5.1.1 Le MBA standard : la voie commerciale typique

Le MBA domine le marché vietnamien car c’est le plus facilement exportable mais pour répondre à quels besoins. Cette domination est constatée dans le monde entier, mais particulièrement dans les pays en développement. Il concerne tous les secteurs d’activités, la formation comprend de nombreux fondamentaux et le cursus apparait comme le plus standardisé. Contrairement à sa vocation d’origine, il peut, dans les faits, être totalement réalisé en dehors d’un contact direct avec le monde socio-économique et les entreprises en particulier. Le besoin de diversifier les formations dans le domaine de la gestion et des sciences économiques est révélé par la multiplicité des formations spécialisées qui existent en occident symbolisant ainsi la nécessité de les diversifier pour répondre aux besoins de plus en plus spécifiques de ces grands pays industrialisés. Contrairement au Viêt-nam, ces formations représentent des segments particuliers du marché. Les établissements les utilisent en les positionnant sur une stratégie de spécialisation ou de focalisation car elles symbolisent leur domaine d’expertise. Elles sont généralement les plus chères. L’activité MBA se positionne différemment au Viêt-nam : elle prend son envolée alors qu’elle est sur le déclin en occident. Ici, elle est sacralisée, ailleurs elle est banalisée, substituée par des formations plus spécifiques ou des programmes revisités ou sur le déclin. Cette formation et ses dérivés représentent cependant près de deux tiers des MMI951 au Viêt-nam car c’est la stratégie commerciale la plus logique car la plus simple à mettre en lace et/ou la plus rentable. Ce master « pas comme les autres » est vendu comme « […] en quelque sorte un passeport pour le monde moderne et global auquel s'ouvrent ces sociétés. Á la différence des Masters traditionnels, plus académiques, scientifiques ou en sciences humaines, héritiers de la période antérieure, le MBA n'est pas suspect d'obsolescence : ses contenus correspondent a priori à des corpus mondiaux, et, en dehors des équipements informatiques, les outillages techniques, si importants pour une école d’ingénieur, y jouent un rôle marginal »952.

C’est donc avant tout l’offre qui fait l’essentiel de la promotion du MBA, en préférant s’appuyer sur des pratiques bien rodées concernant le seul programme qui réussit quelque peu à alimenter les représentations des futurs apprenants et de leurs prescripteurs953. Le respect du titre a poussé un responsable de programmes a renommé un programme qu’il avait osé nommer « Executive MBA » 954 , dès lors perçu par certains étudiants comme un sous-produit, fruit d’une discrimination positive en faveur de professionnels qui auraient académiquement échoués ! Ainsi, le MBA a une valeur générique qui lui confère une sorte de notoriété « naturelle » et même s’il est difficile pour bon nombre d’étudiants d’en reconnaître le sens et les contenus.

Face à la popularité des MBA, il faut de bonnes raisons pour proposer un programme différent comme ce peut être le cas de certains Masters tel que ceux en Marketing et Banque/Finance du CFVG qui proposent des spécialités qui ont une forte légitimité sur le marché avec cependant des tarifs réduits grâce notamment aux aides publiques. Les autres MMI sont donc marginalisés dans le marché. Chaque nouveau programme s’impose comme un spécimen, mais le manque de reconnaissance limite sérieusement la possibilité de valoriser ses différences, que ce soit en termes de contenus scientifiques ou de débouchés et même si la demande se spécialisation de haut niveau est forte du côté des entreprises vietnamiennes car leur pendant, qui serait produit par l’offre vietnamienne, n’existe pas. Le manque de notoriété et le fait que l’essentiel du public assimile tous les MMI au sacro-saint MBA placent ces programmes dans une position finalement délicate car en concurrence directe avec toute l’offre MBA. Le temps ne joue pas pour l’instant en leur faveur, puisque le marché progresse grâce essentiellement à un afflux de MBA et une demande qui n’est pas près de se tarir.

