2.2.3.2.1 Les voyelles

D’après les données présentées ci-dessous, les correspondances vocaliques se caractérisent par une importante régularité en position V1 ou V2, du moins ce qui concerne les quatre premiers parlers ; le mayogo et le mundu présentent, quant à eux, quelques divergences par rapport aux autres langues. Ceci ne fait que confirmer les propos de Moñino. Dans la colonne de gauche, des propositions de proto-segments sont faites sous l’acronyme PMM (Proto-Ma’bo-Mundu).

Figure 9. Tableau de correspondances des voyelles en position V1 pour les six parlers du groupe et proposition de proto-segments
Figure 9. Tableau de correspondances des voyelles en position V1 pour les six parlers du groupe et proposition de proto-segments

D’après le tableau ci-dessus, les six langues présentent une homogénéité élevée. En effet, hormis quelques exemples qui posent problème, comme le n° 104 par exemple qui a été laissé à part (malgré la présence exclusive de voyelles antérieures), les autres séries comparatives permettent de postuler clairement une proto-voyelle. Il est à noter que pour certaines voyelles le timbre exact (2ème ou 3ème degré) n’a pu être établi. Ceci explique les symboles E et O dans le tableau. Ce phénomène ne concerne que les cas où une proto-séquence *V+n peut/doit être posée. Ce dernier aspect concerne des exemples où les langues ma’bo et monzombo ont des voyelles nasales. La comparaison des formes a permis de mettre en évidence une correspondance régulière entre la nasalité de ces voyelles et la présence d’une consonne nasale suivante dans les autres langues. Ainsi, le ma’bo et le monzombo nasalisent généralement les voyelles en présence de consonnes nasales, puis, si la nasale a chuté, comme c’est souvent le cas en monzombo, le trait de nasalité de la consonne est préservé (certains exemples ont été placés en notes de bas de page49). De plus, il a été observé que la réalisation de ces voyelles nasales impliquaient une fermeture d’un degré de la voyelle par rapport aux autres langues, et ceci de manière systématique (ces langues ne présentant pas de ɔ̰ ni de ɛ̰)50. Cependant, afin de coller au mieux aux données et dans une perspective de recherches plus approfondies quant à la qualité des voyelles nasales de ces langues (où le trait de nasalité pour les voyelles est phonologiquement distinctif pour le ma’bo, pour le monzombo cela est moins clair car cette langue semble accepter des variations libres entre voyelles orales et nasales, les propositions sont *O(n), *E(n) et *a(n) pour les deux seuls exemples présents.

La comparaison des langues permet également de postuler une tendance pour les langues mayogo et mundu à la fermeture des voyelles antérieures. En effet, là où les quatre autres langues présentent un [e], ces deux parlers fournissent un [i]. Ce phénomène tend à se propager aux postérieures pour le mayogo comme cela est visible pour les séries où le *O(n) a été proposé comme reconstruction. Plusieurs exemples de ce processus sont donnés en notes de bas de page51. Par ailleurs, un phénomène semblable apparaît en gbanzili mais de manière très sporadique52. Quoiqu’il en soit, étant donné le nombre d’items disponibles pour la comparaison, il ne peut être proposé que des tendances.

Parallèlement à ce phénomène de fermeture vocalique, il semble exister une nette préférence à l’isotimbrie. Ce phénomène a été relevé en baka dans les parties précédentes (phonologie) et apparaît également dans les autres langues de ce sous-groupe. Aussi, ponctuellement, les langues qui n’ont pas de tendance générale à fermer les voyelles peuvent le faire suivant ce processus d’isotimbrie comme cela est le cas pour mordre, n°110. Le baka et le mayogo attestent une voyelle plus fermée en harmonie avec la V2 ; il en est de même pour le monzombo qui accepte également la voyelle nasale correspondante en adéquation avec la V2 [nōmò̰ ~ nō̰mò̰]. D’autres exemples sont présentés en notes de bas de page53, dont un qui prend en compte d’autres langues qui n’appartiennent pas à ce sous-groupe afin de tenter de comprendre ces processus du point de vue diachronique.

