Le RMIT reste la meilleure illustration de cette mise en place stratégique agissant sur la forme, mais ce résultat est le fruit d’un travail de longue haleine et le projet est hautement risqué. Le RMIT souhaite d’une part dominer le marché, d’autre part proposer une prestation qualitativement proche de celle de sa maison mère notamment grâce à son campus, enfin être le plus autonome possible dans un souci d’économie de moyens et de contrôle. Rappelons que pour ce faire, cet établissement est privé, propriétaire de ses locaux, totalement anglophone, réparti sur tout le pays et possède une carte d’activités très diversifiée. Elle offre ainsi les meilleures conditions pour se valoriser par le haut, contrairement à certains de ses concurrents qui, faute d’autonomie, ne pourront jamais offrir de tels services.
Cette situation se traduit par une gamme de formations diplômantes la plus large, partant des simples cours d’anglais au EMBA, en passant par le conseil. L’environnement et toutes les formations sont anglophones et offertes sur plusieurs sites. C’est un mariage efficace entre les programmes universitaires et la formation continue. Difficile d’imaginer cette stratégie en dehors de la maîtrise totale des infrastructures mais aussi, à l’image du RMIT Vietnam, grâce à l’expérience dans les activités commerciales. Á la différence d’une concurrente publique, le souci majeur de cette université privée est de produire des activités rentables et non pas de mener à bien des recherches, des échanges, de valoriser sa maison mère ou de lui trouver des doctorants. Ces objectifs ne sont peut-être pas absents mais restent secondaires, l’heure est à la production. Le RMIT Vietnam ne se lance pas dans des formations risquées. Surtout pas de programmes doctoraux, les clients intéressés seront redirigés vers l’Australie, ce qui permettra de renforcer ses positions. Pas de spécialisation master, uniquement le MBA en formule initiale ou en cours d’emploi. Ces masters font cependant office de produits attractifs et affichent l’excellence au même titre que les activités de conseil.
On note cependant que le RMIT Vietnam s’inscrit dans une dynamique régionale chapeautée par sa maison mère977, figure 5.3 :
Il ressort de cette figure, une synergie entre toutes les formations délocalisées et la carte des programmes varie en fonction des pays. Ce qui est vrai au Viêt-nam, avec le MBA comme produit star qui tire tous les autres, comme dans les pays où ce programme est faiblement concurrencé, par exemple en Malaisie, ne l’est plus dans d’autres. Ainsi, le RMIT va adapter sa carte en proposant des spécialisations à Singapour dans lequel le marché des MMI fait rage. Il va proposer des bachelors dans des pays où son expertise scientifique est fortement concurrencée, comme à Hong Kong, en valorisant essentiellement son origine anglo-saxonne sur des programmes basiques. Il va aussi s’implanter et se positionner prudemment dans des pays comme le Sri Lanka ou sur différents sites, telle que la Chine, par l’intermédiaire de Diplômes Universitaires pour se positionner. Les DU apparaissent aujourd’hui comme une excellente alternative pour un lancement d’activité.
Au Viêt-nam, la rentabilité économique est surtout garantie par tous les programmes complémentaires au MBA. Les licences en sciences économiques, en informatique ou les formations linguistiques font office de vaches à lait. Les amphis sont bondés, les charges fixes largement amorties, le travail personnel des étudiants est appuyé par un équipement technologique de pointe qui limite les besoins en suivi personnalisé et coûteux : bibliothèque électronique, ordinateur portable, outils d’apprentissage autonome, etc. Le RMIT Vietnam n’hésite pas non plus, grâce au renfort de sa maison mère, à s’investir en tant qu’opérateur sur des grands projets tels que la mise en place des cinq plus grandes bibliothèques électroniques du Viêt-nam. Par ces projets, il se fait reconnaître et gagne en popularité auprès du public, des autorités et des partenaires potentiels. Ces projets lui serviront probablement pour s’implanter dans d’autres sites vietnamiens. Sa position nationale dominante s’en retrouve renforcée et du coup, sa maison mère en profite au niveau régional. Il affiche l’excellence et la qualité sur le mode opératoire occidental. C’est donc une stratégie audacieuse, élaborée, menée sur tous les fronts, qui lui permet largement de rentabiliser ses investissements sans pour autant s’appuyer sur un secteur de recherche et de développement et sans modifier ses programmes.
Nous avons remarqué que d’autres établissements ou organisations ont a priori les moyens de conduire une stratégie de ce type, grâce notamment à la maîtrise des structures et de l’ingénierie pédagogique, comme c’est le cas pour l’AIT et le CFVG, mais celle-ci semble trop risquée, trop audacieuse pour pouvoir concerner des établissements publics.
A l’exemple de l’impossibilité ou des difficultés rencontrées par certains pays, comme la France, pour délocaliser de manière identique un grand campus, des possibilités existent mais sous des formes nettement plus réduites, contournées, ou à court terme, tels que les PUF ou la récente délocalisation de l’université allemande. En s’implantant dans l’université nationale, ces deux projets contournent le risque lié à l’investissement lourd mais limitent aussi leurs possibilités de développement. C’est ainsi que les PUF sont financés sur une courte période et que leur pérennité reste conditionnelle. Abritée dans les mêmes locaux que les PUF, l’université Allemande a récemment démarré très timidement. Ces programmes vivent grâce notamment à d’importantes aides publiques.
A l’image de l’ULB/Solvay, on se rend compte que pour tous ces programmes publics hébergés dans des universités locales, le développement est largement conditionné à un soutien franc et massif du partenaire vietnamien.
Contrairement aux cinq structures de notoriété déjà citées, la pérennité et le développement des programmes français ou allemand paraissent donc plus complexe. Le manque d’expérience, la complexité du montage multi partenarial limitent leurs possibilités de maîtriser l’environnement pédagogique. Ils gardent cependant des arguments pour proposer un accueil de qualité et maîtriser dans une moindre mesure l’ingénierie pédagogique. Autant de conditions qui leur permettent de se différencier par le haut.
Voir cas RMIT chapitre 4.