2.3 Conclusion

Les Baka ont toujours été en contact avec d’autres populations aux modes de vie très divergents. C’est d’ailleurs ces différences qui créent une bonne complémentarité dont chaque partie en présence bénéficie. Aussi, il n’est pas étonnant que les données linguistiques et historiques convergent dans une perspective de contacts réguliers et soutenus entre les Baka et les autres groupes ethnolinguistiques. Par ailleurs, il a été constaté (et cela sera encore évoqué à plusieurs reprises dans les chapitres suivants) que les Baka, du fait d’une grande capacité d’adaptation, adoptent rapidement certains traits culturels de la société fréquentée. D’après Bahuchet (1989) les *Baakaa auraient emprunté leur langue aux Bantu (pour plus de détails concernant l’expansion bantu, se référer à Mouguiama Daouda 2005). Puis les *Baakaa, ou certains sous-ensembles de ce groupe, auraient été en contact avec des Oubanguiens, avec qui ils seraient restés en contact environ 1000 ans d’après Thomas (2008)62.

En fonction des différents éléments observés grâce à l’approche comparative, il apparaît clairement que le baka fait partie intégrante du sous-groupe ma’bo-mundu, et plus largement du groupe sere-ngbaka-mba. Par ailleurs, l’étude des irrégularités des correspondances a permis de mettre en évidence certains rapprochements entre langues. Le mayogo et le mundu se trouvent légèrement à l’écart (cf. Moñino, 1988) et les quatre autres langues sont très homogènes. Toutefois, il a été observé, d’une part, un rapprochement du ma’bo et du monzombo du point de vue vocalique (nasalisation), et d’autre part, un rapprochement du ma’bo et du gbanzili du point de vue consonantique. Ces observations sont, certes, intéressantes, mais il s’avère encore plus important de relever le rapprochement du baka et du monzombo sur le plan consonantique. Faits linguistiques qui peuvent être corrélés à des éléments culturels sachant que les Monzombo sont d’excellents pêcheurs63, et détenaient déjà la connaissance du fer, ils se trouvent alors très complémentaires des Baka, chasseurs et collecteurs. Il paraît donc pertinent d’envisager l’hypothèse d’une collaboration fructueuse de ces deux groupes ethnolinguistiques dans le passé. Aussi, en fonction des conclusions linguistiques (irrégularités partagées), il semble que les Baka aient été davantage en contact avec les Monzombo qu’avec les Ngbaka, ou se seraient séparés plus tardivement64.

Pour autant, les Baka sont aujourd’hui très éloignés géographiquement des Monzombo ou autres Oubanguiens ma’bo-mundu ; une séparation due probablement à des tensions (guerres) locales ou de fortes pressions liées à l’esclavage (cf. Thomas et Bahuchet, 1988). De nos jours, les Baka du Gabon sont essentiellement en contact avec des Fang (ou des Kwele du côté de Makokou). Aussi, comme constaté, l’influence de cette langue n’est pas négligeable et doit être prise en considération lors de comparaison car il ne s’agit pas seulement d’emprunts lexicaux mais également de variations linguistiques entraînant des changements phonologiques à plus ou moins long terme. L’isolement des Baka du Gabon – du fait d’une politique de sédentarisation accrue, mais également en fonction des attitudes observées par les différents individus au sein de la communauté –, peut favoriser et/ou accélérer les changements.

D’après la littérature spécialisée, les rapports entre les « Pygmées » et les « Grands-Noirs » ont été mis en place à l’initiative des derniers. Il est effectivement possible de lire que ceux-ci, apportaient des présents afin d’attirer le « Pygmée » à lui. Que ces récits soient des mythes ou relativement proches de la réalité, il n’en demeure pas moins qu’une communauté peut s’exclure volontairement de tous contacts avec d’autres populations, de surcroît en forêt tropicale profonde. (Ce type d’attitude s’est observé récemment au sein d’une communauté amazonienne désireuse de préserver ses valeurs ancestrales.)

A l’instar des relations entre les groupes oubanguiens et les Baka, les communautés bantu offraient des compétences culturelles également complémentaires des chasseurs-cueilleurs. Certaines communautés sont reconnues, entre autres, pour être d’excellents pêcheurs (i.a. Kwele) ou de très bons agriculteurs. D’après les récits des anciens, il existait de bonnes relations entre les Bantu et les Baka (les correspondances lignagères, par exemple, en témoignent, cf. partie 3.2.2). Les chasseurs-cueilleurs fournissaient du gibier en contrepartie du fer et/ou d’autres produits manufacturés (les lampes à pétrole apparaissent dès les années 1960, cf. photos, annexe DVD) ou récoltes agricoles. Seulement, la politique de sédentarisation et la volonté des gouvernements, mais aussi de certaines ONG, de vouloir conformer les populations de chasseurs-cueilleurs au modèle dominant ont changé les conditions des relations entre les différentes communautés en présence. Ainsi, certains Baka camerounais sont devenus des agriculteurs expérimentés, et n’ont plus alors de réelles motivations économiques pour échanger avec les Bantu. Ces derniers se retrouvent finalement « perdants » de ce changement de situation ; certains se prétendent alors « propriétaires » des Baka qui, de fait, s’héritent comme les propriétés agricoles ou autres. La discrimination dont sont victimes les chasseurs-cueilleurs s’observe dans tous les domaines (pour plus de détails, cf. Paulin & al., 2009), et même si ceux-ci sont reconnus comme grands guérisseurs ou grands chasseurs, il n’en demeure pas moins que l’attitude des Bantu envers les Baka est ambivalente. Les relations entre ces différentes communautés se sont donc détériorées et il apparaît difficile, encore aujourd’hui, d’observer des échanges équilibrés où chacune des parties trouve son intérêt.

Notes
62.

Communication personnelle, St Martin au Bosc.

63.

Thomas (inédit) et Serge Bahuchet, comunication personnelle, Lyon, Laboratoire DDL, mai 2008.

64.

Il est donc fort peu probable comme l’avance Kilian-Hatz que les Baka aient emprunté leur langue au ngbaka-ma’bo.