Université Lumière Lyon 2
École doctorale : Lettres, Langues, Linguistique, Arts
Faculté des Lettres, Sciences du Langage et Arts
Département de Sciences du Langage
Laboratoire Dynamique du Langage
Les Baka du Gabon dans une dynamique de transformations culturelles
Perspectives linguistiques et anthropologiques
Thèse de doctorat en Sciences du langage
Sous la direction de Lolke VAN DER VEEN
Présentée et soutenue publiquement le 6 décembre 2010
Membres du jury :
Véronique Daou JOIRIS, Chargée de cours, Université Libre de Bruxelles
Lolke VAN DER VEEN, Professeur des universités, Université Lyon 2
Paulette ROULON-DOKO, Directrice de recherche, C.N.R.S.
Serge BAHUCHET, Professeur des universités, Muséum d’Histoire Naturelle
Patrick MOUGUIAMA-DAOUDA, Professeur des universités, Université Omar Bongo

Contrat de diffusion

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Résumé

Cette thèse propose une analyse approfondie de la dynamique des changements observés au sein d’une communauté de chasseurs-cueilleurs, les Baka du Gabon. Ce groupe se compose de moins de 1000 individus et parle une langue oubanguienne dans un environnement bantuphone. Une comparaison avec les autres langues du même sous-groupe linguistique met en évidence les spécificités du baka et met au jour des affinités entre cette langue et le monzombo. Ces deux groupes ethnolinguistiques semblent avoir entretenu des relations qui s’inscrivent dans une dynamique d’échange de compétences (chasse-cueillette vs pêche-maîtrise du fer). Ce type de complémentarité se retrouve dans les relations entre les Baka et leurs voisins bantu actuels, dont en particulier les Fang, pour ce qui concerne le Gabon.

Le mode de vie des Baka demeure, encore aujourd’hui, largement marqué par la mobilité et la forêt. Toutefois, la sédentarisation imposée par voie gouvernementale, la contigüité avec les Fang de même que l’influence croissante de la mondialisation entraînent des transformations par rapport auxquelles les Baka cherchent à se positionner. Ces dernières touchent la langue (système et utilisation) de même que bon nombre de pratiques socioculturelles (habitat, mobilité, alimentation, subsistance, religion, etc.).

La thèse s’efforce d’identifier ces transformations, de les décrire et d’en évaluer l’impact en tenant compte de la diversité des situations. Elle comporte, par ailleurs, une réflexion critique des principes de catégorisation fondée sur l’étude de plusieurs domaines lexicaux (faune, flore, maladie). Certains changements peuvent apparaître en surface sans pour autant remettre en cause, de manière fondamentale, leur attachement à la forêt et à certaines valeurs ancestrales. Toutefois, les différentes pressions exogènes (i.a. sédentarisation, mondialisation) et endogènes (i.a. attitude des individus, transmission) qui déterminent alors le degré d’avancement des différentes transformations, ne doivent pas être sous évaluées en tant qu’elles sont une menace pesant sur la langue, la connaissance de la flore et de la faune et certaines pratiques socioculturelles.

Disciplines : Linguistique – Anthropologie linguistique – Anthropologie – Linguistique cognitive – Sociolinguistique.

Mots clefs : Baka – Chasseur-cueilleur – Gabon – Afrique centrale – Oubanguien – Lexique spécialisé – Linguistique historique et comparative – Protolangue – Langue en danger – Changement linguistique – Emprunt – Changement culturel – Mobilité – Sédentarisation – Parenté – Généalogie – Alliance – Catégorisation – Faune – Flore – Maladie – Chasse – Miel.

Abstract

This thesis proposes a detailed analysis on the dynamic of change observed among the Baka from Gabon, a hunter-gatherer community. This group is composed of less than 1000 individuals speaking an Ubangian language inside a Bantu environment. By comparing their language with others from the same linguistic sub-group, some singularities from Baka and some resemblance with the Monzombo sub-group can be seen. These two ethnolinguistic groups, Baka and Monzombo groups, seem to have kept close contact based on skill exchanges (hunting/gathering and fishing/iron skills). This interaction is witnessed in the exchanges the Baka population preserves with their current Bantu neighbors, especially with Fang in Gabon.

