3.1.1.3 Territoire : notion d'appropriation de l'espace et d’appartenance

La forêt n’a pas de frontières de pays « marquées » et les limites (nationales) ne peuvent qu’être floues. Aussi, il est fréquent que lors des enquêtes généalogiques concernant le lieu de naissance en forêt, les Baka ne puissent pas préciser s’il s’agit du Cameroun, du Congo ou du Gabon. La fiche de Mesono en est un bon exemple (cf. annexe 6.2.4.42) : le lieu d’origine de sa grand-mère Ata (f.53) est donné au Congo par certains et au Cameroun par d’autres. En fait, la naissance de cet individu est en forêt de Minkebe, forêt qui couvre une partie de ces trois pays (le même cas de figure s’observe pour Mbonge (f.55)).

Bahuchet (1991 : 8) affirme que « Mobiles, les Pygmées ne sont nulle part nomades, car leurs déplacements s’effectuent toujours à l’intérieur d’une aire particulière de forêt. » Mon intention ne sera pas ici de discuter de la notion de nomadisme mais de tenir compte effectivement de l’idée de territoire particulier. Ainsi, les Baka retrouvent, en fonction des saisons, des besoins et des envies, un ancien campement et peuvent restaurer rapidement une hutte endommagée par les intempéries. Ils savent exactement qui a construit telle ou telle hutte qui lui reviendra de droit. Par contre, en cas d’absence des concepteurs, d’autres membres du lignage ou un parent éloigné pourront l’occuper.

Turnbull (1965), cité par Leclerc (2001 : 104)  parle de « fluidité » pour caractériser les frontières entre les groupes locaux, en associant très étroitement bande et territoire : « the notion of territory was only concept through which the band can be define ». Cette idée est reprise par Bahuchet (1989 : 36) qui parle d’aires « réservées » en fonction des lignages où les dépassements de « frontières » pouvaient créer certains conflits non négligeables au sein des différentes communautés.

‘« Les membres de toutes les ethnies forestières vivent périodiquement hors du village, en pleine forêt dans des camps temporaires, et la forêt est découpée en territoires lignagers et ethniques, et sillonnée de pistes pédestres. »’

Or, les Baka du Gabon, ne tiennent pas compte de ce genre de pratiques, pour eux, toute la forêt est un lieu de chasse ouvert aux Baka, et aux Bilo s’ils le souhaitent sans générer le moindre conflit de territoire. Néanmoins, les pièges installés au sein de cet immense espace ont un propriétaire connus par des groupements voisins, et il est absolument hors de question de s’approprier un gibier capturé par un piège d’autrui. Ces pièges (à gorge ou à pied) ne seront relevés que par celui qui les a posés. Le lieu de piégeage n’étant pas pour autant évité ou contourné. Peut-être est-ce dû à la relative profusion de gibiers, encore présente de nos jours ? Effectivement, il n’a été que très rarement constaté un retour de chasse infructueux pour des maîtres chasseurs (i.e. tuma). Ils reviennent plutôt avec deux ou trois gibiers (cf. photo 6 de Famda (f.24) en annexe DVD : un pangolin, une petite antilope et un singe).

Si cette association entre groupe et territoire de chasse et de collecte a existé chez les Baka, le changement d’attitude observé est certainement lié à deux faits importants. Le premier est lié à la récente migration, moins d’un siècle, des Baka au Gabon. Elle s’est effectuée, de surcroît, au travers d’une poignée d’individus issus de quelques familles seulement. La seconde raison tient à l’immensité de la forêt corrélativement au nombre de personnes l’exploitant au moment de l’arrivée de ces premiers Baka sur le sol gabonais. Ainsi, le besoin de faire perdurer des règles d’aires de chasse en fonction des différents lignages ne s’est visiblement toujours pas fait ressentir aujourd’hui dans la région de Minvoul où plus d’une quinzaine de lignages (16 répertoriés cf. 3.2.2) se côtoient régulièrement.

Plusieurs auteurs (cités par Leclerc, 2001 :101-102) utilisent, quant à eux, la notion de flux, soit d’après Turnbull (1968) comme une adaptation politique en tant que flux au sein du groupe alors qu’Abruzzi (1980) a privilégié le processus de dispersion et de regroupement au cours des saisons et a soutenu une adaptation écologique. Aussi Leclerc (ibid) en conclut que :

‘« D’un côté ou de l’autre, et c’est une caractéristique des études portant sur la mobilité spatiale, l’attention s’est moins portée sur des groupes que sur des individus, moins sur des règles que sur des pratiques. »’