Les causes

seule explication, d’ordre phonologique, social ou psychologique ne pourrait rendre compte de tous les phénomènes décrits ci-dessus. Il s’agit davantage d’une combinaison de plusieurs facteurs relevant de ces divers domaines.

‘« Il n’est donc pas extraordinaire que les différences phonétiques, elles, s’accroissent à mesure que le groupe se bat pour préserver son identité ».’

Pour autant, il existe une différence, par exemple, entre deux des changements discutés ci-dessus. La chute de la voyelle finale est un phénomène non régulier, n’ayant pas atteint la fin du processus d’après Sturtevant cité par Labov (ibid : 71)46 mais partagé par l’ensemble de la population, quelque que soit son âge, son sexe, l’aire géographique et le contexte situationnel (suivant Milroy, 1992) : alors que l’utilisation de l’affriquée palatale [dʒ] semble réservée aux anciens, les jeunes préférant se démarquer volontairement en utilisant [dz], par ailleurs plus conforme au système phonologique fang. Le critère de l’âge (approximatif) est pertinent puisque les phénomènes s’observent en fonction de trois grandes catégories, c’est-à-dire les anciens de 60 ans et plus, les 35-60 ans et enfin les jeunes en deçà de 35 ans. Cette distinction pourrait correspondre à divers mouvements de population et en particulier au rapprochement des Baka des abords des routes et à leur installation à proximité des villages fang dans une dynamique de sédentarisation grandissante (cf. chapitre 3 sur la mobilité). Il serait extrêmement intéressant de mener à la suite des présentes recherches, une étude détaillée et longitudinale sur les énonciations de la tranche d’âge intermédiaire des 35-60 ans afin d’établir une éventuelle corrélation entre l’utilisation de l’une ou l’autre des réalisations en fonction des divers contextes situationnels.

Lors d’entretiens avec de jeunes Baka, l’idée principale véhiculée est que les jeunes se démarquent volontairement des anciens en utilisant le phonème /dz/. C’est pourquoi, ces occurrences sont tout à fait régulières pour cette tranche d’âge, le [dʒ] ayant totalement disparu chez les jeunes générations. Le discours des jeunes est d’ailleurs intéressant à plus d’un titre. Ne souhaitant pas faire d’affront aux anciens, l’argument avancé à propos de cette différence sonore est que les « vieux » n’ayant plus de dents, il ne leur est donc pas possible de prononcer le /dz/ correctement (étant entendu que la bonne prononciation est, de fait, la leur). Cette variante étant plus proche du système fang, les jeunes préfèrent s’identifier au modèle prestigieux plutôt qu’à l’image désuète véhiculée au travers des diverses discriminations dont les Baka sont victimes, que ce soit localement ou plus généralement sur le territoire gabonais, voire en Afrique centrale47. Le changement de lieu d’articulation de l’affriquée est donc observable à travers les différentes générations en présence et il est possible d’affirmer qu’il a atteint son processus final chez les jeunes. Cependant, cela ne signifie pas que le parler des jeunes préservera cette consonne, d’autres processus en cours existent et de nouveaux pourront interférer, mais il est permis de penser que ce phénomène particulier se rapprochant du système fang, de statut supérieur, tendra à se consolider.

Notes
46.

« Donc, comme le soutient Sturtevant (1947 : 78-81), la régularité est à chercher dans le résultat final du processus, et non en son début. »

47.

Pour plus de détails sur les problématiques de discrimination des chasseurs-cueilleurs, se référer à Paulin & al., 2009.