Le MBA, pour tendre vers l’efficacité

Transférer un MBA plutôt qu’un autre programme n’a pas seulement des avantages markéting et commerciaux, mais aussi opérationnels au niveau académique. Tout d’abord, cette formation a l’avantage de proposer un tronc commun et des cours fondamentaux académiques largement éprouvés, populaires, inspirés de longue date par des concepts très occidentaux, principalement américains. Cependant, l’image de simplicité et d’uniformité des MBA n’enlève en rien la complexité et la diversité de leur mise en œuvre955. Difficile de trouver deux MBA qui se ressemblent vraiment dans notre marché. C’est là l’un des paradoxes de cette prestation modèle et l’expression des divergences entre les concurrents notamment dans les processus de sélection – le nombre de crédits et la durée des formations – les processus d’évaluation – conditions d’accueil – les effectifs, etc. Différences qui s’illustrent parfaitement dans les écarts de tarifs de un à six956.

Ensuite, comparativement à des masters plus spécialisés, ces cours nécessitent un travail de mise à jour et donc de développement moins important. C’est cette imprégnation occidentale qui est l’un des arguments clés de l’attractivité des MBA auprès du public et qui justifie un transfert de leurs contenus à l’identique, mais plus la formation est spécialisée vers une science ou un métier, moins ce concept marketing se vérifie. Moins les savoirs transférés sont standards, concernent un domaine scientifique plus pointu et demandent une mise à jour des savoirs plus fréquente, plus difficile et coûteux sera leur transfert. C’est notamment le cas pour l’expertise scientifique étrangère ou locale. Ces programmes spécialisés sont comparativement plus difficiles à copier que les MBA et font donc plus rarement l’objet d’accord de délocalisation. L’exigence en terme d’expertise scientifique et la plus grande rareté des ressources humaines compliquent les phases de recrutement des partenaires (risque de ne pas trouver des relais locaux et de compenser par la mobilité, salaires plus élevés) - d’adaptation des programmes (accentuation des besoins en formation, plus de frais en développement de documentation spécialisée). Tous ces facteurs ont un impact sur le coût réel et essentiellement sur les charges fixes de ces programmes spécifiques. Mais étant positionnée en concurrence directe avec les MBA et touchant frontalement le même public, on observe que l’offre propose pour ces programmes des tarifs qui s’alignent avec ceux des MBA, que ce soit pour les établissements publics et privés. Une preuve de leur difficulté à pouvoir se différencier commercialement. Nous pouvons en effet observer, dans le tableau 5.1, infra, que les conditions générales comparatives sont plus favorables à la mise en place de MBA :

[Tableau 5.1 - Estimation du niveau de risque de transfert par programme]
[Tableau 5.1 - Estimation du niveau de risque de transfert par programme]

Dans ce contexte la marge de manœuvre de l’offre étrangère pour se différencier s’applique essentiellement sur son tarif, sur les modalités de délivrance, l’agencement de l’emploi du temps, le processus de sélection, faire miroiter le réseau des alumni, proposer des cours supplémentaires, etc. Il faut pouvoir compenser le fait de ne pas être propriétaire ou locataire des lieux, de ne pas maîtriser l’ensemble du processus de réalisation de la formation, de ne pas être titulaire d’une licence qui freine l’investissement plus foncier en équipements ou en développement, de ne pas pouvoir jouer sur l’accueil et la maîtrise du projet, de ne pas avoir l’expertise scientifique suffisante pour développer un produit ou proposer un produit spécifique.

Pour intégrer ces contraintes, il est possible d’exploiter le MBA de manière synergique, dans une dynamique de réseau régional en tant que prestation la moins risquée car la plus facile à délocaliser. Il en est ainsi de la Trobe qui implante le MBA au Viêt-nam comme un produit d’appel, alors qu’en définitif elle est spécialisée dans les métiers de la santé. Elle est présente dans des pays où son expertise est fortement recherchée et non concurrencée tels que la Malaisie, Le Bouthan et la Chine. Comme au Viêt-nam, l’université se positionne sur un produit d’appel, le MBA, probablement pour se faire reconnaître, créer « un fond de commerce », intégrer le milieu et ramener peu à peu vers ses spécialités qui sont les métiers de la santé.

