Annexe 3.7 - Le projet d’université Tri Viet

Compte rendu intégral de l’Atelier de travail organisé à Ho Chi Minh Ville, les 7 et 8 avril 2007, projet de création de l’université privée Tri Viet. Viet Nam ;

Rêver dans un pays hyperréaliste, ou rêver d’un développement maîtrisé« Tri Viet » est le projet personnel de Mme Ton Nu Thi Ninh, ou plutôt, celui d’une personnalité hors pair qui compte dans son pays et à l’extérieur et veut aller jusqu’au bout d’une idée qu’elle partage depuis longtemps avec un groupe d’amis et d’amies dans une perspective utile au collectif, c’est à dire pour le Vietnam lui même et sur le plan international à la fois (« Je tiens à une expérience multilatérale car j’ai moi-même une expérience multilatérale »). Elle va pouvoir s’y consacrer presque totalement prochainement puisqu’elle quittera ses fonctions de députée dans quelques mois.

Le contexte paraît très favorable compte tenu du rythme de développement très rapide du pays, au moment où il rejoint la communauté mondiale en entrant à l’O.M.C. et des besoins à la fois quantitatifs et qualitatifs de l’éducation en général et de l’enseignement supérieur en particulier qui seraient reconnus par tous, y compris par l’État : près d’1,5 million jeunes achèvent leurs études secondaires chaque année mais l’université ne pourrait en accueillir que moins de 400 000 et surtout les défauts de la formation en général semblent importants qui font douter de la capacité du pays à suivre les gros investissements correspondant à sa croissance (cas d’Intel qui va construire une très grosse usine et aurait du mal à trouver rapidement les 10 000 personnes qualifiées de son effectif ; comment le secteur bancaire va t’il recruter les 60 000 postes dont il aurait besoin dans les années à venir  ?).

En fait la situation est paradoxale car ce qui constitue un encouragement peut aussi freiner le projet : outre que les universités existantes peuvent le percevoir comme un concurrent qui va gêner les structures et le système en place, l’état d’esprit général est plutôt à envisager ce « marché » d’un point de vue surtout mercantile, privilégiant la forme plus que le fond (au risque par exemple de miser excessivement sur la notoriété que conférerait le parrainage d’une institution étrangère de renom !).

Le positionnement, dans toutes ses dimensions, est donc un exercice délicat au moment où il s’agit de préciser le concept, c’est à dire les objectifs et les caractéristiques du projet, en même temps que les conditions de son installation : organisation, fonctionnement et localisation.

Discuter de la vision, des moyens et du site.

Les participants à cet atelier étaient plus de 60 autour du comité fondateur constitué lui même d’une dizaine de personnes parmi lesquelles des proches de Mme Ton Nu Thi Ninh (une ancienne directrice de l’Investment and Trade Promotion Center de HCM Ville ; une conseillère de l’Agence Universitaire de la Francophonie), des personnalités scientifiques et politiques du pays (ancien directeur du Centre d’études nucléaires de Dalat ; ancien président de l’association des architectes vietnamiens ; secrétaire général de l’association des études d’histoire du Vietnam). Divers groupes représentaient à la fois différents moments de l’histoire du pays et différentes potentialités et compétences : des personnalités vietnamiennes de l’université et de la recherche, de l’intérieur et de l’extérieur ( polytechnicien en France, architecte au Canada, professeur d’histoire en Californie, fonctionnaire des Nations Unies au Mexique, etc.) ; des « experts » ou jeunes professionnels vietnamiens ayant récemment choisi de revenir travailler au pays ; des relations et des contacts internationaux parmi les ONG, fondations, universités américaines et européennes notamment.

Les objectifs principaux du projet peuvent se résumer à la formation de diplômés correspondant aux meilleurs standards compte tenu des besoins du marché mais aussi de ce que doit impliquer une citoyenneté nationale en même temps que mondiale. Il se caractérisera donc par ses dimensions à la fois académiques, culturelles et sociales, son côté expérimental, son statut non lucratif et privé – il devra se procurer les moyens de son autonomie - et enfin par l’exigence de refléter l’identité vietnamienne. Les domaines d’étude devraient combiner les disciplines de base et celles correspondant à des « niches » ou à des « spécialités » présentant un intérêt particulier aujourd’hui. Dans une première phase et avant que ne soient complétées des spécialités, jusqu’au niveau de masters, 4 « écoles » (langues étrangères, management, communication/design, ingénierie et technologie) et 2 « sections » (études vietnamiennes et politique et éducation à la citoyenneté) sont prévues

