2.2.2.1 Morphologie

Structure des bases

Les données collectées auprès des Baka du Gabon corroborent les propos de Thomas (1979) selon lesquels le baka est une langue où la composition lexicale occupe une place importante, comme procédé de formation de mots, à côté de procédés relevant plus spécifiquement de la dérivation.

La notion de composition nécessite, bien entendu, quelques précisions. La notion utilisée dans le présent travail rejoint celle préconisée par Creissels (2006) qui entend par composition l’association de formes libres et/ou de formes liées. Cette distinction entre formes libres et formes moins autonomes est particulièrement utile pour l’analyse du baka dans la mesure où de très nombreux termes du baka qui entrent dans la formation de composés lexicaux ne peuvent apparaître seuls en tant que tels ; ces derniers ne semblent pas (encore) avoir le statut d’affixes mais de termes « libres dépendants » : ils se distinguent formellement quelque peu des termes lexicaux pouvant être utilisés seuls, soit par une différence segmentale, soit par une différence tonale, soit par les deux. Dans de nombreux cas, la composition lexicale est corrélée à la composition sémantique dans la mesure où le sens des composants se trouve préservé intact dans les composés. Dans certains cas, toutefois, la signification du terme « composé » n’est pas la somme des sens des termes individuels qui le composent32. Dans ces cas, la relation entre composition lexicale et composition sémantique devient opaque.

  • Il existe plusieurs types de bases en baka : les bases simples non analysables, qui constitue la majeure partie du vocabulaire, même dans le cas de lexiques spécialisés comme nous le verrons dans le chapitre 4, et les bases complexes décomposables dont plusieurs types sont listés ci-dessous.
    • radical + affixe : [kɔ̄βā-ō] litt. hache-pluriel, « les haches » ; ou [wà-gé] litt. celui de-chasse, « le chasseur » (préfixe agentif+base verbale).
    • radical + radical : [kpā-bō] litt. main-humain, « la main », où les deux formes sont libres ; [nɔ́kɔ́-bùkɛ̀mbɛ̀] litt. neveu-Diospyros sp. ?, « Napoleona vogelei », où le changement tonal du premier terme joue peut-être le rôle de connectif ; [mò-gūdù] litt. bouche-maison, « porte, entrée » (avec la première forme liée et la seconde libre). Il s’avère difficile de trouver des exemples clairs de composition de deux radicaux nominaux libres du fait d’un grand cas de formes dépendantes. Ceci peut être illustré par un exemple simple : [là] et [lɛ̀-] sont deux variantes d’un morphème signifiant « enfant, petit ». La première forme est libre, la seconde est dépendante. Aussi, sera-t-il possible de trouver la forme [là] « l’enfant » tout seul, mais lorsqu’il s’agit de dire « l’enfant du mandrill » le second terme, dépendant, est utilisé : [lɛ̀-tāmbā] 33. Pour utiliser la forme libre, un connectif s’avère nécessaire, comme cela est également le cas dans les constructions génétivales suivantes : [kò-nà-ndzɛ̄] litt. maladie du sang, « ménorragie », ou [gílè-à-wɔ́sɛ̀] en variation libre avec [gílè-nà-wɔ́sɛ̀] litt. belle famille-conn.-femme (où la seconde apparaît comme « plus marquée »), renvoyant aux « belles-mères classificatoires » (cf. chapitre 3).
    • radical + radical : la réduplication (ou le redoublement) du radical. Ce procédé de formation semble intimement lié l’expressivité (valeurs d’intensité, de répétition, d’imitation). Ceci peut être illustré par est une onomatopée comme [sèkúsèkú] « hoquet », par un qualificatif expressif comme [làbùlàbù] « (très) faible » ou encore par un nom expressif comme [tūmā-tūmā] litt. maître chasseur-maître chasseur. Adressé à un petit enfant, ce dernier mot prend une connotation affective. Il est à noter que les termes relevant du domaine de la sorcellerie sont souvent rédupliqués. Il pourrait bien s’agir d’une sorte de stratégie d’évitement (par exagération ?), ayant pour conséquence l’absence du terme dans son expression la plus simple. Ces cas semblent entretenir également un lien fort avec l’expressivité (crainte, peur).
    • radical verbal + radical nominal : [ndzī-síó] litt. évacuer-urine, « uriner ». Pour les composés de ce type, l’ordre verbe-complément est conservé.
  • Genre et nombre

