3.1.1.2 Mode de vie traditionnel ?

D'après les descriptions faites par Bahuchet (1989), les chasseurs-cueilleurs étaient nomades et se déplaçaient régulièrement de campement en campement. Les différents écrits du Père Morel au sujet des Baka du Gabon, de 1961 à 1964, viennent corroborer ces dires. A cette époque, le Père Morvan, cité par Morel (1963-1964) précise au sujet du village de Nkoakom que les Baka tendent à se sédentariser et commencent tout juste à réaliser de petites plantations d’arachide et de bananes. En effet, les anciens de plus de 40 ans expliquent clairement qu’ils ont vécu principalement en forêt, contrairement aux jeunes actuels. D’ailleurs certaines photographies de Morel (cf. photos 1, 3, 19, etc., annexe DVD) montrent ces campements et quelques scènes de vie en pleine forêt.

Si l’on se réfère aux écrits de Bahuchet (1996 : 109) concernant les traits culturels, il est possible de se demander s’il existe effectivement des caractéristiques partagées par les différents groupes de chasseurs-cueilleurs76.

Figure 35. Tableau comparatif de certains groupes de chasseurs-cueilleurs d’après Bahuchet (1996 : 109)
Figure 35. Tableau comparatif de certains groupes de chasseurs-cueilleurs d’après Bahuchet (1996 : 109)

Ce tableau nous renseigne en effet sur certains regroupements que nous pourrions effectuer à partir des critères sélectionnés par l’auteur. Ainsi, deux groupes semblent se profiler avec les Kola (Gyeli), les Bongo et les Twa d’une part, les Baka, les Aka, les Asua, les Mbuti et les Efe d’autre part. Ces trois dernières ethnies sont d’ailleurs souvent regroupées dans la littérature sous l’ethnonyme Mbuti. Néanmoins, il est difficile d’envisager une généralisation sur ces bases bien que le critère de la pratique de l’agriculture ait pu réunir tous les groupes du fait qu’il s’agisse d’un phénomène relativement récent pour eux. La pratique de l’agriculture n’est pas uniforme au sein d’une même communauté mais elle est souvent fonction de la localisation des campements (ou des villages) des chasseurs-cueilleurs par rapport aux Bilo (cf. conclusion de ce chapitre).

‘« En résumé […] le statut social et linguistique actuel des groupes Pygmées résulte partiellement de la différence de durée de leurs relations avec les Grands Noirs. Ces relations peuvent s’organiser selon une échelle de proximité entre les partenaires, Pygmées et Grands Noirs, dont les paliers correspondent à des étapes successives d’un même processus historique, allant des Efe aux Bongo. »’

Ces propos de Bahuchet (1996 : 111) laissent donc supposer que les Efe sont plus conservateurs, et par extension, que tous les CC présentés ci-dessus partageaient les traits culturels listés dans la partie supérieure du tableau auxquels il est possible d’ajouter :

D’autres facteurs les unissent dont un, primordial qui tend à disparaître, la forêt. L’univers des chasseurs-cueilleurs peut quasiment se résumer à « la forêt » considérée comme l’instance nourricière, où sont ensevelis leurs ancêtres. Comme déjà évoqué, les CC sont également appelés le « Peuple de la forêt ». Même si certains Bantu peuvent aussi vivre en partie de la forêt, ils ne puisent pas la quasi totalité de leurs ressources dans celle-ci contrairement aux CC. Cet environnement est donc encore commun à tous ces groupes de chasseurs-cueilleurs. De même :

Les chasseurs-cueilleurs sont effectivement reconnus comme de :

Et il s’agit d’une société acéphale, communautaire et égalitaire où les hommes et les femmes jouissent d’un statut social comparable.

D’un point de vue linguistique, les choses se compliquent, même si Bahuchet dans sa thèse de 1989 propose une reconstruction commune entre deux langues très différentes grammaticalement : le aka, langue bantu, et le baka, langue oubanguienne. En effet, son travail comparatif a permis de mettre en évidence que les Aka et les Baka partagent 88% de leur vocabulaire spécialisé lié notamment à la chasse, aux diverses techniques, aux noms d’animaux, à la cueillette… Dans une publication ultérieure, il ajoute que des comparaisons préliminaires ont été faites avec les Mbuti (Efe) et donnent des résultats prometteurs. Les Aka et Baka formeraient un groupe originellement commun provenant de l’Est (situé approximativement au nord de la RCA, voire un peu plus haut)78. Pour autant, ces deux groupes parlent actuellement des langues très différentes où l’intercompréhension est quasi inexistante, les Baka sont, par ailleurs, culturellement très différents des autres chasseurs-cueilleurs du Gabon (Bongo, Rème, Rimba) et du Cameroun (Gyeli ou Kola). Toutefois, d’après les dernières recherches en génétique effectuées par Verdu & al. (2009a : 6), il semblerait que les chasseurs-cueilleurs de l’ouest comprenant, au Cameroun, les Kola et les Bedzan, au Gabon, les Koya et les Bongo ainsi que les Baka des deux pays aient une origine commune datant d’environ 3000 ans.