Un autre exemple de choix stratégique régional concerne l’UBI. Cette école de commerce privée implantée en Belgique doit trouver les moyens de compenser son éloignement et le manque de structure. Partant d’Europe, elle fait le choix d’investir en Asie en s’implantant dans des pays en développement tels que la Chine, la Malaisie ou le Viêt-nam où la concurrence est faible, figure 5.2 :

[Figure 5.2 -Simulation de la stratégie du "United Business Institute"]
[Figure 5.2 -Simulation de la stratégie du "United Business Institute"]

Il est intéressant de constater qu’au Viêt-nam, cette université s’est implantée sur deux sites à HCMV, le MBA dans une université des sciences humaines et le « bachelor » à Hoa Sen, une université privée. UBI prévoit d’implanter une antenne régionale pour multiplier son activité en Asie et compenser l’éloignement. Elle miserait alors dans la mise en place d’une stratégie régionale décentralisée et en réseau en s’appuyant sur les produits MBA et Bachelor en « business ».

L’Université australienne de Troy est un bel exemple de l’intérêt de développer une activité de volume grâce au MBA. Elle poursuit une stratégie régionale en réseau en s’affichant dans neuf pays d’Asie, y compris le Japon, la Corée et la Chine, mais n’a en fait que des programmes en Malaisie, au Sri Lanka, en Thaïlande et sur trois sites au Viêt-nam. Ces universités recherchent des lieux d’implantation peu concurrentiels avec leur produit d’appel de formation en commerce, les Bachelors et MBA dans des pays en développement.

Ainsi, la majorité des universités privées ont des velléités expansionnistes pour trouver un public et des solutions extérieures et produire du volume d’activités. Elles s’appuient sur leur expérience pour créer des modèles de délocalisation à partir de l’excellent produit d’appel qu’est le MBA. Pour elles, la délocalisation est donc un véritable métier suivant une stratégie élaborée et commerciale. Celle-ci demande une force de frappe organisationnelle, une batterie d’outils, des investissements. Ce sont des stratégies à haute prise de risque.

Pour compenser l’absence de structure, mais aussi pour pouvoir multiplier leurs prestations dans des sites qui ne vont pas provoquer de « cannibalisme », elles tendent à compenser leur manque de maîtrise du projet par des moyens permettant des économie d’échelle : la circulation de l’expertise scientifique - la reproduction d’un même programme sans développement ni adaptation - un renforcement de leur image de marque régionale - un affichage moderne de leur produit grâce à une communication soignée – mais surtout les tarifs les plus bas de leur segment pour vendre le produit le plus populaire : le MBA.

Elles profitent aussi de leur origine pour se faire valoir car non seulement le MBA se doit au niveau acronymique d’être anglo-saxon, mais de plus, il est symboliquement souvent attaché à la réussite sociale et commerciale véhiculée par « le rêve américain ». Le fait pour ces écoles d’être américaines, australiennes ou anglaises, les assimile donc à ce rêve.

L’offre privée apparaît donc comme la mieux positionnée pour défendre une stratégie de différenciation en agissant sur les formes et s’appuyant sur le MBA en tant que produit star du marché.C’est en tout cas le point de vue de l’agence américaine de développement au Viêt-nam, qui considère que les seuls concurrents sérieux de leurs universités dans ce business ne peuvent provenir que des pays anglo-saxons : “However, competition is primarily limited to education service providers from English-speaking countries957. Ils sont représentés, dans l’ordre de citation, par le Royaume-Uni, l’Australie et Singapour. Cette agence précise toutefois que ces deux derniers présentent de plus l’avantage géographique, sont plus familiarisés à l’environnement culturel et aux modes de vie locaux. La croissance des activités des pays anglo-saxons au Viêt-nam vérifie ces propos.

En terme prospectif, notons que le monopole commercial anglo-saxon des MBA pourrait se faire attaquer là où on l’attend le moins en Asie, sur le front des pays en développement, tels que la Malaisie ou la Thaïlande, pays anciennement très convoités mais où le marché des MMI et notamment des MBA a considérablement évolué. Ces derniers commencent à exporter et dupliquer des formations moins chères, notamment en Chine et accumulent progressivement de l’expertise anglophone, qu’ils vont même chercher en Inde et doivent eux aussi faire face à une concurrence locale féroce qui les incitent à s’exporter. Ils peuvent le faire en leur nom, être franchisés par des établissements occidentaux, s’appuyer sur des agences implantées au Viêt-nam telle qu’Apollo pour s’exporter ou pour vendre des produits de substitutions non homologués, tels que des DU ou des attestations quelconques.