Par ailleurs, le monzombo présente une forte tendance à l’élision de certaines consonnes en intervocalique, soit en position C2 pour ce qui est des items fournis dans cette base de données. Il s’agit souvent des consonnes [l] et [n] (l’alternance [l]/[n] n’est pas rare dans ces langues), ainsi avec la chute de ces consonnes, cette langue présente de nombreuses formes monosyllabiques. L’élision de la nasale a également comme conséquence, évoquée ci-dessus, de nasaliser les voyelles adjacentes. Ce phénomène d’élision n’est pas systématique comme le prouvent certains exemples listés en notes de bas de page54.

En résumé, plusieurs formes semblent irrégulières mais peuvent s’expliquer à la lumière des différentes tendances mises en évidence grâce à la comparaison systématique. Comme cela est le cas pour l’item 80, froid, qui atteste des correspondances du [i]. Celles-ci peuvent sembler compliquées du point de vue phonétique puisque nous avons : io, etc., qui s’expliquent par une chute de la nasale en position C2. Cette chute a pour effet de transmettre son caractère de nasalité à la voyelle V2. Puis, la préférence à l’isotimbrie (cf. partie 2.2.2) a comme conséquence de donner une succession de voyelles identiques. Ensuite la seconde voyelle chute laissant son ton sur la voyelle restante. De même, les formes pour *marche/marcher (n°106), sont irrégulières puisque le gbanzili atteste [nó̰/nō̰] alors que l’on s’attendrait à un [ɔ], a contrario, les langues baka et mayogo présente un [ɔ] à la place d’un [o] et d’un [u], respectivement. Le monzombo, quant à lui, atteste du /o/ oral ou nasalisé en variation libre. D’un point de vue diachronique, les différentes réalisations seraient explicables dès lors que l’on postule une proto-forme *nɔ, comme en proto-gbaya du reste(hormis la différence de ton), sachant que le mundu présente une tendance à la fermeture vocalique et que le ma’bo, le monzombo et le gbanzili auraient nasalisé leurs voyelles à la suite de l’élision de la consonne nasale (le monzombo acceptant en variation libre la réalisation orale de cette voyelle en un degré alors plus fermé).

Néanmoins, quelques cas demeurent inexpliqués comme pour l’item 190 au sujet du pronom *tu. Celui-ci s’avère irrégulier même en présence de l’explication du [ɔ] en mundu par une volonté d’harmonisation d’ouverture due au [ɛ] précédent, l’attestation d’un [u], en gbanzili, au lieu d’un [ɔ] habituellement, demeure obscure. Il est toutefois important de souligner qu’il s’agit d’une catégorie grammaticale différente.

De même, pour l’item 4, aller, le gbanzili présente un [o̰] et non une voyelle ouverte comme dans les cas qui suivent du fait d’une nasalisation de la voyelle. Et le mayogo donne un [a] au lieu d’un [o] avec un [u] en C2. Enfin, aucune explication satisfaisante n’a été trouvée pour l’item 192, *un, où le ma’bo présenterait une métathèse de voyelles avec [kpáàkɔ́] par rapport à [kpókà] en gbanzili. Il apparaît de manière très rigoureuse des règles propres à chacune de ces langues. Toutefois, cette étude comparative préliminaire fournit quelques pistes qu’il serait intéressant de creuser par la suite.

Notes
49.

Les attestations de flèche (n°76) présentent une voyelle nasalisée pour le ma’bo et le monzombo, entre deux consonnes semi-nasales [mbá̰nzà̰]. Ceci n’est pas étonnant puisque ces deux langues ont tendance à nasaliser les voyelles qui précèdent des minasales, comme le baka d’ailleurs qui acceptent souvent les deux réalisations en variation libre. L’item 95 intestins, donne un bon exemple d’une variation libre entre ces deux réalisations, orale et nasale, en monzombo avec [nzā] et [nzā̰] ; où le ma’bo atteste essentiellement la voyelle nasale. D’un point de vue phonologique, le ma’bo offre un système de voyelles orales et nasales ; c’est pourquoi le terme sein (n°168) atteste une voyelle nasale sans la moindre trace de minasale avoisinante [kà̰], la forme est identique pour le monzombo. Il en est de même pour village (n°198) : [gbā̰].

50.

