.Annexe 2.4 - C.R entretien de M.Christian Vulliez

Docteur en gestion, administrateur du journal Le Monde. France.

Conduit le 15/03/2007, par Gilbert Palaoro au Centre Franco Vietnamien de Formation à la Gestion (CFVG) à Ho Chi Minh Ville (HCMV), travail de recherche pour une thèse de doctorat avec Lyon2.

La question posée à M.Vulliez se référait aux conditions de mise en place de la stratégie pour le développement international des activités des établissements de l’enseignement supérieur, principalement dans le secteur de la gestion. M.Vulliez  a eu des fonctions lui permettant de posséder une forte expérience dans le champ des activités internationales : chercheur en gestion - enseignant dans le supérieur - responsable ou administrateur dans des établissements ou dans des organisations qui influent sur le développement des stratégies d’internationalisation. C’est principalement en tant que directeur-adjoint chargé de l’enseignement supérieur à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris (CCIP), ou à titre de conseiller pour plusieurs projets, que cette expérience s’est enrichie et lui a permis à de suivre près d’une trentaine de délocalisation de diplômes voire de campus délocalisés à l’étranger depuis l’avènement de cette forme moderne d’échange entre institutions vers 1970, avec par notamment la création du CFVG avec la CCIP. Plus récemment, il a suivi la mise en place des premiers « double diplômes » de la région d’Asie du sud-est, grâce à l’appui du Fond de Solidarité Prioritaire « Synergie » (FSP), en collaboration entre des institutions francophones d’Asie du Sud-Est telles que l’Institut Asiatique de Technologie en Thaïlande (AIT) et certaines grandes écoles de commerce telles que l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris ESCP-EAP.

L’ambition de l’entretien est de s’appuyer sur ces expériences empiriques relevant du domaine de l’éducation et du développement pour les rapprocher du champ scientifique relatif à la gestion des projets internationaux peu propice à la recherche et à l’expérimentation dans le domaine de l’éducation. Nous verrons ainsi notamment que :

Se doter d’outil géostratégique

M.Vulliez symbolise le positionnement géostratégique de l’université à l’égard de celui de son (ses) partenaire(s) selon deux grands axes : Est/Ouest et Nord/Sud, représentant les pays selon leur stade de développement économique. Il indique « qu’il ne faut qu’accorder à cet axe qu’une valeur relative permettant de simplifier les schémas stratégiques des établissements français ». En effet, les extraordinaires évolutions économiques récentes ne permettent plus une image figée des relations entre les pays. Cet axe a cependant l’avantage de poser clairement la question du positionnement des partenaires dans les coopérations internationales et invite l’établissement à définir une stratégie, il devient donc un outil possible d’aide à la décision. M. Vulliez précise que : « dans chaque pays les universités sont à des stades très différents de développement de leur politique internationale et qu’il existe une grande variété de stratégie de développement possible »

.Que représente l’axe est/ouest ? Les relations entre établissements provenant de pays économiquement reconnus comme développés. Ils recherchent à pourvoir une coopération synergique permettant  par exemple l’augmentation de : leur offre de service par un plus grand choix de formation – la qualité des formations grâce aux échanges d’expertise scientifique - l’accroissement des moyens de la recherche – l’effet de masse critique par la mise en réseau des ressources financières- favoriser l’affichage et la notoriété de l’établissement.

Que représente l’axe nord/sud ? Les relations entre établissements provenant des pays du nord possédant un système éducatif à maturité dans des économies développées, vers des établissements de pays du sud qui ont besoin d’une forte croissance pour : construire leur secteur d’enseignement supérieur - former l’expertise scientifique – rénover les programmes - construire les infrastructures – monter des laboratoires de recherche – améliorer l’ingénierie pédagogique. L’établissement du nord peu : apporter l’expertise scientifique – apporter l’ingénierie pédagogique et les moyens technologiques – apporter des ressources financières – être un lieu d’accueil pour la formation. L’établissement du sud peu : apporter des environnements pour le développement des activités scientifiques des nouveaux terrains d’expérimentation de l’établissement du nord - participer au développement scientifique et économique de l’établissement du nord grâce à la mobilité des enseignants ou des étudiants – faciliter le développement de la notoriété de l’établissement du nord grâce aux activités internationales.

Des niveaux d’engagement stratégique

M.Vulliez observe qu’il existe quatre « niveaux » représentatifs des activités internationales des établissements français1063 en termes d’engagement stratégique, de prise de risque de l’établissement, de difficulté de mise en œuvre de l’activité.