Comme l’indiquait avec inquiétude un article de l’OCDE, « En Asie et en Europe de l’Est on assiste à une prolifération de formations dites ‘ homologuées’, proposées par des institutions, fonctionnant en franchise pour le compte d’une université britannique ou australienne »958.

De nombreuses combinaisons sont donc possibles pour pouvoir investir le marché à condition de s’inscrire dans une démarche véritablement commerciale, sans retenue, surtout pour ces établissements privés contraints de développer ce type de stratégie pour ne pas mourir.

Ainsi, à partir d’un programme prétendument similaire, les différences de production peuvent être très importantes entre un MBA du RMIT Vietnam et celui fraichement implanté d’un nouvel entrant. Ces écarts symbolisent la marge de manœuvre possible pour justifier une stratégie de différenciation par le haut ou une stratégie consistant à proposer un MBA standard. Á partir d’un même produit, le MBA, une multitude de conditions peuvent devenir des arguments commerciaux, rendant très difficile l’évaluation de la qualité et des résultats. Difficile, parce que le MBA n’est pas un diplôme standard sur le marché vietnamien. Les divers systèmes d’assurances qualité, ainsi que l’uniformisation mise en place dans des régions comme l’Europe (crédits ECTS), arriveront probablement en dernier pour faciliter sa reconnaissance dans ce genre d’exploitation commerciale.

Cependant, ce qui peut paraître comme une pratique logique et sans grandes conséquences pour une prestation touristique ou hôtelière (sans négliger l’importance des plaisirs individuels) peut prendre des allures bien plus graves dans une prestation éducative et à l’échelle d’un pays. Il ne s’agit pas d’une étoile supplémentaire sur un guide, justifiée par la qualité d’un repas ou la propreté d’une chambre. Rappelons que l’enjeu est de taille, il s’agit de garantir les conditions minimales de délocalisation pour reproduire un diplôme dans son état d’origine et par delà, des conditions du développement de tout un pays en recherche d’expertise scientifique.

Grâce notamment à des systèmes de recrutement et d’évaluation dont le niveau d’exigence est souvent diminué, nous savons que ces formations peuvent tout au moins garantir la délivrance du diplôme étranger et tous les avantages attenants pour démarrer une bonne carrière. Pour le reste, il est difficile de garantir dans ces conditions d’apprentissage, des apports de compétences personnelles ou professionnelles qui soient du même niveau que celui qui est censé être délivré par les formations d’origine. Il reste à savoir ce que ce type de formation est capable d’apporter en dehors des intérêts pour la carrière du diplômé. Ce résultat paraîtrait suffisant pour toute activité commerciale, l’est-il pour autant dans une vision plus macroéconomique et sociologique ?

La communauté scientifique et le monde des entreprises doutent sérieusement de la capacité de ces formations standards si populaires. Les images renvoyées par les jeunes managers des pays occidents n’apparaissent pas comme des modèles absolus, est-ce que les mêmes formations transférées au Viêt-nam risquent de donner les mêmes résultats ?Le doute porte ainsi sur :

  • les effets sociaux : « Prenons-nous le temps de réfléchir sérieusement au type de leadership dont nos institutions sociales les plus importantes, en particulier les entreprises, ont besoin ? Prêtons-nous une attention suffisante au rôle du jugement, du dévouement, de l’humilité, de la générosité – et de la légitimité ? Pensons-nous à l’effet qu’entraîne sur tout ceci le mode le plus répandu de formation et donc de sélection des dirigeants ? » 959 ;
  • la capacité des MBA à apporter des compétences pérennes : « Plus que des compétences liées à un métier, il s'agit d'éveiller des capacités liées à un rôle. La question est de savoir comment on entend ce rôle »960 ;
  • les valeurs sociales et culturelles, le respect des spécificités 961. Alors que nous traversons une crise économique sans précédent, ce questionnement prend encore plus de valeur. On peut se demander ce que ces futurs diplômés apprennent, comprennent et intègrent de ces formations fondées sur des valeurs sociales et culturelles qui leur sont si éloignées ;
  • sur les contenus scientifiques. Le MBA peut renvoyer l’image d’un produit d’appel standard mais obsolète qui a beaucoup apporté en occident mais qui s’épuise 962 .