Nowadays, the Baka way of life is still characterized by their mobility and the forest. Nevertheless, due to a non-migratory lifestyle imposed by the State, the proximity with the Fang group and the growing globalization, dramatic changes are inflicted to the Baka community. Changes at which they are trying to adapt. These constraints do not affect only their language (system and use) but also many sociocultural habits such as settlement, mobility, food and means of support or religion.

The aim of this thesis is to identify these ongoing transformations, to describe and to evaluate their impact bearing in mind the singularity of many contexts. An argumentative reflection on categorization principles is also proposed on lexical domains such as fauna, flora and diseases. Certain changes could arise without necessarily questioning their bonds to the forest and ancestral values. Nonetheless, both exogenous (globalization and a sedentary life) and endogenous pressures (individual behavior and culture transmission) determining the progress of different transformations should not be under evaluated as being a threat to the language, to the knowledge of the flora and fauna and to certain sociocultural practices.

Fields:Linguistics – Anthropological linguistics – Anthropology – Cognitive linguistics – Social linguistics

Keywords: Baka – Hunter-gatherer – Gabon – Central Africa – Ubangian – Specialized Lexicon – Historical and comparative linguistics– Protolanguage – Endangered language – Linguistic change – Word loan – Cultural change – Mobility – Sedentary mode – Kinship – Genealogy – Alliance – Categorization – Fauna – Flora – Disease – Hunting – Honey.

Dédicace

A Sumba Ngongo Ndong Azombo Alain, mon précieux collaborateur, mon ami, sans qui ce travail n’aurait pu se réaliser. A sa femme Mbèyè Minzème Martine, à sa famille et plus largement aux habitants du village de Bitouga qui ont su m’accueillir et m’ont témoigné une grande confiance.

A tous les Baka de la région de Minvoul et de Makokou, que j’ai pu rencontrer, à qui je l’espère ce travail permettra de ne plusles ignorer.

Je tiens également à dédier ce travail à tous mes amis de Bitouga disparus depuis le début de cette grande aventure : Mona, Amaya, Famda, Ebale, Bidza, Boula, Léo et enfin Amuko.

A Stéphane, Iaona et Clovis qui m’ont supportée (au sens propre comme au sens figuré) tout au long de ce travail de recherches et qui ont pu partager une grande expérience de terrain gabonais qui restera gravée dans la mémoire de chacun.

Au-delà de la diversité linguistique et culturelle, du droit à la différence, il existe un élément précieux que nous appelons « vie ».

“Moke told me not to think that this was a real molimo; it was what they did for the villagers to make them think their molimo was the same as the Pygmies.” Turnbull (62: 46)

« Et ce qui fait l’originalité de chacune d’elles [les cultures] réside plutôt dans sa façon particulière de résoudre des problèmes, de mettre en perspective des valeurs, qui sont approximativement les mêmes pour tous les hommes : car tous les hommes sans exception possèdent un langage, des techniques, un art, des connaissances de type scientifique, des croyances religieuses, une organisation sociale, économique et politique. Or ce dosage n’est jamais exactement le même pour chaque culture… » (Levi-Strauss, 1952 : 50)

« La pratique du terrain, c'est d'abord un ensemble de relations qu'il faut établir avec des inconnus sur leur propre territoire. Une inscription dans un espace géographique, économique, social, politique et mental dont le chercheur n'a pas l'expérience directe et sur lequel il n'a, a priori, aucune prise. » (Caratini, 2004 : 22)

« Et ce décentrement ne fut lui-même possible que par la suspension du jugement, la mise entre parenthèses provisoire des évidences reçues et partagées au sein de sa société et de sa culture. » (Godelier au sujet de Morgan, 2004 : 21)

“Instead decisions should be based on the understanding that nature is indeed abundant and capable of sustaining all life, if it is shared properly.” (Lewis, 2006: 17)

Remerciements

Je ne saurais suffisamment remercier Lolke van der Veen, mon directeur de thèse, pour la confiance qu’il m’a témoignée – sur un sujet tout nouveau pour moi tant au niveau des différentes perspectives de recherches, que du type de société étudiée et de la famille linguistique (oubanguienne) dont fait partie cette langue –, la patience dont il a fait preuve, et pour tous les conseils qu’il m’a donnés avec la diplomatie qui le caractérise.

