5.7.4 Un intérêt stratégique conditionnel de coopération

Le groupe 4 comprend les MMI directement gérés dans des départements vietnamiens dans le cadre d’accords bilatéraux. Généralement, le fonctionnement est garanti par la mise en place d’une organisation spécifique et minimale, sous l’autorité d’un cadre du département et/ou en relation avec le service des relations internationales de l’université. Les différences avec le groupe précédent résident donc dans le fait que la micro organisation se crée au sein du département pour assurer ce projet. C’est un service souvent inhabituel et généralement intégré à la charge de travail commune à tout le département. Un assistant au programme ou un secrétariat est parfois détaché tout en partie pour servir le projet, mais globalement nous pouvons considérer que le MMI est géré qualitativement de manière marginalement différente comparativement aux autres filières programmes vietnamiens du département d’accueil. On retrouve ainsi avec encore plus de force les risques imputables à un personnel qui n’est pas investi totalement sur cette activité, qui n’est pas formé et qui découvre cette nouvelle responsabilité à assumer et qui n’évolue pas dans une organisation totalement tournée vers l’accueil du programme délocalisé. Ces caractéristiques rendent encore plus complexe la mise en place d’outils de contrôle et de gestion du personnel. Elles demandent la mise en place de moyens pouvant plus que jamais intéresser et motiver un personnel pour qu’il puisse produire un service différencié et d’excellence. Dans ces conditions, l’intérêt stratégique de l’établissement et en particulier du département d’accueil s’avère ne pouvoir s’inscrire que dans un registre de coopération de type culturel, traditionnel. Les résultats dépendent très largement de la bonne volonté d’un noyau de personnes issus des deux établissements partenaires et permettant de faire subsister le projet malgré toutes les difficultés de sa mise en place.

Nous constatons ainsi que plus la structure locale développe une stratégie visant au développement de l’accueil de programmes internationaux, plus grandes seront les chances de la voir porter un personnel impliqué et motivé par sa réussite. On observe aussi logiquement que plus la structure d’accueil est autonome, moins le niveau d’influence de l’environnement académique local sera important et plus l’intégration dans l’université d’accueil vietnamienne sera aléatoire. Ce facteur a des conséquences directes sur les capacités et le niveau d’adaptation des activités aux spécificités locales et notamment pour tout l’environnement pédagogique.

Le niveau du risque stratégique lié à cette intégration est naturellement relatif aux objectifs de l’université étrangère, à l’importance qu’elle accorde à ce paramètre d’adaptation. La question se pose notamment au niveau des méthodes pédagogiques et peut avoir un impact direct sur la qualité du transfert des savoirs.

‘« La formation, par exemple, dans un pays collectiviste longtemps privé de toute possibilité d’initiatives personnelles ne peut pas être la même que celle donnée dans un pays capitaliste misant sur la primauté de l’individu »1026. ’

Au quotidien, la question de l’adaptation aux spécificités peut ainsi se poser. De l’avis de nombreux spécialistes, le croisement des différences de pratiques dans un contexte particulier et surtout en plein développement, nécessite en théorie de la part des acteurs, «  une comparaison systématique des objectifs des études, des cursus, des supports et méthodes pédagogiques et des systèmes d'examens. Il s’agit là d’un point capital qui prend une valeur encore plus importante lorsqu’il s’agit d’adapter les cours à des cultures fondamentalement différentes » 1027 .

Et c’est bien le cas dans l’environnement académique vietnamien dans lequel on peut se demander comment il est possible de lier des méthodes interactives avec celles qui marquent de manière intensive et si traditionnelle l’environnement académique vietnamien ? Question fondamentale pour aller dans le sens d’une communauté universitaire internationale qui plébiscite si largement ses programmes et ses méthodes qui sont censées la différencier et la valoriser sur le marché.

Question tout autant fondamentale quand il s’agit de donner les moyens aux étudiants de s’approprier leur formation. Malgré le désir profond d’apprendre de ces étudiants, la confiance qu’ils portent habituellement aux enseignants et pour la plupart leur fort potentiel intellectuel, seuls quelques uns d’entre eux sont initialement porteurs du profil attendu au recrutement. Il a été démontré qu’ils pouvaient s’adapter en quelques mois sous réserve d’être fortement encadrés, mais la durée de vie d’un master et les conditions globales d’apprentissage généralement proposées rendent cette perspective possible pour une minorité.

On se rend compte que ce qui peut paraître comme un avantage pour les structures plus autonomes peut devenir une faiblesse. Elles ont comme avantage de pouvoir plus facilement conduire le projet en adéquation avec leurs concepts, mais parallèlement elles risquent de s’éloigner d’un partenariat local qui peut faciliter l’adaptation des méthodes.

