Notion de propriété

La définition de l’espace et des territoires est différente suivant les communautés mais ce qui est encore plus divergent c’est la notion d’appropriation. Cela ne signifie pas que certains objets par exemple n’appartiennent pas à des personnes particulières80, mais ils circulent librement au sein de la communauté où chaque membre sait à qui l’objet doit revenir. Pour ce qui est des terres, si l’on en croit la littérature spécialisée, elles étaient considérées comme des zones de chasse communautaires reliées à des familles au sens large du terme qui ne devaient pas être exploitées par d’autres groupes. Or depuis l’avancée du processus de sédentarisation, les chasseurs-cueilleurs rattachés systématiquement à un village plus ou moins proche des Bilo ne considèrent plus la forêt comme un ensemble de territoires mais l’envisage dans son entièreté comme un bien commun où tout chasseur-cueilleur peut chasser à son gré81. C’est pour cette raison que l’idée d’appropriation ne fait pas réellement partie de leur univers et qu’ils n’en perçoivent pas les raisons. Néanmoins, récemment, face aux multiples difficultés éprouvées par les CC avec les aires protégées souvent interdites à la grande chasse (i.e. éléphant), certains d’entre eux revendiquent la forêt comme leur propriété. Ce n’est pas tant pour les terres mais bien pour l’usufruit, c’est-à-dire les différents gibiers ou autres denrées alimentaires présentes (tubercules, fruits, miel, etc.), que les revendications s’affirment. Cela renvoie bien évidemment à la notion de forêt perçue comme instance parentale nourricière de ces peuples.

Les Baka ont très peu de biens personnels. Les nouveaux « villageois » qu’ils sont, circulent librement entre les habitations (celles-ci n’étant la propriété de personne, dans l’état actuel des choses82), et la cuisine est commune. La conception de la propriété semble bien différente de celle que l’on relève chez les voisins bantu.

L’idée de propriété, si elle existe, s’étend non seulement aux membres de son lignage, mais également aux membres de lignages par alliance. Elle peut même s’étendre à tous les membres de la communauté, suivant les situations (en confrontation avec d’autres groupes ethniques, par exemple). Tous les objets peuvent circuler au sein de la communauté, même la hache traditionnelle koba, qui nécessite pourtant certaines restrictions (cf. la note de bas de page suivante).

L’intérêt commun prévaut sur l’intérêt personnel, c’est pourquoi si notion de propriété il y a, elle prend forcément en compte une notion de groupe difficilement reconnu aujourd’hui, excepté au niveau de l’Etat, comme par exemple en France pour laquelle Kessedjian (1997 : 625) cite l’article L. 110 du Code de l’urbanisme qui dit que « Le territoire français est le patrimoine de la nation. ». Cet auteur pose ensuite la question de savoir s’il ne faut pas se « demander si l’on a vraiment besoin de la propriété privée…[plutôt que] approfondir le droit d’usage et travailler sur la garantie de ce droit d’usage… ». Cette idée – renvoyant à la notion d’usufruit ‑ est extrêmement intéressante et doit être retenue lors d’un plaidoyer d’accès territorial en faveur des chasseurs-cueilleurs qui ne demandent pas à s’approprier les terres mais envisagent les divers territoires comme des zones d’utilité commune en vue de garantir la subsistance du ou des groupes alentours (pour plus de détails sur les discriminations et les Droits d’accession à la terre des chasseurs-cueilleurs, se référer à Paulin & al., 2009).

Lors du piégeage, le chasseur « s’approprie » momentanément un emplacement (restreint) en forêt par la pose d’un piège. Poser un piège, c’est utiliser un passage de gibier et l’emplacement choisi sera respecté par les autres chasseurs baka, d’autant plus que l’environnement forestier est suffisamment vaste et héberge du gibier en abondance. L’espace peut être librement occupé, il n’y a pas de chasse gardée ni de propriété du sol : on peut trouver des pièges de membres de villages différents dans un espace rapproché, même si une distance minimale entre pièges appartenant à des individus différents est toujours respectée. Ce qui délimite le territoire n’est pas tant le sol en tant que tel que la disposition de pièges à des endroits précis.

Cependant, l’aspiration aux biens réels et présumés du monde moderne perçus à travers les Fang et les autres Bilo (facteur endogène) est susceptible de modifier en profondeur la conception de la propriété encore en vigueur à ce jour.

Notes
80.

Chez les Baka, la fabrication de la hache traditionnelle implique des restrictions alimentaires et sexuelles durant le temps nécessaire à sa réalisation, généralement cela ne prend guère plus d’une journée mais l’homme doit rester chaste également la nuit suivante.

81.

Bien entendu, il n’est pas question ici de braconnage. Le gaspillage de viande lié à cette activité est souvent très mal perçu par les chasseurs-cueilleurs.

82.

Par le fait, les habitations appartiennent aux lignages et sont donc des propriétés « collectives ».