Je remercie Patrick Mouguiama-Daouda de m’avoir inspiré ce sujet de recherches, pour ses critiques constructives tout au long de ce travail et son aide précieuse à la structuration de celui-ci, ainsi que pour son soutien moral.

Je remercie vivement Paulette Roulon-Doko pour ses multiples commentaires avisés et son enthousiasme communicatif.

Je voudrais remercier Serge Bahuchet et Véronique Daou Joiris, comme Patrick Mouguiama-Daouda et Paulette Roulon-Doko, d’avoir accepté de faire partie de mon jury d’évaluation.

S’il est une personne qui m’a donné envie de faire de la linguistique africaine, il s’agit de Jean-Marie Hombert lors de son cours de Langues et Cultures de 1ère année à l’Université Lyon 2. Je le remercie pour l’enthousiasme « africaniste » qu’il a réussi à me transmettre.

J’aimerais remercier le Père Gérard Morel, aujourd’hui disparu, qui n’a pas hésité à me prêter ses manuscrits, ses diapositives ainsi que divers documents sans garantie certaine de restitution. Père Morel qui s’est toujours rendu disponible à Libreville et a toujours essayé de répondre avec précision à mes questions concernant des situations datant de plus de 40 ans. De même, je tiens particulièrement à saluer le Père Robert Brisson qui a su garder son énergie d’antan malgré son cœur fragile qui sonne le rappel de ses nombreuses années. Je le remercie d’avoir su me communiquer sa passion des Baka, et d’avoir mis à ma disposition ses données en toute modestie.

Je remercie Laurent Maget de s’être intéressé à mon travail et de m’avoir suivi sur le terrain dans des conditions parfois extrêmement difficiles. Il a su, au travers de son œil de réalisateur, rendre le caractère sensible de toutes relations humaines.

Je remercie Jacqueline M.C. Thomas et Luc Bouquiaux pour leur disponibilité et leur chaleureux accueil en leur demeure de St Martin au Bosc, ainsi que Susanne Fürniss.

Je remercie bien entendu tous mes collègues du Laboratoire DDL qui ont participé d’une manière ou d’une autre à la réalisation de ce travail, et plus particulièrement Fabrice Agyune Ndone pour ses multiples commentaires avisés de jeune anthropologue et ses relectures rigoureuses, Michel Bert pour sa relecture attentive de certaines parties, Marion Cheucle pour les renseignements collectés à Mvadi (Gabon), Claire Delle Luche pour la traduction française de la majorité des citations anglaises et du résumé en collaboration avec Léandro Di Domenico, Colette Grinevald d’avoir consacré une partie de ses insomnies à répondre dans l’urgence à mes demandes, Rébecca Grollemund (et Quentin son époux) pour toutes les copies de cassettes et de minidisc, Pither Medjo Mvé pour son expertise de linguiste et de locuteur de la langue fang, Gérard Philippson pour sa disponibilité et sa patience face à mes questions parfois saugrenues, Gisèle Teil-Dautrey pour ses remarques positives et constructives. Merci également à Christian Fressard, Egidio Marsico et Vincent Monatte pour leur aide logistique « en tous genres » non négligeable pour ne pas dire essentielle. Merci à François Pellegrino, Directeur du Laboratoire DDL, pour les excellentes conditions de travail offertes au laboratoire.

