Remarques conclusives

Bien que les Baka affirment qu’ils sont en contact avec les Fang « depuis la nuit des temps », on assiste de nos jours à une intensification des contacts et à une modification de la nature des échanges. Beaucoup de Baka vivent désormais en contact permanent avec leurs voisins fang, souvent au sein d’un même espace. S’ils continuent de fournir les Fang en gibier, les Baka se mettent à fréquenter les marchés des villes (cf. chapitre 3) et les échanges commerciaux se diversifient. De plus, comme une des conséquences de la sédentarisation, certains Baka développent des compétences en agriculture. Certains Fang, ou autres Bilo, voyant que les chasseurs-cueilleurs pourraient avoir moins besoin d’alliance économique, semblent s’être arrangés pour les aliéner par ailleurs.

De fait, les relations d’échange équilibré dans la réciprocité dont bénéficiaient auparavant les Fang et les Baka ont commencé à se détériorer avec le temps. A partir du processus de sédentarisation, le rapport de réciprocité et d’interdépendance est passé à un rapport de subordination des populations de chasseurs-cueilleurs. Les contacts entre les différentes communautés qui étaient jadis motivés par l’intérêt du libre échange de produits sont devenus plus réguliers et par là-même, ont perdu de leur motivation. Les Fang, bénéficiant d’un statut de prestige et d’une supériorité numérique très marquée, se considèrent très généralement comme supérieurs (de par leur mode de vie et de par leur vision du monde) et comme propriétaires des Baka.

Soulignons, enfin, l’ambivalence de cette situation : alors que les Baka font l’objet de manifestations de mépris de la part des Fang, la présence de ces derniers est souvent « valorisante » pour eux. La majorité des Baka désirent accéder aux biens réels et/ou présumés du monde moderne perçus à travers les Fang ou d’autres Bilo. Toutefois, leur perception de la « modernité » n’est que très partielle : ne sont perçus que les aspects positifs des nouveaux produits et non les implications financières de l’appropriation de ces biens (cf. chapitre 3, partie 3.1.2). Le regard dépréciatif qu’ils portent sur eux-mêmes et sur leur mode de vie constitue un facteur de changement endogène ouvrant la porte à la « bantuisation » et à une perte réelle de leurs spécificités culturelles.