‘“Despite the substantial level of genetic differentiation found among pygmy populations, we identified a recent (about 2,800YBP) common origin of all Western Central African Pygmy populations, together with a more ancient (­~ 54,000 or 90,000 YBP) divergence between the ancestral pygmy and non pygmy into pygmy populations.”’

Il n’est pas, dans cet article, précisé si les Baka doivent être rapprochés des Aka et des Mbuti dont ils sont culturellement très proches, et si ces derniers sont considérés, comme des CC de l’Est (ce qui est le cas par ailleurs) ; ce qui impliquerait une séparation des Baka et des Aka (et des Mbuti) il y a un peu plus de 20000 ans d’après Hombert (2010)79, il semble que la classification des Baka dans le groupe des « Pygmées de l’ouest » doit être rediscutée (ou envisager l’intégration des Aka dans le groupe ouest). Plusieurs scenarii peuvent être envisagés au niveau des migrations dont un, fort intéressant, qui envisage ces trois groupes de chasseurs-cueilleurs au sein de la forêt du bassin du Congo (en RCA et/ou en RDC) lors de l’expansion bantu il y a environ 5000 ans. Certaines de ces populations Bantu auraient alors rencontré ces chasseurs-cueilleurs et vécu suffisamment longtemps en contact avec eux de sorte que les CC adoptent leur langue. Plus tard, certaines scissions auraient amené, entre autres, une partie des ancêtres des Baka à s’éloigner des autres groupes, soit il y a environ 3000 ans, avant la rencontre du groupe gbanzili avec les « Pygmées » dont parlent Thomas & Bahuchet (1988 : 303) :

‘« .. quelques hypothèses sur les migrations oubanguiennes ont pu être posées qui concernent particulièrement le groupe gbanzili-sere [… qui] pourrait être localisé, vers la fin du premier millénaire (ap. J-C), dans les environs du Bahr el Ghazal (Soudan). Sous la poussée nilotique, la plus grande partie d’entre eux (l’ensemble gbanzili) aurait pénétré la forêt où se situeraient leurs premiers contacts avec des Pygmées… ».’

Ces anciens Baka auraient alors vécu quelque temps avec les ancêtres du groupe Ma’bo-Mundu (cf. chapitre 2) au point d’adopter leur langue. D’après les données linguistiques, il semble que les Baka sont restés plus longtemps en contact avec les Monzombo. Ces derniers sont une population reconnue comme d’excellents pêcheurs, contrairement aux Baka qui avaient alors tout intérêt à s’allier aux Monzombo. Chacune des parties apportant ses compétences à l’autre dans une relation de complémentarité évidente (pêcheurs / chasseurs).

Notes
76.

Cet aspect a été l’une des problématiques du Workshop portant sur l’étude de différentes populations de chasseurs-cueilleurs, organisé en Allemagne par Niclas Burenhult, Thomas Widlock et Asifa Majid, Hunter-Gatherers and Semantic Categories: An Interdisciplinary Workshop on Theory, Method and Documentation, Neuwied, May 30- June 4, 2010.

77.

Pour plus de détails concernant cet aspect, ainsi que le critère morphologique, se référer aux différentes communications de la conférence ICCBHG qui s’est tenue à Montpellier du 22 au 24 septembre 2010.

Site : http://www.cefe.cnrs.fr/ibc/Conference/ICCBHG.htm

78.

Pour plus de détails, se référer à Bahuchet & Demolin, 1990.

79.

Communication personnelle, DDL, Lyon. Comme évoqué dans le chapitre 2, une classification divergente pour les deux populations Baka et Aka, avec les premiers du côté « ouest » et les seconds du côté « est », pose un sérieux problème quant à l’existence d’une éventuelle population *baakaa proposée par Bahuchet (1989).