.Dans les échanges sont soulignés l’opportunité de donner autant de place à la recherche qu’à l’enseignement (développer les « cases studies » recommande le représentant de la Fondation Ford), de s’interroger sur ce que l’on veut que soient les étudiants à la fin de leurs études ( les « analytical studies » sont importantes dans un monde globalisé et il faut permettre un travail de comparaison des différents choix de développement sur les différents continents fait remarquer un professeur de Princeton), de mettre l’accent sur les questions d’énergie, en particulier l’énergie « verte » (éolienne, solaire, …) et plus globalement de penser une nouvelle éducation pour un développement durable, proposent des universitaires vietnamiens installés en Amérique du nord. Á noter la discussion autour de la question de l’intégrité qui souligne un problème du pays et certains enjeux : c’est une universitaire américaine, qui vient d’écrire un ouvrage de vulgarisation sur l’histoire d’Ho Chi Minh, qui insiste sur l’effort en faveur de l’intégrité que devrait viser un tel projet (« C’est par le refus du mensonge et la transparence qu’il constituera un nouveau modèle pour la société, obtiendra une reconnaissance et sera synonyme de qualité et de durabilité »), mais c’est une professeure d’université de HCM Ville qui « doute que 4 ans d’apprentissage de l’intégrité suffisent pour faire des gens intègres quand c’est un état d’esprit et un style de vie qui doivent changer » et un éminent économiste, ancien conseiller du Premier ministre, qui rappelle au réalisme en disant qu’il faut savoir faire la part de « ce qui permet aux choses d’avancer ».

Logiquement, les considérations sur la vision du projet sont confrontées à la question des moyens nécessaires et aux problèmes d’organisation : si la plupart se félicitent de l’existence d’une telle démarche et de son caractère innovant et méthodique – il est temps de donner à une institution privée toutes ses chances ! – plusieurs insistent, à l’image de ce responsable de l’Université de Technologie de HCM Ville et membre du Conseil national de l’éducation, sur les défis qu’il faut relever telle la compétition pour avoir de « bons étudiants » (y compris en tenant compte de la volonté d’être accueillant à des candidats originaires de différentes provinces) mais aussi pour avoir de « bons professeurs ». Une autre universitaire américaine met d’ailleurs en garde contre la subjectivité des classements des universités dans le monde et recommande de rechercher des universités ou des partenaires qui auraient envie de participer à la même aventure davantage pour des raisons d’intérêt partagé qu’à partir d’un calcul financier. L’idée de pouvoir définir des équivalences a priori lui paraît difficile et cette remarque milite plutôt en faveur d’une stratégie privilégiant les expériences dans un premier temps comme un système d’évaluation basé sur des « crédits » plutôt que sur les cours et les examens traditionnels.

Sur le plan du financement, le projet jouit d’un préjugé favorable dans les milieux économiques et devrait pouvoir compter sur le soutien d’un établissement bancaire local qui a déjà manifesté sa détermination. Mais le statut de « not-for-profit organisation » et la structure envisagée, avec à sa tête une « assemblée des actionnaires » en quelque sorte, appellent une clarification pour éviter toute ambiguïté dans un contexte et un domaine où il est parfois difficile de faire la part du véritable service d’intérêt général et du business. La solution pourrait consister à distinguer une « association-fondation », porteuse et garante du projet, de la structure gestionnaire pourvoyeuse des moyens financiers nécessaires au développement de l’institution.

Enfin, la question de l’implantation géographique de l’Université Tri Viet dans la province de Ba Ria – Vung Tau n’est pas sans rapport avec toutes les considérations qui précèdent, que ce soit pour tenir compte des problèmes de recrutement (étudiants et enseignants) et de déplacement, mais aussi des besoins comme des ressources de cette région à forte croissance du sud-est du Vietnam. Si les premières années de l’université obligent à prévoir un démarrage dans une installation provisoire à Ba Ria-Vung Tau même et avant que des implantations futures puissent être envisagées à Hanoi puis Huê, un campus de 50 ha devrait rapidement trouver sa localisation au sud-ouest de l’ancienne Saïgon, au cœur cette zone en plein développement de Vung Tau dont la croissance entre 11 et 13% est supérieure à la moyenne nationale. Les activités de cette porte maritime du pays sont importantes (production pétrolière, pêcheries, port en haut profonde, tourisme, etc.) et si le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est inférieur au niveau national les besoins en matière de santé, d’éducation et de formation n’en sont pas moins sérieux. Ce contexte local particulier peut justifier également que des orientations spécifiques soient données aux initiatives universitaires et de formation (en matière d’écotourisme, de protection de l’environnement - notamment autour de l’archipel de Con Dao, l’ancien Poulo Condor, dont la richesse de la biodiversité vient compléter le patrimoine historique national - d’alternative pour les énergies, etc.).