C’est à partir du niveau 3 que l’établissement s’engage profondément et à long terme. Les transferts ou les reconnaissances de crédits impliquent l’éventuelle modification des programmes, leurs contrôles, la standardisation de procédures extérieures à l’établissement. Le cœur de l’établissement est touché. Sa force, son expertise, est engagée pour longtemps. La mise en place des procédures et la réalisation des projets de formation dépassent en général largement le temps des mandats des gouvernances en cours.

L’internationalisation des activités en France : une préoccupation limitée

Selon M.Vulliez, si on devait mesurer le degré d’intérêt des établissements de construire une stratégie pour développer des activités internationales, nous aurions trois groupes équilibrés1064 :

  • 1/3 suivent une stratégie construite et à long terme avec des moyens de mise en œuvre. Y compris la majorité des grandes écoles de commerce.
  • 1/3 n’ont pas de stratégie mais reconnaissance son importance et souhaitent trouver les moyens de la développer.
  • 1/3 n’ont pas de stratégie et ne souhaitent pas pour l’instant la développer.

M. Vulliez indique que le plus important est que les établissements mettent leur niveau d’engagement en corrélation avec une stratégie construite.

Vers un transfert satisfaisant d’un projet

Pour mettre en œuvre un projet de niveau 4 tel que le diplôme délocalisé, le plus haut niveau d’engagement stratégique, M.Vulliez constate que cinq conditions sont importantes pour réaliser un transfert satisfaisant d’un projet d’un établissement du nord vers un établissement du sud. Elles sont présentées par ordre d’importance mais, comme pour la présentation de l’axe nord/sud et est/ouest, ces conditions sont avant tout indicatives et présentées comme des outils possibles pour des études de faisabilité d’un projet international. Nous nous appuierons sur les MBA délocalisés au Viêtnam. Pour illustrer les propos de M.Vulliez.

1/La qualité du projet :

Le préambule à tout développement de l’activité internationale est de posséder un « bon projet différencié». Dans le contexte vietnamien des attentes des partenaires et du public vietnamiens le terme « bon » signifie « la qualité ». Il est représentatif de la notoriété qu’ils accordent aux établissements du « nord » capables d’apporter des contenus de haut niveau scientifique ainsi qu’un diplôme reconnus sur la scène international. On retrouve aussi le terme « différencié ». La naissance d’un programme international doit être légitimée par rapport aux programmes existants, il doit apporter une valeur ajoutée. S’il s’agit de créer un MBA, la valeur pourra être apportée par exemple par la segmentation en spécialisant sur un métier tel que la banque, ou par la différenciation en modifiant la structure du programme de formation par exemple le management de la finance ou des ressources humaines.

2/ Le soutien des autorités locales

En termes de soutien, il faut entendre le soutien des partenaires politiques ou académiques, vietnamiens ou bilatéraux. Dans la méthodologie proposée par Porter M., l’étude de l’environnement externe est très importante. Dans un contexte comme celui du Viêtnam elle est incontournable et c’est ce que M.Vulliez exprime. Le terme « autorités locales » est représentatif de tous les partenaires qui influent sur le projet, qu’ils soient institutionnels, académiques ou politiques, qu’ils soient vietnamiens ou étrangers. Sans leur « soutien », dans le contexte sociopolitique vietnamien, le projet n’est pas réalisable. Obtenir le soutien est essentiel pour composer avec les variables externes et les blocages bureaucratiques1065 particulièrement forts au Viêtnam,

3/ Mettre des gens de l’entreprise dans le conseil

« Il faut assurer la bonne gestion du projet, il faut garantir une vision à court et long terme. Il faut assurer la complémentarité aux bonnes politiques ». Partant de l’expérience à la CCIP, M.Vulliez traite à la fois de la gouvernance du projet et de son rapprochement avec le monde socioéconomique. Toute réalisation de projet international, quelle soit d’origine publique ou privée, du secteur de l’éducation ou pas, implique « une bonne gestion » et « une vision à court et long terme ». Même si l’objet du projet n’est pas centré sur la rentabilité économique, sa complexité oblige les responsables à une qualité une gestion identique à celle des professionnels qui ont en charge de transférer des services à travers le monde. Á défaut de pouvoir posséder les compétences, il faut pouvoir déléguer les responsabilités. L’autre particularité du positionnement de M.Vulliez à la CCIP c’est le rapprochement qu’il opère entre les formations et leur pertinence socioéconomique. Dans un contexte de croissance économique exponentiel qui rend ce rapprochement encore plus aléatoire, M.Vulliez insiste donc sur la participation de l’entreprise en tant que « conseil » pour la réalisation du projet. Une manière de profiter des compétences professionnelles locales tout en étant à leur écoute.

