1.1.3.1 Méthodes d’enquêtes

Plusieurs techniques d’enquête ont été employées, les plus fréquentes concernent les élicitations linguistiques, mais également les entretiens à visée anthropologique, sociolinguistique ou cognitive. Dans ces trois disciplines, il s’est agi de séries d’entretiens directs, semi-directs et libres. Parallèlement, l’observation participante et/ou passive s’est souvent avérée intéressante pour certaines vérifications de données collectées dans tous les domaines, y compris en linguistique. Le parti pris a été de ne pas se limiter à un seul cadre d’observation, mais de tendre à l’exhaustivité.

Les « terrains » se sont déroulés principalement sous deux formes. La première a consisté en la venue de Sumba en France, informateur de référence. Deux mois de travail à Lyon ont été réalisés, en juin 2004 puis beaucoup plus tard en décembre 2009. Pour la seconde forme, il s’agit de missions de terrain à proprement parler, c’est-à-dire que je me suis rendue dans la région de Minvoul. J’ai résidé essentiellement au village de Bitouga et/ou à Ayos, en campement de forêt. Dans la mesure du possible, j’ai essayé de faire varier les périodes de l’année afin d’observer différentes pratiques en fonction des diverses saisons. Ainsi, environ sept mois de terrain ont été effectués entre février 2004 et janvier 2007 (juillet-août 2004, mars 2005, janvier 2006 et juillet-août 2006). Par ailleurs, grâce aux nouvelles technologies et à l’installation d’une antenne téléphonique à Minvoul depuis 2006, je suis régulièrement6 en contact avec Sumba, qui s’est équipé d’un cellulaire.

Les premières enquêtes de terrain ont exigé le recours à des traducteurs. Les jeunes adultes, issus de mariage mixte (Fang-Baka), même s’ils communiquaient en fang (cf. notion de prestige chapitre 2), se sont avérés d’excellents consultants dans la mesure où ils ne portaient pas de jugements de valeur négatifs sur la société baka (i.e. celle de leur mère). Néanmoins, lorsqu’il a été possible d’éviter une traduction supplémentaire (filtre phonologique, filtre culturel, etc.), les données ont été collectées directement auprès des locuteurs.

Les enquêtes linguistiques ont principalement été réalisées grâce à la méthode d’élicitation, mais pas exclusivement ; quelques récits ou contes ont été collectés (ceux-ci serviront surtout à une analyse ultérieure en morphosyntaxe). Les manières de procéder ont été les suivantes :

  • liste de mots français traduits en fang puis en baka ;
  • listes spécifiques de Brisson : élicitation à partir de la variété baka camerounaise ;
  • liste comparative de Bahuchet : élicitation à partir du baka ;
  • relevé spontané de termes utilisés en contexte lors des différents terrains (mot entendu et demande d'explicitation : le plus difficile sans traducteur!) ;
  • demande du terme baka face au référent en situation, ou grâce à des photographies d’animaux par exemple.

La collecte du vocabulaire botanique s’est réalisé in situ, avec la participation active et très appréciée d’Augustin Mougandzi, kota gabonais, expert en botanique locale, qui a fourni systématiquement l’appellation scientifique des espèces étudiées. Plus de 200 arbres (213 exactement, cf. chapitre 4) ont ainsi pu être identifiés. La présence d’un jeune Fang-Baka, a été nécessaire uniquement lors de demandes de précisions, c’est-à-dire, en cas de doute sur l’identification de l’espèce.

Quant aux enquêtes anthropologiques, les 39 premières fiches généalogiques (présentées en annexe) ont été collectées avec l’aide d’un traducteur lors du premier terrain effectué dans le cadre du projet OHLL-OMML (cf. supra). Ces fiches anthropologiques comportaient deux volets : un premier volet intitulé Formulaire d’enquête concernant les individus et un second volet Enquête anthropologique pouvant répertorier trois générations ascendantes d’Ego (cf. 6.2.4.1). Le modèle de fiche du second volet a servi de base lors des terrains ultérieurs afin de fournir un aperçu conséquent des généalogies de la population de la région de Minvoul (les premières fiches ont par ailleurs été complétées). Toutes les autres fiches ont été renseignées directement en baka. Pour ce qui concerne la nomenclature de la parenté, les termes ont été inventorié directement en baka ; il s’agissait d’éviter, dans la mesure du possible, de calquer le système fang que les Baka ont tendance à adopter. L’aide de Sumba a été primordiale. Ayant saisi la démarche à suivre, il demandait parfois lui-même des précisions auprès des différents informateurs. Toutefois, l’utilisation du français a parfois été nécessaire.

Pour les enquêtes réalisées en vue d’études portant sur la catégorisation, l’utilisation de photographies s’est avérée difficile. Dans ces dernières les proportions des animaux donnés à voir ne sont pas respectées (éléphant vs souris) et l’animal est totalement sorti de son contexte. De surcroît, les Baka, non scolarisés, ne sont pas du tout habitués à lire les images. Pour les enfants, la situation n’est guère différente. Les catégorisations ou autres classifications ont nécessité l’utilisation du français (généralement par l’intermédiaire de Sumba).

Notes
6.

Environ tous les deux mois, si la saison le permet, les zones de chasse étant trop éloignées de l’antenne. De plus, la gestion matérielle particulière des Baka ne permet pas de prédire si le téléphone portable est encore en état de marche au moment de l’appel.