Partager une belle aventure.

L’exercice est difficile mais exaltant car le projet se réclame, à la fois, des engagements que résume par exemple la Déclaration de Talloires sur le rôle civique et les responsabilités sociales de l’enseignement supérieur et d’une logique de la qualité, voire d’une formation d’élite dont le pays a besoin. En soi, ce n’est pas propre à la situation vietnamienne et ce défi n’est décidément pas seulement vietnamien ; il est également international. Il ne peut rester « hors sol » ; il doit s’ancrer dans les réalités vietnamiennes, c’est à dire tenir compte de la culture et des traditions du pays mais aussi de ses choix de développement et des besoins qui en découlent aujourd’hui. En même temps, c’est encore cet éminent économiste, ancien conseiller du Premier ministre, qui n’hésitera pas à rappeler qu’il faut savoir « suivre l’irrationalité de la création » ! Nguyen Xuan Oanh

Pour les besoins du Comité directeur, en fin de rencontre, Mme Ton Nu Thi Ninh résumera les débats, en quelque sorte, en insistant sur les dimensions d’intégrité, de transparence et de promotion de l’identité vietnamienne du projet, sur la place qu’il faudra faire aux questions d’environnement, d’énergie et de développement durable comme à ce qui devrait faire de Tri Viet le « meilleur centre d’études internationales du Vietnam » enfin sur une pédagogie de l’étude de cas et de l’expérimentation. Mme Dang Huynh Mai, Vice-ministre de l’Education, qui est présente à ce moment là, davantage à titre amical que comme une spécialiste ou l’autorité en charge d’une telle démarche qu’elle n’est pas, prend mieux connaissance du dossier mais se borne à recommander que le formulaire de présentation du projet soit correctement rempli. Il est clair que si le formalisme doit être respecté, la petite équipe opérationnelle du projet, animée par Mme Vu Kim Hanh, qui a donc une expérience des affaires en tant que vice-présidente de la Trade Association de HCM Ville), va devoir encore beaucoup travailler sur la définition de la structure, son organisation et son financement pour permettre la mise en place de Tri Viet.

Elle compte aussi, à l’évidence, sur les relations nouées au cours de cette rencontre pour y parvenir. Il est intéressant, à cet égard, de citer les termes du message que le comité fondateur nous a adressé en tant qu’« amis de l’étranger » :

‘« Nous connaissons votre profond intérêt pour tout ce qui concerne le Vietnam, que ce soit pour des raisons professionnelles ou par engagement personnel, un engagement qui peut remonter à votre jeunesse et ne se serait jamais démenti. C’est pourquoi nous nous permettons de vous écrire pour vous demander de devenir un ami du projet de l’Université privée Tri Viet.
Nous sommes un groupe de personnes que la chance a réunies autour de la création de l’Université privée Tri Viet et ayant le désir de faire montre d’esprit d’innovation pour améliorer un système universitaire qui reste déficient. Quelque soit le domaine auquel nous appartenons (diplomatie, journalisme, éducation, recherche) nous partageons la même conception et la même conviction : nous croyons en un monde ouvert destiné à devenir l’horizon de la jeunesse vietnamienne qui tient à se former et à faire apport d’une spécificité vietnamienne.
La société vietnamienne est confrontée à de profondes mutations. Par ce projet, nous souhaitons semer des graines de telle manière que ces mutations respectent les valeurs humaines de tous temps protégées par nos ancêtres et qu’ils nous ont offertes à travers la connaissance et la morale qui caractérisent notre époque »’

Les contacts vont être poursuivis et entretenus et la meilleure stratégie va sans doute consister à prouver le mouvement en marchant, à procéder par étapes successives qui donneront à voir petit à petit la nature du projet et de l’université. Cette entreprise mérite qu’on s’y intéresse à plus d’un titre. En ce qui me concerne, je me ferai volontiers l’accompagnateur des promoteurs du projet dans plusieurs démarches possibles auprès de différentes institutions universitaires, fondations et associations concernées, collectivités territoriales, entreprises, organismes consulaires (chambres de commerce par exemple) et auprès de nombreuses relations manifestant de l’intérêt pour le Vietnam.