L’inventaire des unités segmentales concernera les voyelles, d’une part, et les consonnes, d’autre part.
Les timbres vocaliques suivants sont attestés en position V1 et V2 :
| antérieures non arr. |
centrale non arr. |
postérieures arr. | |
| fermées | i | u | |
| mi-fermées | e | o | |
| mi-ouvertes | ɛ | ɔ | |
| ouvertes | a |
Quelques cas de voyelles phonétiquement longues ont été relevés, généralement avant une minasalisée ou en finale, mais l’allongement ne présente aucun caractère systématique. La longueur vocalique n’est jamais utilisée à des fins distinctives. Dans bon nombre de cas, elle n’apparaît que dans des situations de variation libre. La longueur vocalique n’est donc pas phonologiquement pertinente.
Par ailleurs, nous avons des séquences de voyelles non identiques (comme dans [síá] jeune fille ou [ɸóà] laid) ou des voyelles « longues » mais avec des tons différents (comme dans [èē] chose et [kóòlē] lézard à taches blanches) ce qui nous laisse la possibilité d’interpréter ces dernières comme des séquences de voyelles identiques. Ces voyelles « longues » se distinguent d’ailleurs très nettement des cas où l’allongement porte un caractère facultatif. Pour ce qui concerne ce dernier aspect, par exemple [jāːndó] « alchornea floribunda », sera retranscrit phonologiquement /jāndó/ du fait de l’allongement prévisible et libre devant une minasalisée. De même pour le « Bridelia micrantha » nommé [tàkū] ou [tàːkū], la forme phonologique sera /tàkū/ du fait que l’allongement de la première voyelle de ce mot n’entraîne aucun changement de sens.
J’ai relevé quelques cas de voyelles nasalisées (une quinzaine d’occurrences, où il s’agit essentiellement de [a̰], [ɔ̰] ou [o̰]). La nasalité de ces voyelles n’est phonologiquement pertinente. Le contexte de réalisation de cette nasalité vocalique pour les deux premières voyelles est avant une mi-nasale, comme dans l’exemple du « Copaifera mildbraedii »[jɔ̰̄mbɔ̄] qui sera retranscrit phonologiquement /jɔ̄mbɔ̄/. Quant à la troisième voyelle, plus fermée, ce phénomène se produit en position finale pour des raisons qui nous échappent pour l’instant. Ainsi, les formes [mbíàtō] et [mbíàtō̰] sont en variation libre pour désigner le « Dracaena arborea », mot phonologiquement retranscrit /mbíàtō/. La même analyse peut se faire pour l’ensemble des quelques autres exemples du corpus dans la mesure où ils présentent tous la même variation libre. Par contre, si jamais la variation libre venait à disparaître, il serait alors possible de relever des cas de nasalité distinctive.
Si l’on se place dans une perspective diachronique, il est généralement possible de corréler la réalisation de la nasalisation à une chute de segment. Ainsi, le « Triumfetta cordifolia »40 [òkǒ̰] (qui serait un emprunt au fang okoŋ) aurait perdu la consonne nasale finale (étant donné la préférence quasi absolue pour les syllabes ouvertes) transférant son caractère nasal sur la voyelle précédente. Il s’agirait d’un réel cas de transphonologisation en l’absence de variation libre. Mais le baka admet à l’heure actuelle les deux réalisations : nasalisée et non nasalisée. Un autre exemple, un peu plus complexe, concerne le verbe tuer [mô̰] (le ton est descendant de moyen et la nasalisation est facultative). Il est possible d’imaginer le même type de scénario. Toutefois, si l’on compare cette forme à [mōò] fournie par Brisson (2002) et par Moñino (1988c) pour le monzombo et à [mōlò] en ngbaka ma’bo et en gbanzili, aucune nasale n’apparaît en finale dans ces occurrences, du moins dans les formes actuelles. La chute de la deuxième consonne, [l] en l’occurrence, en position intervocalique, ne peut en aucun cas entraîner une nasalisation de la voyelle. On peut par contre imaginer une évolution du type l > n sous influence de la nasale initiale (assimilation progressive de la nasalité), puis chute du /n/ avec ou sans trace de nasalité sur la voyelle précédente. Quant au ton modulé, il s’agit vraisemblablement du ton laissé par la seconde voyellelors de sa chute. Un autre scénario serait la simple propagation à droite de la nasalité sur la voyelle, à partir du /m/ initial. Aucun autre cas similaire n’a pu être mis en évidence faute de données suffisantes. Cet aspect mériterait d’être approfondi lors de recherches ultérieures.
