans une phase émergente qui finalement concerne une élite de jeunes satisfaite par un nombre limité d’offres, ce qui permet d’orienter logiquement le marché vers des prestations moins élaborées. L’heure n’est donc pas encore à l’innovation, d’où un positionnement favorable et figé de l’offre MBA.

Dans un marché fortement concurrentiel, ce choix doit faire en principe l’objet d’études préalables très précises permettant de positionner la prestation en fonction de la concurrence et justement de parer aux évolutions du marché. C’est la conséquence de l’assimilation qui est faite par un public, qui éprouve des difficultés à discerner la qualité des prestations offertes par des concurrents. Il éprouve aussi des difficultés à distinguer en termes d’intérêt pour sa carrière, des différences entre un programme MBA standard, un EMBA, un Master en markéting, un master en management de projet ou management de la qualité, etc. Quel programme choisir, pour quel métier, pour quel rêve, alors que quinze ans auparavant rien de tout cela n’existait ?

Pourtant, les différences peuvent être nombreuses et avoir de sérieuses conséquences pour l’avenir de chaque diplômé mais aussi du pays dans sa globalité, car la facilité de délocalisation n’est peut-être pas synonyme de pertinence en termes de carrières ou d’acquisition des compétences. C’est donc dans ces conditions que l’offre internationale doit choisir la stratégie de programme adaptée en poursuivant une stratégie particulière que nous allons à présent tenter d’analyser.

Notes
943.

Classification faite à partir des concepts stratégiques de base et d’une illustration proposée par Mintzberg concernant le MBA, à propos de la segmentation et de la spécialisation. Henry Mintzberg, Des managers des vrais ! Pas des MBA, Paris: éd. d'Organisation, 2005.

944.

On a relevé les principales spécialités suivantes sur le marché vietnamien des MMI : comptabilité, management de projets, finance, banque, assurance, management des organisations, marketing, management public, etc.

945.

Université Toulouse II, dans le cadre des PUF.

946.

ULB/Solvay.

947.

Université Bordeaux IV.

948.

Université de Swinburne.

949.

Université de Paris XII, PUF.

950.

Rappel méthodologique : on peut assimiler cette capacité à une forme de différenciation stratégique par le haut. On améliore et on agit sur l’outil de production plutôt que sur le produit lui-même.