Je remercie également les collègues de l’UOB, ceux du LABAN dont Raymond Mayer en particulier, tous mes amis du Gabon, et plus particulièrement Pierre Modouma Koumba, Préfet en poste à Minvoul lors de mes terrains, qui a su nous accueillir dans cette lointaine contrée.

Je tiens à remercier tout particulièrement mon amie, Isabelle Monnier, qui a réussi à trouver un peu de temps dans l’urgence des dernières relectures malgré son rythme de vie effréné.

Ces recherches de thèse ont pu être réalisées grâce notamment aux financements de l’ACI « Espaces et Territoires » et de l’ANR « Afrique Amérique Latine Langues En Danger ».

Je remercie le CNPN (Centre National des Parcs Nationaux) du Gabon qui m’a permis d’accéder au Parc de Minkébé, et le CENAREST (Centre National de la Recherche Scientifique et Technique) qui m’a autorisé à effectuer mes recherches de terrain sur le territoire gabonais. Je remercie également la Congrégation du Saint Esprit, via Geneviève Karg, qui m’a autorisée à utiliser les photographies du Père Gérard Morel.

Enfin, je souhaite clôturer ces remerciements en pensant tout spécialement à ma famille et à mes amis qui m’ont soutenue durant ces années de thèse, et plus particulièrement à Stéphane – qui n’a pas hésité à sacrifier une partie de ses vacances gabonaises pour mettre à ma disposition ses compétences de musiciens, me permettant ainsi d’élaborer de bonnes stratégies de repérage des variations tonales, et qui a réalisé le montage des courtes vidéos présentées en annexe –, à ma fille Iaona – qui a définitivement une excellente oreille musicale –, à mon fils Clovis – dont le découpage morphologique de la langue baka n’a pas échappé – et à Sumba, mon « neveu classificatoire » – le locuteur idéal.

Conventions de lecture

Linguistiques

litt. : littéralement

[…] : crochets phonétiques

/…/ : barres phonologiques

Pour les besoins de notation des tons, le tilde sera placé au dessous des voyelles dans les quelques rares cas où la nasalité apparaît.

PG : Proto Gbaya

PB : Proto Bantu

C1, C2, etc. : 1ère consonne, 2ème consonne, etc.

V1, V2, etc. : 1ère voyelle, 2ème voyelle, etc.

T1, T2, etc. : 1er ton, 2ème ton, etc.

H : haut, ton haut.

M : moyen, ton moyen.

B : bas, ton bas.

1SG, 2SG, 3SG : 1ère personne du singulier, 2ème personne du singulier, etc.

1PLU, 2PLU, 3PLU : 1ère personne du pluriel, etc.

Poss. : possessif/ PP : pronom personnel

Conn. : connectif

Pour ce qui concerne le premier chapitre, les numérotations fournies dans les tableaux correspondent à celles de Moñino (1988). D’autres conventions propres ont été adoptées, soit :

- - : deux traits : « absence de données ou forme très différente »

~ : un tilde central : « ou », variation libre

/ : un slash dans la colonne du baka : « à gauche du slash, ce sont les réalisations de Brisson et à droite mes propres données »

? : un point d’interrogation : « doute »

Anthropologiques

Ego : la personne référente

Ego M : Ego masculin

Ego F : Ego féminin.

(f.X) : fiche puck numéro X. Cette information, suivant généralement un anthroponyme, renvoie au numéro de l’individu dont il est question dans le fichier puck en annexe

Dans les grandes fiches anthropologiques, pour réussir à obtenir toutes les informations sur une seule page, certains signes ont été modifiés :

Un individu masculin est marié à deux femmes.

Autres

CC chasseurs-cueilleurs

GN Grands Noirs, terme repris de Bahuchet qui englobe toutes les populations non chasseurs-cueilleurs.

Bilo toutes les populations non CC, Bantu ou Oubanguiens, même référent que GN.

RCA République Centrafricaine

RDC République Démocratique du Congo

WWF World Wildlife Fund

D’autres acronymes ou abréviations spécifiques sont donnés au fur et à mesure dans les parties concernées.