Que nous apprennent les mythes fondateurs ?
Le récit de Mona (f.242), collecté en juillet 2004 à Bitouga, est révélateur de leur présence en forêt et de leur attachement à celle-ci.
‘ « Quand les Baka sont revenus de Nzamboga avec l’homme blanc qui leur avait donné une valise contenant tout, ils n’ont pas su saisir leur chance. Les Fang venaient derrière. Ils se sont perdus et ne trouvaient plus de chemin. A ce moment là, ils ont rencontré l’adzap (le mabé en baka), l’arbre leur barrait le chemin. Alors, les Baka ont pris la hache (koba) et ont abattu l’arbre qui, en tombant, a découvert un passage derrière. Les Blancs ont demandé de partir en empruntant le chemin mais les Baka ont découvert un arbre où il y avait du miel. Ces derniers se sont ainsi plus intéressés à la substance douce et sucrée qu’à la valise des Blancs et l’ont ainsi abandonnée. Les Fang, quant à eux, ont suivi les Blancs et sont sortis ensembles de la forêt. C’est pour cela, que les Fang ont des maisons offertes par les Blancs, les grands patrons. »’Il ajoute ensuite un autre épisode à l’aventure baka.
‘« Les Baka ont été punis par Dieu lorsqu’ils ont traversé le Ntem. Dieu avait installé un arbre sur le fleuve afin de pouvoir le traverser, or le chasseur a enfoncé sa lance dans le bois. Cela n’a pas plu à Dieu qui avait réalisé un miracle, aussi les Baka ont-ils été punis. Seuls les Fang vivent avec les Blancs et peuvent bénéficier d’un enseignement qui leur permet d’accéder à certains postes dans les institutions. Les Baka, quant à eux, sont lésés, ne fréquentent pas l’école et sont confrontés aux problèmes de la forêt. »’Cette notion de punition a été relevée par Seitz (1993 : 303).
‘« Chez les groupes pygmées méridionaux, on cherche à justifier l’inégalité sociale dans les mythes en invoquant des capacités inégales ou en faisant état d’une punition pour une faute. »’D’après les propos de Mona, il serait donc possible d’envisager la présence de ce phénomène également chez les chasseurs-cueilleurs « septentrionaux » tels que les nomment cet auteur. Il est pertinent de se demander s’il peut s’agir d’une influence des missionnaires chrétiens. D’autant que Mosolobo (f.504) dans son récit (collecté en juillet 2004 à Doumassi), très proche de celui de Mona, introduit Adam et Eve au centre de son histoire.
D’après Brisson (1999 : 54), les Baka affirment ne pas savoir d’où ils viennent, par contre, ils connaissent le nom du premier homme « yākā (comme ‘saison sèche’) … « le commencement des hommes : yākā ». »
‘« Yaka, avec ses amis (!) veulent voyager en brousse. […] Et là, ils se trouvent devant un gros arbre màbè, Baillonella toxisperma, qui leur barre le chemin. Ils sont obligés de creuser l’arbre pour passer à travers. »’Ensuite ils entendront les abeilles. Ce bruit des abeilles revient dans tous les récits et l’appel du miel, un des seuls aliments sucrés que consommaient les Baka (les fruits étant beaucoup moins sucrés que le poki : miel de prédilection, le plus sucré et le plus apprécié (cf. 4.2.5.2).
Ce mythe retracé par Brisson est intéressant du fait de la dénomination [yākā] du commencement des hommes ; terme qui se retrouve chez les Mbenzele (population de chasseurs-cueilleurs en République du Congo dont la langue est proche de celle des Aka de RCA)72 qui se considèrent comme Bayaka/Yaka en incluant les Baka voisins. Ainsi les ancêtres des Aka et des Baka, composant une société originellement commune d’après les études menées par Bahuchet (1989, 1996) qu’il nomme les *Baakaa (i.e. les proto Baka-Aka) pourraient être nommés Yaka73 suivant les sources orales des anciens Mbenzele congolais et Baka camerounais. Il reste à savoir si les Aka acceptent cette dénomination tout comme les Baka gabonais pour lesquels ce terme n’a, pour le moment, pas été répertorié.
Il existe autant de versions du mythe fondateur qu’il existe de locuteurs baka ; or, ce qui est intéressant, ce sont les éléments communs à ces divers récits. Aussi, d’après les deux exemples donnés précédemment (cf. récits de Mona et de Mossolobo), l’histoire des anciens peut être résumée succinctement de la manière suivante.
Les Baka, suivis des Fang et des Blancs traversaient la forêt. Ils se sont retrouvés en face d’un arbre gigantesque, le màbè, dans lequel ils ont creusé un trou, à l’aide de la hache koba, afin de passer. Une fois de l’autre côté, les Baka ont entendu le bruit des abeilles et ont préféré rester en forêt pour collecter le miel poki, nourriture excellente et sucrée. Les Fang et les Blancs sont, quant à eux, sortis de la forêt (ou restés en lisière de celle-ci).