L’item 172, serpent, a été placé dans la série des [ɔ] et non du [o̰] alors que les langues ma’bo et monzombo ont toutes deux des voyelles nasalisées, respectivement [kpó̰nō̰] et [kpó̰], car les formes des autres langues correspondent davantage à une série de [ɔ] – [kpɔ́nɔ̄] pour le gbanzili et [kpɔ́rrò] pour le mundu. Le baka et le mayogo, ayant tendance à présenter des voyelles plus fermées, attestent des [o] en V1 et V2 (tons divergents pour les deux langues). Comme je l’ai évoqué à maintes reprises, le ma’bo et le monzombo attestent une seule voyelle nasalisée [o̰] pour les deux orales correspondantes [o] et [ɔ], c’est pourquoi la V1 peut être envisagée comme une ancienne *ɔ. La nasalisation de cette voyelle et de la V2 en ma’bo est contextuelle dans ce cas puisqu’elle est provoquée par la nasale en position C2 (nasale élidée en monzombo).

51.

Le 37, *cou/gorge, atteste de voyelles fermées [u] en V1 et V2 pour le mayogo. Cette langue a tendance à avoir des voyelles plus fermées que le ma’bo, le monzombo, le gbanzili ou le baka si nous regardons la seconde ligne du tableau de correspondances où un [e] donne un [i] dans cette langue et en mundu également – l’exemple 54, eau, est intéressant à ce propos puisque le mayogo et le mundu attteste un [u] où les autres langues donnent un [o]. Par ailleurs, l’item 84, *genou, est régulier pour toutes les langues excepté le mundu qui atteste un [u] au lieu d’un [o]. Cette tendance à la fermeture vocalique de second degré commencerait à toucher également la postérieure. Les items 178, *terre, sol, et 179, *tête, sont réguliers pour toutes les langues comparées ici, exception faite du mayogo qui a tendance à fermer les voyelles comme cela est le cas en 179 avec [-ʤú]. Toutefois, si nous nous référons au proto-gbaya *zú.gùr, le mundu serait plus conservateur avec [nʤù.gútà]. Par ailleurs, pour femme (n°70) le mundu a également une voyelle plus fermée que les autres langues. Il s’agit généralement d’un seul degré d’écart et là nous avons deux degrés. Dun point de vue synchronique, aucune explication réellement satisfaisante ne peut être fournie. Par contre, si l’on se place sur le plan diachronique, il est possible d’envisager une proto-forme *ngɔ̄lò, où les réflexes seront réguliers suivant une préférence donnée à l’isotimbrie.

52.

Le gbanzili atteste un [u] dans les deux items 120, nombril, et 136, *pied, où un [o] est pressenti. Cette langue aurait tendance à présenter certaines voyelles plus fermées si nous regardons les correspondances du [ɛ] où l’antérieure plus fermée [e] peut se trouver en variation libre avec le [ɛ].

53.

Pour le 156, respirer, le mundu atteste un [wáwà] au lieu d’un [wɔ]. Au vu des langues sere et bare qui attestent respectivement [gɔ̀ wó] et [gà wō], il est possible d’envisager que le [a], comme la seconde syllabe d’ailleurs, proviendrait d’une ancienne réalisation gawɔ qui donnerait la forme actuelle grâce à la préférence de voyelles de même timbre.

Pour l’item 131, *peau, les langues mayogo et mundu atteste une voyelle plus ouverte que celle attendue [kɔ́] et [kɔ̀nɔ̀] respectivement alors que les autres langues présentent /koto/ avec des tons divergents. Historiquement, cela n’est pas surprenant si je postule une proto-forme *kɔto sachant qu’il existe une préférence pour des voyelles de même timbre.

54.

Les correspondances de chien (n°28) peuvent paraître irrégulières, puisque le ma’bo atteste un [ɔ] et le monzombo un [o̰], soit [bɔ́nɔ̰̄] et [bó̰] respectivement. La nasalité de la voyelle en monzombo s’explique facilement par la chute de la nasale. Quant à l’ouverture de la voyelle en ma’bo : elle correspondrait à la volonté d’harmoniser les timbres des voyelles sachant que la voyelle nasale notée /o̰/ chez Thomas (1963) se réalise phonétiquement entre le [o] et le [ɔ]. L’exemple 68, faim, atteste des mêmes correspondances vocaliques (sans élision de la C2 en monzombo).