4/La mise en place des ressources humaines

M.Vulliez indique que trois fonctions de base1066 sont particulièrement importantes dans les ressources humaines du projet : le chef de projet - l’équipe de promotion - l’équipe d’enseignants. La valeur du projet dépendra beaucoup de l’efficacité avec laquelle elles seront assumées. Une formation délocalisée, assurée « loin des terres » doit être consolidée par un chef de projet capable d’être un relai pour la gouvernance de l’établissement mais surtout de mettre en œuvre le projet localement. Il faut garantir la masse critique d’enseignants pour l’expertise scientifique et être sur de pouvoir assurer à la fois la qualité des enseignements partout où l’établissement s’est engagé. Même si l’équipe de promotion va utiliser des outils provenant du département de l’établissement1067, elle devra au préalable assumer les études de marché, l’adaptation des outils de promotion et le lancement d’un nouveau produit. Sachant que toutes ses phases sont toujours délicates car nous sommes sans cesse dans la découverte et l’innovation : nouveau milieu, nouveau programme de formation, nouvelle équipe, nouveaux outils de promotion.

5/ Financement

‘« Quand les autres conditions sont réunies, le financement suit. Les très bonnes idées sont plus rares que l’argent ».’

C’est donc la condition que M.Vulliez place à la fin de sa présentation car les ressources financières suivront logiquement un bon projet d'ensemble construit et cohérent.

En conclusion, sur les cinq conditions énumérées, la seule qui ne soit pas directement dépendante des relations humaines est la moins importante : la financière. Provenant de la CCCIP, M.Vulliez se dote logiquement d’outils d’aide à la décision provenant du monde des entreprises et les applique avec nuance dans le monde de l’éducation. Ainsi par ce simple axe, il impose un questionnement sur le pourquoi internationaliser et vers où ? Ce questionnement préliminaire rejoint ainsi les préconisations faites notamment par Lemaire1068 et Porter1069 pour aider les entreprises à développer des services dans des marchés concurrentiels et internationaux. Même si la priorité de la majorité des établissements n’est pas la rentabilité économique, M.Vulliez montre que des analogies sur les méthodes utilisées par les entreprises peuvent ainsi être établies.

Les activités internationales doivent être équilibrées et construites.

Il insiste avant tout sur la priorité pour l’établissement de « structurer une politique internationale qui soit à sa mesure ». Il souhaite que les établissements contrôlent et donnent un sens à leur politique internationale dès qu’il s’agit d’investir dans projets complexes comme les diplômes délocalisés au Viêtnam.

M.Vulliez pense donc que les établissements français doivent élaborer un plan stratégique d’activités internationales pour soutenir leurs projets et leur développement. Et il conclue : «  C’est à partir de ce plan que va se définir les relations avec les autres universités en fonction de leur stade de développement et de leur propre projet afin de construire des relations équilibrées dans l’intérêt de tous les partenaires »

Notes
1063.

Cette classification est proche de celle proposée par les docteurs Van Dijk H., Meijer K. lors d’une étude réalisée sur les établissements de l’enseignement supérieur aux Pays-Bas, « Le Cube de l'internationalisation »,1993, Pays-Bas, INSIT-CNRS. Modèle expérimental d'étude des modalités d'organisation et des résultats de l'internationalisation dans l'enseignement supérieur

1064.

On constate que 2/3 des établissements reconnaissent l’importance des activités internationales ce qui est par ailleurs identique à l’étude effectuée aux Pays-Bas par Van Dijk H. et Meijer K

1065.

Lawrence et Lorsch (1973) et Mintzberg, cours d’organisation et management, Frédéric Frery et Joël Broustail, AIT/Escp-Eap, 2002

1066.

Elles sont créées spécifiquement pour le projet, en complément il existe les fonctions supports du projet qui sont permanentes dans l’établissements (exemple : l’administration, fiannce). Selon le principe de la construction de chaîne de valeur d’un produit, Porter M., 1986, "L'avantage concurrentiel", Inter Editions, Paris, 647p

1067.

Selon le principe de la chaîne de valeur de Porter M., le département de la promotion est une fonction support du projet puisqu’il garantie le fonctionnement de l’établissement.

1068.

Dans son ouvrage, Lemaire J-P. propose notamment de mesurer les conditions de Transférabilité des services lors des études préliminaires avant de les internationaliser. Lemaire J-P « Stratégies d’internationalisation », Editions Dunod, 1997, 361 p.

1069.

Porter M. insiste sur l’importance pour une entreprise de déterminer sa stratégie avant d’investir sur un marché concurrentiel. Cette stratégie devant s’appuyer sur une étude approfondie de l’environnement du marché et de la valeur de l’entreprise. Porter M. (1986) : "L'avantage concurrentiel", Inter Editions, Paris, 647p.