Du point de vue grammatical, le genre n’est pas marqué en baka. Ainsi, on dira « la femme est forte » [wɔ́sɛ̀ é gbɛ́kɛ́] (litt. femme/ elle/ forte) et « l’homme est fort » [múkɔ́sɛ̀ é gbɛ́kɛ́] (litt. homme/ il/ fort). Le genre est exprimé lexicalement. Certains lexèmes simples encodent le genre, masculin ou féminin. Le genre peut aussi, selon les circonstances, être précisé grâce à la composition (cf. ci-dessus pour « belles-mères classificatoires » où [gílè] n’a pas de marque de genre intrinsèque). Dans certains cas, il pourra également être inféré à partir d’éléments relevant de la pragmatique et de l’énonciation. De nombreux termes de parenté, par exemple, sont employés pour référer à des hommes ou à des femmes, le genre du « nommé » (destinataire) étant induit par le genre du « nommant » (Ego), comme pour la catégorie de « germains », notamment, avec [gbébā-] « grand(e) » et [tàdī-] « petit(e) ».

Comme évoqué dans l’exemple ci-dessus : [kɔ̄βā-ō] (litt. hache-pluriel) « les haches », la marque [ō] du pluriel se suffixe à la base lexicale34, quelque soit la voyelle finale. Toutefois, cette marque est facultative dans bon nombre de contextes : la notion de nombre peut être déduite par d’autres indices de pluriel qui apparaissent en contexte, généralement véhiculés par le verbe et/ou la présence du terme [dàdì] signifiant « beaucoup ».

  • Les accords entre le groupe nominal sujet et le verbe se réalisent grâce aux indices de personne sujets présents avant le verbe. Voici deux exemples :
    • ŋgàŋgà ná à kɔ̄tɔ̀], (litt. guérisseur/ le/ IPS3S35/ narratif/ arriver) « le guérisseur arrive ».
    • ŋgàŋgà ná kɔ̄tɔ̀ dàdì], (litt. guérisseurs/ le/ IPS3P36+narratif/ arriver/ beaucoup) « les guérisseurs arrivent ». (A noter : il s’agit ici d’une forme contractée de  : [wó+á])

Ainsi, les indices de personne sujets se placent systématiquement avant le verbe.

Par ailleurs, il est à noter qu’il n’existe pas de système de classes nominales en baka, comme cela est le cas dans les langues bantu voisines37.

Notes
32.

Comme dans ‘œil-de-bœuf’ en français.

33.

Il serait intéressant de faire une étude approfondie et systématique de ces formes complémentaires, dans la mesure où il est possible de trouver [là-lè] litt. enfant-PP1S « mon enfant » (et làlèō « mes enfants ») mais également [lɛ̀-lè] « mon petit » dans certaines conditions particulières où une légère distinction sémantique peut apparaître. Il en est de même pour [jè-] et [mbì], ce qui pourrait éventuellement permettre de trancher (ou non) quant à leur signification « clan » et/ou « lignage », cf. chapitre 3.

34.

D’après Brisson (2002), le ton de la marque du pluriel est réalisé haut après un ton haut.

35.

Indice de personne sujet, 3ème du singulier.

36.

Indice de personne sujet, 3ème du pluriel.

37.

Certains indices peuvent éventuellement être interprétés comme d’anciennes traces de préfixes bantu comme pour [mà-kòmbò] (litt. collectif - musanga cecropioides) où la première forme renverrait à la classe 6 anciennement « grand pluriel » dans le sens de « multitude de », soit « l’ensemble des arbres kombo ». Toutefois, il est également possible que le premier élément soit un ancien lexème « érodé » du baka.