Makokou

Il semble qu’en juillet 2006 la ville de Makokou ait perdu la quasi totalité de ses hôtes baka. Le terme d’hôte est utilisé ici à dessein car les deux familles demeurant encore dans cette ville, logent chez des Fang. En effet, la famille de Mèmi dort dans un coin spécifique qui leur est réservé dans la grande pièce principale d’une maison fang, espace commun qui sert également de cuisine aux habitants. Cependant, il ne s’agit pas d’une pièce séparée. Parents, enfants et petits-enfants dorment tous ensemble, à la vue des visiteurs ou subissant les allers et venus des autres habitants fang détenant chacun leur chambre, qu’ils prennent d’ailleurs soin de cadenasser dès qu’ils quittent la pièce.

Autant Mèmi et son fils Likwèkwè qu’une des filles de l’autre famille baka prétendent être les deux seules familles restantes de Makokou. Pourtant, en 2003, Knight avait répertorié environ 70 individus. Que s’est-il passé ? Selon les personnes restées, les autres Baka sont repartis, soit en forêt, soit dans les villages le long du fleuve Ivindo. Ceci peut être interprété comme une preuve de la grande mobilité de la communauté (cf. chapitre 3). Mes informateurs de Makokou s’accordent sur le fait que le regroupement baka le plus important, comptant environ 150 personnes, est situé à Mvadi, au nord, en remontant l’Ivindo, à la frontière du Congo. Mvadi (ou Mayibout situé à proximité) se trouve à un peu plus de quatre ou cinq heures de pirogue motorisée de Makokou. Toutefois, il est possible de trouver des Baka dans un village plus proche, à une heure de pirogue seulement, bien que toujours près des rives de l’Ivindo en amont de Makokou. Ce village se nomme Mekob (ou Mikoub, cf. carte ci-après) ou Ndumabango en baka. Selon Knight (2003) ce lieu hébergerait 25 à 30 individus. Mes propres vérifications, réalisées en 2006 en compagnie des deux jeunes Baka de Makokou, ont permis d’identifier quatre maisons baka au sein de ce village kwele. Likwèkwè (cf. supra) a profité de cette expédition, pour visiter son ex-épouse et ses enfants, qui vivent ici.

Il est important de noter qu’au sein du village de Ndumabango un chasseur-cueilleur koya est marié avec une Baka. Il semble que ce soit le seul cas de ce genre répertorié dans la région. Plusieurs fiches généalogiques et quelques récits y ont été collectés afin de comprendre les migrations récentes de ce groupe. Il s’avère que cette communauté est arrivée directement du Cameroun en pirogue, par le fleuve Ivindo, qu’ils ont descendu jusqu’à Mvadi où ils se sont arrêtés pour un temps. Les Baka de cette région ont surtout accompagné les Kwele, population de pêcheurs que l’on trouve au Cameroun, au Congo et au nord-Gabon et qui parle une langue bantu du groupe A80 (cf. carte partie précédente). La plupart des Baka se sont installés à Mvadi ou dans ses environs, d’autres ont continué de descendre l’Ivindo jusqu’à Ndumabango ou Makokou (cf. carte ci-dessous). Les données que j’ai collectées auprès des Baka de cette région montrent qu’ils parlent la variété camerounaise, différente de celle de Minvoul comme nous le verrons dans la partie . Ils parlent également bekwil et fang (les langues des deux populations avec lesquelles ils étaient en contact au Cameroun). Les Baka de ces lieux prétendent ne pas connaître ceux de Minvoul (l’inverse est également vrai). Ces deux communautés ne semblent donc pas être en contact l’une avec l’autre.

Toutefois, depuis peu, certains d’entre eux se sont rencontrés du fait de la venue à Makokou de quelques Baka de Minvoul travaillant dans le cadre d’une mission du WWF. Il a été intéressant de noter la manière dont les Baka de la région de Makokou perçoivent ceux de Minvoul. Les premiers estiment que les seconds s’expriment en langue fang aussi bien que des Fang eux-mêmes. Cette remarque vient corroborer les observations faites à Minvoul où les Baka sont considérés comme des locuteurs fang très compétents, bilingues dès leur plus jeune âge (cf. chapitre 3, partie 3.3). D’ailleurs, cela vient également renforcer l’idée d’une réelle volonté au sein de ce groupe d’adopter certains traits culturels fang. Cette dynamique paraît d’autant plus forte que l’isolement de la communauté de Minvoul ne favorise pas la revitalisation linguistique ou culturelle.

Figure 4. Villages le long de l’Ivindo (d’après Cheucle & Gallet
Figure 4. Villages le long de l’Ivindo (d’après Cheucle & Gallet Carte présentée par Marion Cheucle, avril 2010, Séminaire interne DDL, Lyon. 2007) concernant la répartition des Kwélé dans la région de la Djouah

La carte présentée ci-dessus montre qu’il existe une petite dizaine de villages le long de l’Ivindo, de Mvadi à Makokou, le premier village se situant à l’embranchement de l’Ivindo et de la Djouah, à proximité de la frontière du Congo. Les Baka de la région de Mvadi seraient situés au village d’Adjap, sur la rive ouest du fleuve. Sur la base de cette carte, il serait intéressant de réaliser ultérieurement des enquêtes en vue du recensement des Baka de cette région (rives est et ouest) afin d’en estimer le nombre, et ceci à des périodes différentes de l’année.

Force est de constater que le paysage ethnolinguistique est extrêmement changeant, d’autant plus, lorsqu’il est question de populations de chasseurs-cueilleurs semi-nomades.