Le MBA ne fait donc plus recette comme avant en occident, où il est par ailleurs en total reconversion963. On modifie ses contenus, on se rapproche à nouveau du monde des entreprises, on se recentre sur le projet de l’apprenant et surtout on crée des modules relatifs aux valeurs sociales, en travaillant sur l’éthique, sur les comportements et les responsabilités individuelles des futurs managers. Souvent délaissée, c’est peut-être enfin, le retour de la gestion des ressources humaines  964 !

Mais tout ceci n’empêche pas le MBA d’être bien présent au Viêt-nam suivant les anciens modèles car les renouvellements de programmes prennent du temps, il faut pouvoir avoir les moyens de les développer et de les appliquer. Et ceci est urgent car la valeur d’un MBA tient largement dans sa capacité à être adapté : « L'opinion dominante relative à ces formations délocalisées est en faveur du pluralisme socio–culturel et appelle à des formes de management différentes qui s’enracinent localement et sont souvent le produit d'un milieu, notamment quand il s’agit d’un pays qui vient de s’ouvrir. Alors que l'enseignement académique traditionnel est décontextualisé, l'éducation-formation au management ou à l'entrepreneuriat doit être contextualisée. Il est donc préférable pour ces formations en management, d’établir des liens véritables entre le processus d'apprentissage et le contexte dans lequel il doit s'appliquer et particulièrement lorsqu’il s’agit de pays si différent du lieu ou de la culture de référence d’où ils sont issus » 965 .

C’est pourquoi l’inquiétude est permise sur les résultats de cette formation sur les apprenants vietnamiens. Pour illustrer ce propos, prenons en référence le sacro saint «  rituel des études de cas  ». « La manière dont elles sont conduites peut être inadaptée car « administrées à des gens sans expérience […] c’est un simulacre de réalité, un placebo […] et les résultats sont dramatiques […]. Dans ces conditions, les diplômés ne seraient pas formés pour créer, entreprendre ou innover, mais pour assurer des fonctions dont ils n’auront pas à assumer les conséquences de leurs décisions, telles que les fonctions de conseils, d’audit, de stratégie »966. De plus en plus d’universitaires pensent ainsi que les écoles de management ont pour rôle de fournir des outils d’analyse factuelle et agissent ainsi peu sur les capacités foncières des apprenants. Nous savons que ces études de cas peuvent s’avérer être de bons outils pédagogiques à condition de ne servir que d’appui à un travail de conceptualisation et surtout d’adapter les cas aux réalités des apprenants.

Concernant les cours proposés, nous savons que « ces approches théoriques ne rejoignent pas non plus nécessairement la culture d’apprentissage locale. S’il y a, au Viêt-Nam notamment, un goût prononcé pour l'abstraction et la formalisation mathématique, le type de conceptualisation propre aux sciences humaines - par exemple, en management, les différentes théories des organisations - y est en revanche assez peu familier : dans la culture asiatique, l'implicite dans les relations humaines et organisationnelles l'emporte sur l'explicite et les efforts d'explicitation des comportements psychologiques, sociaux et organisationnels, propres aux sciences humaines peuvent donc aisément passer pour des banalités évidentes ou incongrues »967.

Pour ces motifs, certains universitaires vietnamiens s’interrogent sur la qualité du projet social qui est véhiculé par ces formations au management :

« Quant à l’installation des établissements étrangers sur le sol vietnamien, il s’agit d’être lucide et de s’interroger sur les impacts de ces formations sur l’Éducation nationale. Si l’État vietnamien se préoccupe de l’identité nationale, peut-être serait-il temps de réfléchir plus concrètement aux valeurs à promouvoir avant d’être submergé par la vague de marchandisation en éducation et en formation qui semble s’imposer à l’heure actuelle dans le monde (Nguyen Xuan, 2006, 116-129). Dans quelle mesure cette logique marchande pourrait-elle être compatible avec la culture vietnamienne au XXIe siècle ? Quelles stratégies adopter, quelles mesures prendre en vue d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés plutôt que risquer de se retrouver là où les aléas nous mènent ? Ce questionnement, dont les réponses ne sont pas faciles à obtenir, mérite d’être posé pour agir en connaissance de cause »968.