Quelques rares cas de coalescences ou fusions complexes entre segments ont été répertoriés dont deux peuvent être liés à des mots tabous comme « l’anus » [làmūbō] (en variation libre avec [làmwɛ̰̂]), et la « queue » [sɔ̄mwɛ̰̂] (qui peut renvoyer au sens de pénis dans certains contextes) – il est à noter que Brisson donne [sɔ̄mū], et [sɔ̄mū-sī] a été collecté, par ailleurs, pour « queue de poisson » – et une forme vraisemblablement onomatopéique [kwɛ́ŋgwɛ̄] « perdrix, francolin écaillé ». Ici, les voyelles finales sont nettement perçues nasales et elles ne sont pas en variation libre avec l’orale correspondante [ɛ]. Par contre, au niveau des formes, il est souvent possible d’en trouver deux en variation libre comme pour [lɛ̀-á-núkò] et [lɛ̀-á-núkwɛ̀] signifiant « aveugle, cécité » (litt.oeil-être fermé). Il est question de séquence de consonne et semi-consonne plutôt que de diphtongues puisque ces dernières ne se retrouvent pas par ailleurs. Les voyelles fermées [i, e] et [o, u] deviendraient des semi-consonnes, respectivement [j] et [w], phénomène qui se produit en position finale. Toutefois, un exemple vient contredire cette idée, il s’agit du « colobe satan » nommé [bwɛ̀ndzì]. Paradoxalement, la première voyelle jouxtant une nasale est réalisée orale. Est-ce que ce phénomène va se développer, et par là-même, un processus de diphtongaison est-il en cours ? Ces questions seront reprises ultérieurement dans la partie .
Quelques cas de schwa, sont attestés, surtout en position finale. Ils semblent résulter d’une processus de centralisation affectant certaines voyelles (lesquelles) dans cette position (faible du point de vue prosodique), un type de processus très répandu dans la région. Il existe un seul cas de cette voyelle centrale en V1 pour le canon du fusil [mbə̀m]. Il est toutefois possible pour cet exemple, qui est vraisemblablement un emprunt, de « récupérer » la voyelle sous-jacente. Grâce au pluriel : deux formes en variation libre [mbə̀mǒ] et [mbɛ̀mǒ], il est possible de postuler le /ɛ/ comme voyelle sous-jacente. D’autres exemples suivent le même processus comme la « défense d’éléphant » [tɛ̄jə̀] où le [à] en V2 réapparaît au pluriel grâce à l’ajout du suffixe [tɛ̄jàó]. Par ailleurs, également en syllabe ouverte, le schwa est présent en milieu de lexème, ou vraisemblablement au sein d’une forme composée, comme dans éclair [màgbə̄līmā]. Le schwa jouerait, en quelque sorte, un rôle de neutralisateur d’opposition des voyelles [ɛ] et [a]. Pour autant, ce phénomène ne toucherait que cinq mots, exceptions faites de toutes les variations libres où le schwa se substitue au [a] final comme dans « lait »[ŋgōkə̀] / [ŋgōkà] littéralement « eau-sein » [ŋgō-kà] – alors que si on ajoute le terme « animal » pour lait de l’animal [ŋgōkàsɔ̄], le schwa ne peut plus se substituer au [a] –« huile » [mítə̀] / [mítà], « pousser » [ìtə́] / [ìtá] ou encore « griller » [tùmbə́] / [tùmbá].
Si ce processus se généralise, cela entraînera des neutralisations dans les positions prosodiquement faibles.
Il semble s’agir d’un changement inhérent à cette variété de baka. Brisson (1984 et 2002) n’en fait pas mention. Or, un exemple comme le verbe « pleurer » est fort intéressant à cet égard : là où Brisson donne [nā kùgbā] je trouve [nā kúbə̀]. Ce phénomène de neutralisation n’est donc nullement mentionné chez Brisson. Le statut du schwa n’est, pour le moment, pas phonologique, mais il est intéressant de remarquer qu’il tend à se substituer aux voyelles finales, comme c’est le cas en fang. Beaucoup de langues bantu du Gabon présentent un phénomène similaire41. Il s’agit vraisemblablement d’un phénomène aréal. Le baka présenterait alors ce processus de neutralisation d’opposition de voyelles en position finale dû au contact de langues.