L’université étrangère peut aussi s’interroger sur la capacité du partenaire local de pouvoir répondre à ses attentes. Les universités locales ont à ce titre un potentiel globalement comparable. Celles qui sont spécialisées dans la gestion et l’économie ont cependant un avantage comparatif en termes d’expertise scientifique, sachant que le jeu des mobilités entre établissements vietnamiens est très actif. Quelques rares universités, telles que Polytechnique, ont des ressources financières propres qui leur permettent de mener une stratégie internationale moins influencée par les aspects économiques, ceci peut être un avantage pour privilégier le développement et libérer les initiatives.

Certaines universités privées peuvent devenir des partenaires intéressants. Elles ont une marge de manœuvre plus importante concernant notamment l’organisation, la gestion du personnel, l’adaptation des structures, l’innovation. C’est notamment le cas des universités Hoa Sen ou de la future université Tri Viet (Vung Tau). Elles ont un positionnement géostratégique aussi intéressant que leurs concurrentes publiques mais fondent leur stratégie de développement sur des coopérations internationales plus intenses et intégrées comme Polytechnique à HCMV avec le MMI de Maastricht. Mais encore faut-il qu’elles puissent trouver les fonds pour se développer, ce qui n’est pas actuellement évident car elles ont des difficultés à trouver des investisseurs.

En définitive, les spécificités des acteurs intervenant directement dans la production des formations leur confèrent le pouvoir d’interférer sérieusement sur la qualité et la cohérence des MMI délocalisés. Cette influence s’exerce sur toute la chaîne de valeur mais principalement sur l’ingénierie pédagogique. Elle résulte de la confrontation entre les paramètres ou concepts qui ont permis de construire les formations occidentales avec la réalité de l’environnement vietnamien. Ceci s’avère particulièrement évident pour les étudiants vietnamiens qui aux niveaux : promotionnel, préfèrent s’en remettent à leur réseau restreint et ignorent les standards internationaux de communication et d’influence – personnel, fondent leur projet de formation essentiellement sur le diplôme plus que sur l’acquisition de compétences – académique, possèdent des connaissances scientifiques et méthodologiques nécessitant de forte mise à niveau. Autant de paramètres qui les distinguent des étudiants occidentaux et qui interrogent l’efficacité des méthodes mise en place par l’offre étrangère.

Ainsi leur capacité à pouvoir jouer le rôle attendu pour construire leur formation et acquérir les savoirs transférés n’est pas garantie. L’élément factuel qui témoigne le mieux de ce risque majeur d’incompatibilité culturelle et académique de fond est révélé par les problèmes de communication. L’utilisation forcenée de la langue anglaise complique largement la capacité de l’offre de pouvoir garantir un transfert concomitant. Le niveau linguistique faible, voire très faible, de la majorité des étudiants et de certains enseignants, freine les possibilités de recrutement des étudiants et des enseignants, limite sérieusement sur les aptitudes à communiquer et finalement impacte directement sur la qualité des savoirs transférés.

On retrouve dans une autre mesure des décalages culturels ou académiques au niveau des équipes universitaires locales. Elles sont elles aussi porteuses de savoirs et de méthodes scientifiques souvent fortement différenciées des pratiques occidentales. La question de l’adaptation des méthodes, de la mise en place d’outils de supervision et d’accompagnement se pose dès lors avec force. Il en est de même du niveau d’implication et de motivation de partenaires qui jouent un rôle clé et qui doivent être convaincus par l’intérêt du projet pour pouvoir s’investir pour mener à bien un projet difficile qui demande un fort investissement.

Les choix stratégiques deviennent ainsi cruciaux pour l’offre étrangère qui doit faire des compromis, qui doit se poser des questions de fond. Entre le maintien de ses méthodes et leur adaptation, entre le pouvoir accorder aux partenaires pour assurer localement le projet et la volonté de vouloir le contrôler. Une situation donc peu commune, qui renforce l’influence des acteurs, qui contraint à la mise en place de moyens nouveaux, qui compliquent les conditions d’une délocalisation et renforce les besoins de développer d’investir. Face à la place prépondérante des partenaires locaux, il faut pouvoir susciter leurs intérêts, les impliquer pour créer une certaine complicité. Ce niveau d’implication potentiel dépend largement des structures d’implantation, de la dépendance des prestataires à l’égard du projet, de la place du MMI dans la stratégie de développement de l’établissement d’accueil.

Ainsi, nous mesurons combien les spécificités des acteurs majeurs peuvent influencer la prestation délocalisée. Elles représentent des risques potentiels qui peuvent remettre en cause une production concomitante de la prestation. Elles poussent aussi à une profonde réflexion méthodologique et stratégique sur la manière de conduire notamment l’ingénierie pédagogique des programmes et sur celle qui permettent d’associer les partenaires.

Notes
1026.

Les actes des 7èmes Journées Scientifiques « La formation à l’Entrepreneuriat », page 14. Colloque CIDEGEF, Montréal : http://www.cidegef.refer.org/index_revue.htm , le 12/12/08.

1027.

G.Laurey, « La Mobilité : un acquis », op. cit.