Nous voyons bien que le transfert brut des savoirs est sujet à caution dans notre situation car c’est en principe la manière de se les approprier qui fait la force des programmes étrangers. Les MBA sont surtout interrogés par les universitaires locaux, y compris certains entrepreneurs, sur leurs aptitudes à pouvoir développer des capacités personnelles facilitant l’intégration et l’activité professionnelle dans le contexte local. Mais encore faut-il que les apprenants soient en capacité de pouvoir acquérir ses connaissances car prétendre enseigner le management à qui n’en a pas l’expérience, c’est comme vouloir enseigner la psychologie à quelqu’un qui n’aurait jamais rencontré un être humain969. Le transfert des savoirs scientifiques n’est pas suffisant, il faut aussi pouvoir donner les moyens à l’apprenant de maîtriser les concepts pour qu’il puisse les adapter. L’étudiant va ainsi devoir trouver un équilibre particulièrement subtil entre l’économie de marché socialiste, l’économie libérale et son propre système de valeurs encore très traditionnel.

Il doit de plus intégrer tous ces savoirs souvent de manière esseulée et suivant des méthodes de travail aux antipodes des siennes. On a observé que la majorité des structures pédagogiques mises en place n’était pas en mesure de pouvoir exercer un accompagnement tel qu’il était prévu à l’origine alors que dans un contexte de délocalisation, les connaissances méthodologiques et scientifiques des apprenants vietnamiens demandent un renforcement de cet accompagnement.

De plus, les critères de recrutement qui s’imposent lors des sélections au Viêt-nam privilégient les compétences académiques autant que le projet professionnel, de formation ou la motivation. Les jurys se trouvent dans l’obligation de favoriser d’abord les capacités linguistiques car les cours sont délivrés en anglais, puis les connaissances académiques de base car l’assiette de recrutement s’ouvre à de nombreuses filières et enfin la potentialité économique car le tarif est prohibitif. Ainsi, une grande majorité du public est inexpérimentée, n’a pas de véritable projet professionnel, n’est pas mandatée par une entreprise. Les conditions initiales censées pouvoir placer l’apprenant au cœur de sa formation et suivant son projet professionnel sont difficiles à obtenir.

Ce phénomène est amplifié par l’absence quasi-totale des relations entre les entreprises et la plupart des établissements. Un autre facteur d’amplification pourrait être aussi par une diminution du nombre de candidats et donc de la valeur du recrutement. En effet, malgré toutes les études macroéconomiques qui paraissent indiquer un intérêt évident pour les masters étrangers, comme en témoigne un ancien responsable de l’AIT au Viêt-nam, rien ne garantit une croissance identique de la demande solvable, comparativement à la croissance de l’offre970. Pour lui, le marché des MMI affichant des prix élevés va arriver rapidement à saturation, les fonds doivent être trouvés autrement grâce notamment à la complicité de l’Etat, aux diverses aides publiques ou à l’investissement des entreprises. De plus, il faut se rappeler que les masters délocalisés ne seront pas concurrencés par les mobilités à l’étranger à condition de rester dans une certaine fourchette de tarifs. Par conséquent, avec le prix moyen de 10 000 US$ proposé sur le marché, un étudiant peu regardant sur sa vie quotidienne, pourrait aller une année dans une université européenne, à condition que sa scolarité soit gratuite.

Cette offre MBA apparaît donc comme une réponse à court terme, par la diplômation et l’insertion professionnelle rapide. « Accessible à tous les diplômés universitaires, quelle que soit leur spécialisation d'origine (c'est un des principes des MBAs), il constitue un peu un ‘ V ade-mecum ’ de l'honnête homme… d’affaires, qui lui confère à la fois un « kit de survie » et un titre de noblesse dans une société confrontée à la globalisation. En parallèle, les étudiants de MBA affichent bien entendu - comme partout dans le monde - un pragmatisme résolu : le MBA doit fournir des recettes immédiatement applicables »971.

Ainsi, cette formation répond aux attentes premières et directes des étudiants, mais d’un point de vue économique et social, la réponse paraît nettement plus relative. Il n’est pas certain que ces jeunes diplômés puissent contribuer de manière forte à un développement pérenne du pays, à l’apport de la valeur ajoutée escomptée. Il n’empêche que cette formation continue à faire rêver car elle est une solution à une échelle micro-économique permettant la réussite sociale de tous ces jeunes futurs cadres du pays. Elle reste le support d’une activité économique en faveur des établissements étrangers et privés qui la produisent et par voie de conséquence, elle est tout au moins économiquement profitable aux établissements vietnamiens et aux prestataires de services qui assument la sous-traitance. Il reste donc à se demander si, grâce à l’évolution du marché, de la concurrence et de l’expérience des établissements, l’exploitation qualitative minimaliste du MBA évoluera vers plus d’adaptation du programme, de l’ingénierie pédagogique et d’un rapprochement avec le monde économique.