Ces éléments communs se retrouvent tels quels dans le film Les Baka de N’Neng-Alôr réalisé en 1981 dans la région de Minvoul. Après avoir traversé le [màbè]74 (adzap en fang, moabi en français), les Baka suivis des Fang et des Blancs, débroussent à la machette quand ils entendent le bruit des abeilles. Les Baka délaissent alors leurs machettes pour aller récolter le miel. Ensuite, ils partent tuer l’éléphant. Dans ce film, les plus de 40 ans affirment le chasser à la sagaie, ainsi que le gorille, les antilopes et le potamochère, tandis que les jeunes utilisent des fusils. A l’heure actuelle, ils disent avoir des plantations que les Fang leur ont appris à faire. Ils souhaitent quitter le village de Mval (-Bolofou), composé de six maisons et d’un corps de garde, situé sur la route menant au Cameroun ; le village d’Elarmitang, aux abords de cette même route se rapproche davantage de Minvoul. Un ancien affirme avoir d’antan traversé un fleuve et s’être retrouvé au Cameroun, et par la suite au Gabon. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux ont été porteurs dans les plantations de cacao.
Par contre, ces éléments communs sont totalement absents des récits du docu-fiction de Linares (2003, timing 50 : 30) où les Baka ne doivent jamais tuer un caméléon car c’est grâce à lui qu’ils existent. En effet, le caméléon s’est approché d’un arbre qui faisait des bruits étranges. Il a alors séparé l’arbre en deux et de là une rivière a surgi qui a inondé la forêt. Un homme et une femme sont alors sortis des eaux, ce furent les premiers Baka qui ont vécu au sein de la forêt.
Quant au mythe fondateur succinct des yaka Mbendzele (cf. Lewis 2004), il s’avère également très différent.
‘Dieu, komba, créa les hommes et les femmes séparément. Les uns n’avaient pas connaissance des autres. Les femmes dansaient edzengui et chaque fibre de raphia de palmier que perdait une femme de sa jupette se transformait en fille. Les hommes quant à eux embrassaient le fruit un peu rond avec un liquide blanc à l’intérieur qui pousse sur le tronc de l’arbre, chaque fois qu’ils l’embrassaient un garçon naissait. Ainsi les groupes d’hommes et de femmes grandissaient chacun de son côté.Que ce soit au Cameroun, d’après Brisson (cf. mythe retracé ci-dessus), ou au Gabon, d’après les divers récits des anciens ou encore suivant les propos relevés dans le film de N’Neng-Alôr, l’histoire contée par les Baka ressemble étrangement à celle des Fang où il est également question de traverser en pleine forêt un arbre immense dénommé adzap en langue fang (il s’agit donc du même arbre). Par ailleurs, quelques récits intègrent les croyances chrétiennes. Certains anciens, qui ont été en contact régulier avec des missionnaires dans les années soixante, posent les personnages bibliques d’Adam et Eve comme couple ancestral des humains, aux côtés des divinités traditionnelles, dans les récits mythiques (cf. supra récit de Mossolobo). Ce type d’amalgame n’est pas partagé par le reste de la communauté, qui rejette cette forme de syncrétisme. Malgré l’implantation de la religion chrétienne dans la région, les Baka continuent de faire une distinction nette entre leurs propres croyances (i.e. esprits de la forêt, esprits des défunts enterrés en forêt) et pratiques rituelles, d’une part, et la religion importée par les Blancs, d’autre part.
Pour autant, ces diverses appropriations d’éléments présents dans d’autres cultures posent la question de savoir si le mythe fondateur tel qu’il est conté de nos jours a encore quelque chose à voir avec l’histoire des origines. En effet, si l’on compare ces versions avec celles de Lewis et de Linares, hormis le contexte forestier commun à tous ces récits, peu d’éléments semblent identiques. Toutefois, il serait nécessaire d’analyser de manière approfondie ces divers récits afin de rendre compte des différences et des similitudes (tant sur le fond que sur la forme).
Comme déjà mentionné, lorsqu'une activité tient une place importante au sein d'une communauté, de surcroît depuis des siècles, force est de constater que cette activité a pu susciter maints récits ou contes s'y référant ; la forêt étant le lieu de prédilection de cette communauté avec tous les éléments qui la composent. Néanmoins, nous savons que certaines pratiques ayant existé au sein d'une communauté, abandonnées par la suite, ont également perdu les récits s'y référant. Il faut également se « méfier » des récits empruntés aux voisins. En effet, quand une communauté est proche d’une autre, qu’il existe un lien les unissant, même de l’ordre du symbolique, d’autant plus si la seconde communauté jouit d’un statut social plus élevé, la première communauté pourra s’approprier certains récits historiques. L’histoire du vieux Mosolobo au village de Doumassi est une parfaite illustration de ce phénomène. Cette situation est, de mon point de vue, tout à fait caractéristique d’une appropriation d’éléments spirituels d’autres cultures que l’on désire rapprocher de la sienne ; les signifiants sont nouveaux mais le signifié demeure inchangé.
Jerome Lewis, Communication personnelle, Londres, juin 2009.
Sans le préfixe bantu ba de classe 2.
C’est un Mimusops djave, famille des sapotacées.
Cet interdit est également présent chez les Baka.