La mobilité est d’autant plus associée au nomadisme chez les chasseurs-cueilleurs que leurs voisins agriculteurs ne les suivent pas en forêt pour pouvoir constater en quoi elle consiste. Bahuchet (1989) montre que ces populations circulent effectivement dans un vaste territoire forestier sans pour autant franchir certaines limites connues relatives aux différents clans présents sur ledit territoire ; cet auteur emploiera préférentiellement le terme de « mobiles » plutôt que nomades dans une publication ultérieure (Bahuchet, 1991). Au sein de cet espace prédéfini, les chasseurs-cueilleurs établiront de nouveaux campements ou en retrouveront certains laissés l’année précédente, étant entendu qu’aucun décès n’ait eu lieu à cet endroit. La mort entraîne systématiquement un changement de lieu après l’enterrement du cadavre.
‘« Les deux ethnies [Aka et Baka] enterrent les morts, à l’emplacement du campement, et abandonnent ensuite le site, qui chez les Aka est interdit de passage au moyen d’une branche mise en travers du chemin. » (Bahuchet, 1989 : 447)’Certains auteurs parlent d’enfouissement dans les trous des arbres mais Bahuchet (ibid : 448) donne l’argument de partage linguistique d’un « terme propre » (non emprunté) aux deux communautés aka et baka, [mbìndò] signifiant « enterrement » ; Turnbull parle également d’enterrement chez les Mbuti (chasseurs-cueilleurs de RDC). Ces deux idées ne sont pas forcément antinomiques dans une acception sémantique plus large de mbìndò, telle que « mettre en terre », « enfouir », « ensevelir », etc. Quoiqu’il en soit, de nos jours, les Baka enterrent leurs morts, soit en forêt, soit de plus en plus régulièrement à proximité du village, comme le font les Fang. Ils connaissent exactement ces lieux et lorsqu’ils s’en approchent, ils contournent volontairement les emplacements ; la zone étant donc soumise à quelques restrictions très localisées.
Les chasseurs-cueilleurs sont donc généralement très mobiles et les Baka ont gardé ces divers savoir-faire d’installation rapide dans un nouvel espace forestier. Les vidéos 1 et 2 (annexe DVD) témoignent d’une reconstitution de ce type de pratiques, avec la volonté de la part des habitants de Bitouga de se présenter vêtus comme leurs parents ou grands-parents (i.e. torse nu avec un simple pagne de tissu ; ils n’ont pas, pour l’occasion, fabriqué de pagne en écorce67 frappée à l’aide d’un os d’éléphant, le lìbèmbè 68). En quelques heures, les Baka installent un camp en forêt. Tout le monde défriche à l’aide de machettes, puis les femmes commencent à fabriquer les huttes, [mɔ́ŋgūlū], tandis que les hommes partent traquer le gibier. Les enfants aident à la construction des huttes ou partent en groupe chercher des fruits, des vers ou autres petits animaux comestibles qu’ils rapporteront à leurs parents ou dégusteront ensembles. Chaque membre de la communauté a son utilité. Ebale (f.42), victime de la lèpre, est dans l’incapacité d’aller chasser, aussi prépare-t-il une claie en prévision du gibier qu’il faudra boucaner au retour des chasseurs. Toute cette organisation sociale adaptée à l’environnement forestier va se trouver bousculée par les différentes politiques de sédentarisation menées par le gouvernement à plusieurs reprises au cours du 20ème siècle. Ainsi, je m’efforcerai d’évaluer les multiples impacts de ces actions sans négliger pour autant les facteurs endogènes concernant ces changements.
« On se sert de son écorce [bɔ̀ŋgɔ̄] pour faire le tissu végétal ‘yètè’. Par extension: tout tissu, robe, etc. Le 'yètè' (obom, en ewondo), servait de pagne-caleçon, pour les hommes, d'enveloppe porte-bébé pour les femmes, de couverture et tapis de couchage pour tous; c'est l'étoffe de nos pères. La plaque d'écorce, détachée est raclée sommairement, puis frappée au maillet sur un billot de bois jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les fibres. Le pagne est ensuite lavé pour le débarrasser de la sève ou du latex, puis séché au soleil. Le tissu est très solide dans le sens de la longueur, très fragile dans le sens de la largeur. » Brisson (2000)
D’après le même auteur, cette essence d’arbre serait Entada gigas.
Mona (f.242), âgé d’une soixantaine d’années en juillet 2004 lors de la prise de vue de cette reconstitution, affirme avoir porté le lìbèmbè étant jeune.