Notes
951.

Rappelons que 70% des formations sont des MBA ou des spécialisations MBA, (figure 4.2).

952.

Joël Broustail, en collaboration avec Palaoro Gilbert, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, op. cit. ,page 64.

953.

Une enquête réalisée en 2002 révélée qu’environ la moitié des étudiants de l’université d’économie de gestion de Hanoi reconnaissait le titre. GilbertPalaoro, L’évaluation d’un instrument de politique publique : le cas des filières de l’Agence Universitaire de la Francophonie, Danang, Vietnam, Mémoire de maîtrise à l’AIT, Asian Institute of Technology, Ecole de Management (SOM), Thaïlande, 2002.

954.

Programme censé être proposé à temps partiel et aménagés à des cadres top niveau.

955.

Réf. tableaux 4.2 et 4.3, écart en heures de formation 144 – 576, moyenne 422, durée de 12 à 36 mois, moyenne 19 mois.

956.

Voir tableau 4.6 en annexe.

957.

Site internet US agence de développement, visité le 5/01/2009.

958.

OCDE, La massification et développement des universités dans les pays Industrialisés, op. cit., page121.

959.

Henry Mintzberg, Des Managers des vrais ! Pas des MBA, Editions d’Organisation, 2005, page166.

960.

CIGEF/AUF, Les actes des 7èmes Journées Scientifiques, « La formation à l’Entrepreneuriat », page 2, portail visité le 18/12/2009.

961.

Mintzberg dresse un tableau dramatique des principes économiques fondés sur « la valeur pour l’actionnaire » qui guident les formations des MBA et qui conduisent vers un appauvrissement social et économique. Il cite en exemple la situation des USA. Henry Mintzberg, Des Managers des vrais ! Pas des MBA, op. cit., page180

962.

Une question renforcée par les évènements économiques et sociaux actuels qui remettent en cause certains des concepts privilégiés dans les formations au management et qui mettent encore plus justement en valeur l’importance de tenir compte de la diversité et des spécificités locales.

963.

C’est l’une des raisons qui pousse Mintzberg à proposer des formations centrées sur l’apprenant, le projet et l’entreprise. Dans la manière d’imaginer une formation, les contenus scientifiques ne sont jamais mis en exergue, ils ne sont que des outils permettant d’animer cinq modules très centrés sur la personne en tant moteur de sa formation : Gérer son moi, ou la réflexion - Gérer une entreprise, ou l’analyse - Gérer le contexte, ou le cosmopolitisme éclairé - Gérer les relations, ou la collaboration - Gérer le changement, ou l’action. 2005

964.

Dans la majorité des programmes MBA, on a observé que la place de la formation à la gestion des ressources humaines était très limitée, voire ignorée, la priorité étant dans des apports plus techniques. La GRH est souvent abordée à travers des matières telles que la gestion des organisations des entreprises ou le droit du travail, rarement grâce à des modules sur le développement de la personne, la dynamique des groupes ou la gestion des conflits.

965.

CIGEF/AUF, Les actes des 7èmes Journées Scientifiques, « La formation à l’Entrepreneuriat », op. cit.,page 9.

966.

Henry Mintzberg, Des Managers des vrais ! Pas des MBA, op. cit., pp 45-75.

967.

Joël Broustail, en collaboration avec Palaoro Gilbert, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, op. cit., page 66.

968.

Tu Huyen Nguyen Xuan, 2006, « Formation de formateurs, ingénierie de la formation, mutations et compétences professionnelles, contributions à un projet de professionnalisation des enseignants », op. cit., page 16.

969.

Henry Mintzberg, Des Managers des vrais ! Pas des MBA, op. cit.

970.

Entretien Prof. Thanh, annexe 4.3.

971.

Joël Broustail, en collaboration avec Palaoro Gilbert, « La formation des élites managériales dans les économies en transition, op. cit., page 64.