Un certain nombre de paires minimales, présentées ci-après, permettent d’opposer la totalité des voyelles entre elles en position V1. Certaines contraintes distributionnelles ne permettent pas de mettre en évidence ces oppositions en V2, néanmoins étant donné les contextes analogues dans lesquels ces différentes voyelles sont attestées, elles seront considérées comme distinctives. Il est à noter que les tons n’ont pas été pris en considération lors de l’établissement de ces paires dites « minimales », aucune influence de ceux-ci n’ayant été relevée sur la qualité de la voyelle réalisée.
Paires quasi-minimales pour les séquences de voyelles sans consonne intermédiaire :
[ìī] maman / [èē]chose / [ɔ̀ɔ́]déposer
[gbíé] plantation / [gbīɛ̀]tirer ; [dzīè]vomissement / [dzíò] froid
[ndíà] Dioscorea bulbifera / [ndéě]rien ; [sīā]jeune fille / [síó] urine
[kíò] Cleistopholis patens / [kùú] fil de canne à pêche / [kōò] sortir / [kūè] ouvrir
[lɛ̀ē]fin, mince / [láā]Schilbegrenfelli ; [jàà] oui / [jɔ̄ɔ̄]pénis
[ɸúè] cinq / [ɸóà] laid
Paires minimales avec consonne intermédiaire :
[i]/[e] : [dzī] dérober, voler / [dzē] tison ; [tì] épine / [té] tomber
[ŋgōmbē] Celtis mildbraedii / [ŋgòmbī] harpe
[i]/[u] : [bìbà] abcès / [búbà] blanc ; [mbì] clan, lignage / [mbù] sorcellerie
[ndùkí] felis aurata / [ndūkū] felis serval42
[e]/[ɛ] : [dzé] creuser / [dzɛ́] entendre ; lè- sexe / lɛ̀- petit de, enfant de
[kɛ́kɛ̄] dioscorea / [kɛ́kè] maladie ; [bɛ́lɛ́] chèvre / [bēlē]forêt
[e]/[o] : [ɸōté] faim / [ɸótò] teigne ; [kòlékà] fruit boule / [kōlōkā] petit touraco
[ɛ]/[a] : [bɛ̄] sans bouger / [bá] cracher
[kɛ̄ŋgā] montagne / [kāŋgà] pintade noire ; [láŋgā] taro / [làŋgɛ́] qui ?
[a]/[ɔ] : [sā] pus / [sɔ́] viande, gibier
[kà̰ŋgā] Entandrophragma candollei / [ka̰ŋgɔ] termite (7ème stade) / [kà̰ŋgò] Phyllanthus discoideus
[ɔ]/[o] : [dɔ̀] venir / [dò] bosse ; [ŋgúsɔ̀] furoncle / [ŋgúsó] salive, crachat
[ɔ]/[ɛ] : [bòkɔ̀kɔ̀] Klainedoxa gabonensis / [bòkɛ̄kɛ̀] fil vert
[o]/[u] : [kō] là / [kū] corde ; [bómà] manioc / [búmá] coeur
[ŋgɔ̀ŋgò] Megaphrinium / [ŋgɔ́ŋgū] Antrocaryon klaineanum
[jūkō] creux de l’arbre / [jūkū] sueur
L’analyse des données, combinant l’étude distributionnelle des sons et la recherche de paires (quasi) minimales, permet de poser sept phonèmes vocaliques oraux :
| antérieures | postérieures | |
| fermées | i | u |
| mi-fermées | e | o |
| mi-ouvertes | ɛ | ɔ |
| ouvertes | a | |
Les quatre degrés d’aperture du tableau phonétique sont conservés. L’opposition antérieur/postérieur se trouve neutralisée pour la voyelle ouverte [a].
Cet arbre n’est pas référencé dans Letouzey (1976).
Lolke van der Veen, communication personnelle, Laboratoire DDL, Lyon, juin 2007.
D’après les Baka, il s’agit bien de deux animaux différents, cf. chapitre 4.